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lundi 2 janvier 2023

Blade Runner - Ridley Scott (1982)

Dans les dernières années du 20ème siècle, des milliers d'hommes et de femmes partent à la conquête de l'espace, fuyant les mégalopoles devenues insalubres. Sur les colonies, une nouvelle race d'esclaves voit le jour : les réplicants, des androïdes que rien ne peut distinguer de l'être humain. Los Angeles, 2019. Après avoir massacré un équipage et pris le contrôle d'un vaisseau, les réplicants de type Nexus 6, le modèle le plus perfectionné, sont désormais déclarés "hors la loi". Quatre d'entre eux parviennent cependant à s'échapper et à s'introduire dans Los Angeles. Un agent d'une unité spéciale, un blade-runner, est chargé de les éliminer.

Blade Runner est un classique de la science-fiction qui confirmait le début de carrière en état de grâce et l’aura de visionnaire de Ridley Scott. Le film adapte le roman Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip K. Dick, publiée en 1966. Blade Runner inaugure ainsi les nombreuses transpositions cinématographiques à venir de l’auteur (Total Recall (1990), Minority Report (2002) pour les plus populaires) et contribuera à titre posthume (Philip K. Dick meurt trois mois avant la sortie du film) à la notoriété de l’auteur jusque-là restreint aux amateurs de science-fiction. Un projet de film est envisagé dès le début des années 70 sans aboutir, avant que les droits n’échouent entre les mains de l’acteur Hampton Fancher qui en rédige un script à échelle modeste, se déroulant essentiellement en intérieur avec un tonalité de néo film noir. Les producteurs contactés transmettent le script à Ridley Scott qui se montre intéressé, d’autant que les thèmes de l’histoire lui parle alors qu’il vient de tragiquement perdre son frère aîné Frank en 1980.

Les deux premiers et brillants films de Ridley Scott, Les Duellistes (1977) et Alien (1979), questionnent l’idée de déterminisme, d’acquis et d’inné. Le contexte guerrier, les règles socio-militaire et le virilisme intempestif guide l’éternel recommencement du combat des protagonistes de Les Duellistes. Cependant si Harvey Keitel s’y accroche farouchement par orgueil et revanche sociale, Keith Carradine y semble plus contraint et comprend l’absurde de ce duel sans fin. L’un est guidé par un dogme social et une mentalité immuable, ce qui causera en définitive sa perte face à son adversaire plus réfléchi et ayant du recul sur la situation. On peut y voir la même réflexion dans Alien où le monstre n’existe que pour et par la mise à mort qu’il peut et doit infliger, quand Ripley (Sigourney Weaver) par son humanité mais aussi son genre féminin (qui lui évite d’adopter les codes machistes qui diviseront et décimeront l’équipage) est une figure plus complexe et apte à survivre. Blade Runner creuse le même sillon, mais en rendant plus flou la notion de libre-arbitre et de déterminisme entre les différents protagonistes.

Deckard (Harrison Ford), le « blade runner” chargé de traquer les réplicants fait montre d’une froideur sans failles pour exécuter son métier en abattant sèchement ses proies. Même si l’entrevue le chef de police Bryant (M. Emmet Walsh) le montre contraint de se plier à cette mission, la détermination glaciale de ses exécutions le rend paradoxalement moins « humain » que ses victimes androïdes. Les réplicants nous apparaissent en effet sous un jour plus vulnérable malgré leurs formidables aptitudes, car cherchant à surmonter la date de péremption inscrite dans leur génome. L’esthétique du film, entre urbanité futuriste sidérante et baignée de lumière lorsque l’on se trouve dans les hauteurs et usure rétro baignant dans le melting-pot et les jeux d'ombres néo-noir (somptueuse photo de Jordan Cronenweth) dès qu’on parcoure les bas-fonds, exprime cette différence par le décor - et les créations incroyable de Syd Mead. Dans une approche à la Metropolis (1927), les nantis se substituant aux Dieux s’isolent dans les cieux avec Tyrell (Joe Turkel), créateur démiurge des réplicants alors que les humains et leurs perspectives terre à terre s’agitent en bas. Les réplicants navigue entre les deux, car ils sont la projection idéalisée des Dieux, tout en étant entravés par les faiblesses des mortels. Ridley Scott n’a de cesse de mettre en valeur la force, la beauté, la candeur des réplicants selon les protagonistes, la photogénie incroyable de Rutger Hauer et Darryl Hannah en tête.

Pourtant il nous est suggéré que la vraie perfection ne peut naître que dans le rapprochement entre l’humain et le répliquant pour transcender ce déterminisme. Rachael (Sean Young), réplicante ignorant sa condition apparaît paradoxalement moins « humaine » quand elle se pense comme telle lors de sa première rencontre avec Deckard avant d’être démasquée par le test de Voight-Kampff. Dès lors, perturbée, en proie au doute elle laisse éclater son humanité par la vulnérabilité que révèle cette condition instable. La séquence où elle détache sa coiffure stricte pour laisser apparaître ses cheveux relâchés est une révélation pour elle et Deckard désormais en émoi. La magnifique scène d’amour est en apparence un décalque des étreintes rustres et machiste du film noir, mais en réalité Deckard bouscule Rachael pour l’inciter à exprimer ses propres désirs. Après lui avoir fait mimer par le verbe son attrait pour lui, il se tait et c’est elle en définitive qui l’attire de ses gestes et de ses mots. La spontanéité du désir à surmonté le déterminisme, les faux-souvenirs d’une humanité factice pour la rendre réelle. Il en va de même pour Deckard qui selon le montage dans lequel on regardera le film (on préférera l’ambiguïté du director’s cut de 1992 au surlignage bien trop explicite du final cut de 2007) échappe également au monolithisme par amour, un amour entre un humain et une réplicante dans le montage de 1982, ou entre deux réplicants qui s’ignoraient dans les autres versions, la logique est la même. Se défaire de la place, de la nature à laquelle on a été assigné par les sentiments.

Si Deckard et Rachael se libèrent par une pulsion de vie, les réplicants traqués s’humaniseront par la pulsion de mort. La fascinante entrevue entre Roy (Rutger Hauer) et son père créateur le laisse sans solution dans sa volonté de survivre. Cette rage de s’accrocher à la vie, de rallonger une existence programmée éphémère fait des réplicants des divinités au pieds d’argiles, des hommes-enfants dans la réalité du monde. Les spasmes nerveux de Pris abattue de trois coups de feu par Deckard exprime cette pulsion de vie, alors que la fin paisible de Roy après un monologue magnifique affirme la pulsion de mort. En acceptant les lois de la nature et le fait que toute chose à une fin, Roy accède à l’humanité et à l’éternité dans un même souffle. Le personnage humain de J.F. Sebastian, condamné par un vieillissement prématuré et s'entourant d'automates est fondamental dans cette acceptation. Ridley Scott parvient à mêler profond questionnement métaphysique, philosophique, avec une vraie tonalité de polar futuriste aux tableaux sidérants, ainsi qu’à une veine romantique envoutante – toutes ses émotions contrastées étant magnifiquement guidées par la partition hypnotique de Vangelis. Si l’esthétique de Blade Runner fera école dans le cinéma de science-fiction, sa poésie et son vertige seront rarement égalés. 


 Sorti en bluray français chez Warner


 

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