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mardi 24 janvier 2023

Fred Astaire, la haute société du spectacle - Timothée Gérardin

Timothée Gérardin consacre ce passionnant essai à la figure de Fred Astaire, génie de la danse et immense star de la comédie musicale de l’âge d’or hollywoodien. Tout l’ouvrage tourne autour de l’équilibre ténu qu’entretient, à l’instar d’autres vedettes des studios, Astaire entre sa nature d’artiste et de produit. Il en va de même pour toutes les stars hollywoodiennes certes mais Astaire, par ses aptitudes exceptionnelles à la danse dispose d’un attrait plus spécifiquement identifié (que les adjectifs, les personnalités qui peuvent être plus artificiellement fabriqués par le studio pour façonner ses vedettes) sur lequel capitaliser. Le but est pour lui de maîtriser artistiquement et de profiter commercialement (en s'intéressant vite au pourcentage des recettes de ses films, en étant un des premiers acteurs à faire assurer ses jambes) de cette facette dans la manière dont se concevra sa persona filmique.

Des succès des années 30 en duo avec Ginger Rogers (Top Hat (1935), Shall we dance (1937), La Grande Farandole (1939), au léger creux des années 40 en passant par les triomphes des années 50 (Tous en scène (1953), Drôle de frimousse (1957)), Timothée Gérardin retrace comment Astaire façonne cette persona filmique, l’adapte et la réinvente avec le temps, le contact des réalisateurs. L’auteur définit cette dualité artiste/produit par différents schismes contenus dans les films et leur conception. Le contexte de Grande Dépression des années 30 est en contrepoint des cadres aristocratiques des films d’Astaire à cette période, lui-même y prenant des atours et manières de nanti sans en être un. C’est la légèreté et l’insouciance qu’il amène dans ces environnements qui lui confèrent cette hauteur par laquelle il surmonte sa condition sociale, mais aussi les réticences de ses love interest féminins plus conscientes que lui des dures réalités de la vie. Timothée Gérardin nous montre la singularité d’Astaire affirmant son individualité de danseur qui ne s’étend que par le couple, mais s’éloigne de la démultiplication anonyme et virtuose des comédies musicales de Busby Berkeley à la même période (42e rue (1933), Prologue (1933)). Cette fantaisie d’Astaire s’exprime donc par le ce sentiment de décontraction et facilité dans ses chorégraphies, ses pas de danses, la magie par laquelle il enjoint ses partenaires féminines, les figurants et en définitives le public à l’accompagner et partager cette vision de la vie. Il y a un sentiment d’inné qui se manifeste par le fait qu’Astaire joue rarement des personnages de danseurs et que cet allant semble venir naturellement. Timothée Gérardin explique pourtant bien à quel point un travail et une recherche acharnée intervient en amont pour donner cette impression factice de décontraction.

En analysant les collaborations d’Astaire avec des les grands maîtres de la comédie musicale hollywoodienne (Vincente Minnelli, Stanley Donen), il montre comment, de l’onirisme de Minnelli à la sophistication de Donen, ces gimmicks identifiés peuvent être transcendés pour à la fois réinventer et magnifier Fred Astaire. C’est cette aura de dandy rêveur qui guide la tonalité des films, faisant une grande différence avec un Gene Kelly où la performance physique, l’effort est bien plus mis en avant. L’auteur ne masque pas les travers machiste et paternaliste qui traversent les films (notamment sur la fin où Astaire est désormais bien plus vieux que ses partenaires féminines) mais la persona filmique de l’acteur les articule davantage sur une logique d’enchantement (de l’amoureuse comme du spectateur) que de la domination, ce qui les rend encore magiques aujourd’hui. Une des très bonnes idées du livre est d’avoir mis en place un système de QR Code qui renvoie vers les vidéos YouTube de numéros dépeints en détail, ce qui offre des exemples où l’image parle autant que l’analyse pertinente de l’auteur. Un ouvrage passionnant qui donne une envie folle de se replonger dans la filmographie chaloupée de Fred Astaire. 

Publié chez Playlist Society

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