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vendredi 13 janvier 2023

Section spéciale - Costa-Gavras (1975)

 1941. Suite à l'assassinat d'un officier allemand par un jeune militant communiste, Pierre Pucheu, le ministre de l'Intérieur auquel les pleins pouvoirs viennent d'être attribués, tente de faire voter une loi d'exception pour juger six autres militants...

Section spéciale s'inscrit dans le cycle des films politiques de Costa-Gavras où il est précédé par Z (1969), L'Aveu (1970) et État de siège (1972). Contrairement à ces derniers où il prenait souvent des contextes de fiction tout en s'inspirant d'évènement politiques de l'époque ( le coup d'État instaurant la dictature des colonels en Grèce pour Z,l'enlèvement de Dan Mitrione, agent du FBI sous couverture de l'AID, par les Tupamaros en 1970), Section spéciale prend un contexte historique bien réel et douloureux pour la France. Le Chagrin et la pitié de Marcel Ophüls (1969) et Lacombe Lucien de Louis Malle (1974) s'étant chargés entretemps d'effacer le mythe de la France toute "résistante" durant l'occupation, le cinéma peut alors s'attaquer aux nombreuses et méconnues injustices qui ont parcourues cette période. 

Dans Section spéciale il s'agira de montrer le jugement et l'exécution arbitraire que réalisa le gouvernement de Vichy afin de faire bonne figure auprès de l'occupant allemand suite au meurtre d'un officier allemand par un jeune militant communiste. Costa-Gavras se montre didactique et méthodique pour nous montrer l'escalade des évènements. Ce sera tout d'abord la forme d'improvisation de cet assassinant par les militants communistes, amenés à être plus organisés par la suite quand ils contribueront à façonner la Résistance - l'acte étant commis par le futur Colonel Fabien, figure importante de la résistance. Ici c'est un élan de rage juvénile contre l'occupant, mais dont on voit la lente maturation durant plusieurs tentatives avortées où ils ne peuvent se résoudre à passer à l'acte, puisque sous l'uniforme ennemi peuvent se trouver des hommes n'ayant pas eu le choix. Tout violent et spontané que soit cet acte, il est construit de manière à humaniser ses auteurs fougueux et inexpérimentés, quand la réaction du gouvernement de Vichy se montrera bien plus réfléchie et révoltante.

Costa-Gavras crée un paradoxe entre la gravité des décisions et la petitesse de ceux qui les prennent avec une ironie mordante. A l'image de ce Maréchal Pétain (simple présence vocale) vieillissant ramené au pouvoir pour sauver la patrie, tous les membres du gouvernement sont des croulants aux corps usés semblant là pour effacer le souvenir de l'élan nouveau du Front Populaire. Les locaux même de ce gouvernement trahissent cette petitesse, promiscuité et consanguinité d'idées rances lors des réunions ministérielles où différents éléments (enfants, animaux, bruits extérieurs) parasitent le sérieux papal des discussions nauséabondes. Dans ce contexte, c'est le nouveau ministre de l'intérieur Pucheu (Michael Lonsdale), plus jeune et soumis aux allemands qui mène la danse. Le crime ne fait l'objet d'aucune enquête, et sert juste de prétexte à montrer allégeance aux allemands en prenant une décision radicale qu'ils n'ont pas réclamés – et dont la virulence les surprend. On choisira six militants déjà emprisonnés au moment des faits afin de les condamner à mort pour l'exemple.

Costa-Gavras montre minutieusement les acrobaties législatives se mettre en place pour concevoir une loi rétroactive permettant un jugement et une exécution immédiate. On voit certes quelques ténors s'opposer au procédé (le garde des sceau Joseph Barthélemy (Louis Seigner), certains magistrats contactés pour exécuter le jugement), mais la "raison d'état" est la plus forte et la machine est en marche. Toute cette première partie est passionnante mais pourrait logiquement sembler un peu froide avec ses discussions de cabinets, ses intrigues de palais. C'est après que Costa-Gavras vient nous cueillir avec les révoltantes scènes de procès. La liste des accusés oscille entre communistes plus en odeur de sainteté depuis la fin du Pacte germano-soviétique, et les juifs pestiférés désignés depuis longtemps. 

Le ridicule de certaine accusation se conjugue à la caractérisation rapide mais puissante des prévenus impuissants face à leur sort, que Costa-Gavras met en place par de petits flashbacks qui les humanise profondément au-delà de leur statut de victime. Yves Robert et sa jeunesse difficile semble condamné par déterminisme social, le juif naturalisé français (Jacques Rispal) symbole d'une France terre d'accueil qui n'existe plus. Même dans de courtes apparitions, le casting fait mouche notamment un Bruno Crémer magistral quand il dénonce l'imposture du procès, Jacques Perrin avocat sidéré par l'arbitraire du procès et un génialement détestable Claude Pieplu en juge partisan. Le propos est des plus cinglant, renforcé par une dernière scène d'une noirceur et ironie rare. Le film fait vraiment l'effet d'un coup de poing, d'autant que les acteurs de cette mascarade n'ont pas (hormis Pierre Pucheu) été inquiété après la libération.

Sorti en dvd zone 2 français chez Arte

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