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vendredi 6 janvier 2023

La Proie de l'homme - Kai, Hideo Gosha (1985)


 Kiwa est l'épouse dévouée d'Iwago, un ancien champion de lutte. Sa carrière sportive terminée, il a choisi un métier de l'ombre, celui de "zegen" : il achète des jeunes filles à des familles miséreuses pour les revendre aux maisons de geishas. Son commerce prospère, mais Kiwa le supplie d'abandonner cette activité. C'est alors qu'Iwago reproche à sa femme ses "airs de bourgeoise" alors qu'elle profite bien, après tout, des avantages de son "sale métier". Le mépris s'installe peu à peu dans le couple. Iwago prend des maîtresses et inflige des brimades à sa femme...

La Proie de l’homme est le dernier volet de la trilogie d’adaptations de la romancière Tomiko Miyao par Hideo Gosha après Dans l’ombre du loup (1982) et Yohkiroh, le royaume des geishas (1983). Il s’agit sans doute du plus mélodramatique et introspectif des trois, tant il relève d’éléments biographiques à la fois chez Tomiko Miyao et Hideo Gosha. Les trois films se déroulent entre les années 20 et 40 dans le milieu des prostituée et yakuzas au sein de la région de Kōchi, sur l’île de Shikoku. Cette période et cet environnement correspondent à ceux de l’enfance de Tomiko Miyao née en 1926 et dont le père était un « zegen », un marchand de prostituées achetant des jeunes filles aux familles pauvres pour les revendre aux maisons de geisha. 

Ayant toujours vouée une haine pour la profession de de son père, elle réutilise des éléments biographiques dans ses romans que l’on retrouve aussi dans les films de Gosha, par exemple le personnage de Matsué qui fuit sa famille pour devenir institutrice dans une autre région sur Dans l’ombre du loup, ce qui fut le cas de Tomiko Miyao – et le roman Iwago oboe-gaki dont est adapté le film est basé sur le journal intime de son père. Hideo Gosha lui imprègnera également les drames familiaux de Dans l’ombre du loup et Yohkiroh, le royaume des geishas de la propre dislocation de son foyer. Cependant, alors que dans les deux précédents films cette dimension intime observait des relations père/fille conflictuelles, (les pères indignes joués par Tatsuya Nakadai et Ken Ogata correspondant à la culpabilité d’Hideo Gosha, les filles jouées par Masako Natsume et Kimiko Ikegami illustrant la rancœur de Tomiko Miyao) La Proie de l’homme se concentre sur le lien distendu entre le mari zegen et son épouse.

Kiwa (Yukiyo Toake) est l’épouse dévouée de Iwago (Ken Ogata), zegen tout aussi ambigu et insaisissable que les figures masculines des autres films. Il est un mélange improbable de droiture et de cynisme, cherchant l’enrichissement grâce à son détestable métier mais d’un autre côté visant à réellement sauver de la misère les familles dont il rachète les filles, se montrant un soucieux de leur subsistance même après avoir réalisé sa transaction. Si Iwago incarne le versant ambigu de ce foyer par ses objectifs contradictoires, Kiwa en est la lumière bienveillante, soignant et nourrissant les fillettes en transit vers la maison de geisha, et en adoptant même une inapte à ce destin avec la jeune Kiku (Mariko Ishihara) qu’elle élèvera comme son enfant. Cela donne même une des plus belles scènes du film lorsque la jeune et muette sauvageonne Kiku prononce enfin son premier mot, « maman », car adoucie et mis en confiance par l’affection de cette femme douce. 

La Proie de l’homme est un grand film sur l’incommunicabilité du couple dans le contexte patriarcal de ce Japon de l’ère Taisho et début d’ère Showa. Iwago assume l’abjection de son métier et estime n’avoir aucun compte à rendre, dans les infidélités comme les sacrifices matériels, tant qu’il nourrit sa famille. La boussole morale de Kiwa est mise à mal, son indignation en faisant une femme moderne inapte à la soumission attendue. En effet, tout l’entourage lui rejette la faute quant à ses réactions outrées par le comportement de son époux, à l’humiliation de la tromperie s’ajoutant la demande par Iwago qu’elle élève l’enfant qu’il a eu avec sa maîtresse. La bonté de Kiwa prendra une nouvelle fois le dessus et elle s’occupera de la petite Ayako (Kaori Takahashi) comme sa fille. Gosha montre subtilement comme ce conditionnement avilit Ken (Ryûzô Tanaka) fils aîné d’Iwago prenant le même chemin, et brise le plus fragile Ryu (Jun'ichi Inoue) cadet au tempérament doux. A l’inverse Kiku choyée par sa mère représente la dévotion filiale même, tandis qu’Ayako est plus ambiguë, partagée entre les bons préceptes maternels et le matérialisme froid paternel. 

Hideo Gosha ne se montre jamais caricatural dans son traitement en creusant les archétypes que représentent les époux. Iwago est un produit de son environnement sordide (tout comme les femmes qu'il a vendu qui se sentent redevables et le séduisent comme Someyu (Yûko Natori)), plusieurs fois l’on comprend qu’il aime sincèrement sa femme (lorsque blessé il se rend à son chevet à l’hôpital) mais qu’il effectue une séparation claire entre son métier, son attirance pour d’autres femmes, que Kiwa ne doit surtout pas contester. Même quand il tente un rapprochement, une forme de réconciliation, il le manifeste sous forme d’ordre brutal que son épouse doit savoir interpréter selon lui. Une des dernières scènes est très parlante là-dessus lors de l’ultime entrevue du couple, où la composition de plan les rapproche et les sépare à la fois à cause d’un Iwago incapable de se livrer et d’avouer que Kiwa lui manque. 

Quant à Kiwa, Gosha n’en fait pas une sainte mais travaille la notion d’empathie de celle-ci par le jeu du champ contre champs, les raccords regards où elle est toujours en interaction avec un protagoniste souvent juvénile et vulnérable qu’elle voudra soutenir. Cet effet est reproduit plusieurs fois, et particulièrement lors du long cheminement personnel qui l’amène à s’occuper de Ayako bébé, c’est la dévotion autant que l’instinct maternel que fait ressentir Gosha. A l’inverse Iwago traverse les espaces sans un regard, parait toujours un élément séparé hormis quelques exceptions et l’interaction aux autres (aux femmes surtout) se fait selon son seul désir charnel. Gosha reproduit plusieurs fois des compositions de plan offrant un tableau où Iwago domine, observe puis s’empare physiquement des femmes qu’il convoite puis les détourne lors de l’ultime rencontre avec Kiwa pour signifier qu’elle, il ne la domptera pas/plus.

La magnifique dernière scène en montage alterné est un parfait résumé du propos. Kiwa dans un dernier sacrifice s’éloigne définitivement de cet homme qui l’a tant faite souffrir, observe son foyer à distance et s’éloigne sans un mot. A l’intérieur Iwago après s’être montré impassible et stoïque aux yeux de tous, déchaîne seul sa colère, son dépit, de n’avoir pas su retenir Kiwa, entre fierté mal placée et chagrin sincère. C’est l’opposition entre ce cœur débordant d’amour et cet autre incapable de le manifester qui fait toute la force du drame. La facette yakuza/geisha est vraiment mise de côté dans ce troisième film pour privilégier le magnifique mélo – seul regret le beau personnage de Kiku qui disparait presque de l’histoire à mi-parcours. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side
 

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