Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 27 novembre 2018

After Life - Wandafuru raifu, Hirokazu Kore-eda (1998)


Dans un endroit mystérieux entre ciel et terre, les morts doivent mettre en scène un film revenant sur le temps le plus fort de leur vie passée. Ils sont accueillis par des employés sereins qui les reçoivent séparément dans un bureau pour leur expliquer le déroulement de cette remémoration. Une fois choisie, celle-ci sera refaite pour qu'ils puissent s'endormir à jamais avec ce souvenir.

L’argument d’un purgatoire décalé et vu comme une sorte d’espace de transition à l’imagerie administrative est un classique notamment dans le cinéma anglo-saxon avec des films comme Le Ciel peut attendre d’Ernst Lubitsch (1943), Une Question de vie ou de mort de Michael Powell et Emeric Pressburger (1946) ou encore Le Défunt récalcitrant d’Alexander Hall (1941). Cela sert généralement un récit jouant de façon décalée sur l’interaction entre cet au-delà et la vie terrestre dans un regard tendre sur l’existence passée du protagoniste. Tous ces éléments se trouvent dans une approche radicalement différente le film d’Hirokazu Kore-eda.

On évite dans un premier temps le cliché de l’imagerie onirique rococo pour un espace austère où se retrouvent les morts après leur décès. Là des guides les incitent à choisir un moment clé de leur vie qui sera reconstitué pour être le seul souvenir qu’ils garderont lors de leur passage dans l’au-delà. C’est l’occasion d’une belle galerie de portraits à travers les souhaits et hésitations des protagonistes quant au souvenir à emporter. Kore-eda adopte une mise en scène préfigurant presque les codes de la télé-réalité avec un cadrage façon « confessionnal » mais où l’hésitation entre la froideur « administrative » (l’interlocuteur relançant de quelques questions et précisions sur le passé du répondant) et une émotion sincère qui s’instaure avec l’étirement sans artifices des confidences du défunt en transit. 

Tout tient dans les hésitations, le franc lâcher prise et les dissimulations des protagonistes, les raisons allant du déni à la fanfaronnade (ce vieillard faisant mine de choisir un souvenir sexuel) et créant ainsi une tonalité comique ou plus ouvertement dramatique. Ce qui rendra inoubliable certaines des plus belles réussites à venir de Kore-eda (Still Walking (2008), Notre petite sœur (2015)) c’est cet art de capturer un moment de bonheur, de plénitude suspendue, où l’harmonie de l’environnement se conjugue à l’amour que se portent les personnages. Si toute sa filmographie se concentre à dépeindre ces instants, After life s’applique à exprimer l’empreinte qu’ils auront laissés à ceux qui les auront vécus. Le réalisateur ne cède pas au flashback facile ou à la reconstitution ludique mais effectue plutôt une mise en abîme de son travail de réalisateur par les préparatifs, la quête d’émotion des agents de l’au-delà pour recréer les souvenirs dont nous ne verrons que des esquisses. 

On pourrait craindre que cette dimension « méta » place le spectateur à distance mais un élément narratif va changer la donne. Les agents sont en effet des défunts qui n’ont jamais pu choisir un moment de leur vie et n’ont ainsi jamais pu gagner l’au-delà. Les interactions avec les personnes qu’ils accompagnent les renvoient ainsi à leurs doutes. Le cheminement est donc double et questionne quant à notre rapport à la mort : un éternel recommencement, un lien inébranlable à notre passé ou un renouveau où tout est à effacer dans un ailleurs inconnu. Le réalisateur ne convoque aucune imagerie religieuse et mise sur une veine humaniste où tous les choix sont possibles et acceptables. La mort n’est qu’une étape de plus pour savoir qui l’on est. Une belle réussite dont il faut juste apprivoiser le ton austère. 

Sorti en dvd zone 2 français chez MK2

lundi 26 novembre 2018

Opération clandestine - The Carey Treatment, Blake Edwards (1972)

Le docteur Peter Carey rejoint son nouveau poste dans un hôpital de Boston, dirigé par le docteur J.D. Randall et où travaille un de ses amis, le docteur David Tao. Il y fait la connaissance de Georgia Hightower dont il tombe amoureux. Bientôt, il apprend l'arrestation de Tao, accusé d'avoir pratiqué un avortement illégal sur Karen Randall, fille de J.D., qui vient de mourir d'une hémorragie interne peu après son arrivée aux urgences de l'hôpital. Convaincu de l'innocence de son ami, Carey mène une enquête parallèle.

Opération clandestine s'inscrit dans une période creuse de la filmographie de Blake Edwards. Le succès commercial le fuit tandis que le montage de plusieurs de ses films lui échappe sur Darling Lili (1970), Deux hommes dans l'Ouest (1971) et donc Opération clandestine. Cela n'empêchera pas la vraie réussite artistique de ces trois films mais laissera au réalisateur un ressentiment qui s'exprimera plus tard dans le furieux S.O.B. (1981).

Opération clandestine marque l'introduction de Michael Crichton dans le monde du cinéma avec cette première adaptation d'un de ses romans, signé sous pseudo au vu du sujet médical polémique alors qu'il officie encore à la faculté de médecine d'Harvard. Le récit nous plonge dans le quotidien d'un hôpital de Boston où le docteur Peter Carey (James Coburn), fraîchement arrivé fait figure d'électron libre. Cela passe d'abord pas le jeu décontracté et séducteur de Coburn, en contradiction avec l'attitude ambiante guindée et déférente envers le tout puissant J.D. Randall (Dan O'Herlihy), directeur de l'établissement.

Lorsque le drame se noue avec la mort accidentelle de la fille adolescente de Randall, cette présence poil à gratter de Carey prend tout son sens. L'accusé idéal est en effet le docteur Tao (James Hong), accusé d'avoir avorté grossièrement la jeune fille. L'introduction aura habilement mis en place les jeux de pouvoirs et les échelles sociales de l'hôpital où l'on comprend vite que Tao l'émigrant chinois fait un coupable idéal face à la bourgeoisie WASP en place. Carey mène l'enquête pour innocenter son ami et le tempérament gouailleur du personnage sert un regard ironique où Edwards met à jour l'hypocrisie sociale ambiante, se développant au-delà même de l'hôpital avec notamment la complaisance de la police.

C'est cette approche qui domine, la dimension purement policière et thriller ne s'amorçant vraiment que dans les quinze dernières minutes. Auparavant Edwards tisse une atmosphère désabusée dans les portraits dépeints sur toutes les strates sociales (adolescentes livrées à elles-mêmes, parents démissionnaires et alcooliques) tout en creusant la personnalité de Carey porté par une interprétation subtile d'un étonnant James Coburn.

Le ton mélancolique fonctionne particulièrement dans la romance qui se noue avec le personnage de Jennifer O'Neill, mais leur scènes en commun semblent être les principales victimes des coupes du studio. L'alchimie fonctionne mais l'on finit un peu frustré de ne pas avoir eu cet aspect plus développé. Une belle réussite néanmoins pour Blake Edwards mais un nouvel échec au box-office, le succès ne revenant qu'avec la reprise de la saga de La Panthère Rose.

 Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

dimanche 25 novembre 2018

Une semaine de vacances - Bertrand Tavernier (1980)


Lyon, hiver 1980, une jeune enseignante, professeur de français, doutant d'elle-même et de sa vocation, prend une semaine d'arrêt de travail pour surmenage. Une semaine de réflexion sur sa vie et sa carrière.

Une semaine de vacances est un opus méconnu de Bertrand Tavernier, en tout cas moins que d’autres s’inscrivant dans une sorte de cycle « lyonnais » dans sa filmographie comme l’inaugural L’Horloger de Saint-Paul  (1974). A l’origine du film on trouve l’ouvrage Je suis comme une truie qui doute de Claude Duneton, réflexion de l’auteur sur sa condition d’enseignant. Bertrand Tavernier captivé par le livre décide de le transposer mais à travers un personnage féminin. Par soucis de véracité Tavernier va collaborer avec l’enseignante  Marie-Françoise Hans au scénario, et tenir compte de plusieurs témoignages sur le métier. 

Tout comme L’Horloger de Saint-Paul, Une semaine de vacances est un grand film sur le doute. Le film de 1973 développait son doute sur un drame personnel baignant dans le fait divers, Une semaine de vacances scrute ce doute dans une approche purement intime et existentielle. Laurence (Nathalie Baye) jeune prof de français se trouve soudain pris par une lassitude, un questionnement face à sa profession et sa vie. Elle va se voir prescrire une semaine de congés durant laquelle tout pourrait être remis en question. L’errance mentale et géographique du personnage est ainsi entrecoupée de flashbacks sur sa vie intime et professionnelle qui montrent les prémisses et entre en résonnance de ses interrogations. 

Bertrand Tavernier tisse ce mal-être dans un parallèle sociétal, personnel et formel. Le dépit de Laurence s’exprime notamment face aux élèves qu’elle trouve éteints, sans curiosité ni aspiration. Le réalisateur adopte le regard subjectif et blasé de son héroïne en montrant effectivement durant les scènes de classe les élèves comme une même entité uniforme et mollassonne. Une scène avec le personnage de médecin joué par Philippe Léotard développe ainsi la difficulté d’un enseignement en mutation entre les avancées de mai 68 et les fondamentaux, que ce soit dans le relationnel avec les élèves ou de la nature profonde du savoir à transmettre. 

Le petit ami qu’incarne Gérard Lanvin est un prolo pétri de certitudes de vie plus concrètes notamment dans la vie amoureuse (un désir d’enfant) alors que la supposée détentrice du savoir cède à une introspection pétrie de doute. La ville de Lyon est un autre personnage du film, la grisaille et la brume de cet environnement illustrant les attentes incertaines de notre héroïne. L’introduction fait d’ailleurs office de note d’intention avec travelling panoramique aérien sur le Rhône, flottant et avançant à contre-courant du fleuve comme signifier annoncer le « pas de côté » de Laurence face à son quotidien. 

La caméra avance vers le Pont Winston-Churchill pour rattraper la voiture qu’occupent Pierre (Gérard Lanvin) et Laurence qui va, oppressée de tout, sortir brutalement du véhicule. Tout cela fait vraiment du film une variation rajeunie et au féminin de L’Horloger de Saint-Paul où Philippe Noiret promenait également son spleen et son incompréhension au monde qui l’entourait à travers une déambulation lyonnaise - l’été de 1974 cédant à l’hiver 1980. La boucle est bouclée avec l’apparition de Philippe Descombes, héros de L’Horloger de Saint-Paul qui vient en quelque sorte donner sa vérité à Laurence quant à la période qu’elle vit.  C’est d’ailleurs un élément très personnel à Tavernier qui admet se ressourcer par une promenade dans sa ville de Lyon lorsqu’il est en proie  l’angoisse et au doute.

La ligne narrative tient aux errements de Laurence, tout en circonvolutions, sursaut de joie et descente de désespoir à travers de très beaux moments. On pense aux rencontres avec le beau personnage de Michel Galabru, Laurence rassurant une élève en plein doute ou encore la visite chez les parents (qui annonce Un dimanche à la campagne (1984)). Dans cette idée, pas d’évènements ou de rebondissements faciles pour amorcer le retour à la lumière de Laurence, seul l’amour du métier et le vrai sacerdoce guide ce renouveau. La nature à la fois concrète et incertaine d’un mal-être aura rarement été capturée avec autant de justesse et donne un des films les plus attachants de Bertrand Tavernier. 

Sorti en dvd zone 2  français chez Studiocanal

Extrait

lundi 19 novembre 2018

L'Homme de Berlin - The Man between, Carol Reed (1953)



Venue rendre visite à son frère Martin à Berlin-Ouest, Susan Mallison rencontre Ivo Kern, un ami de Bettina, l'épouse de Martin. Elle découvre que l'homme est le mari de Bettina que celle-ci croyait mort. Ivo est en réalité un agent d'espionnage de l'Est qui force sa femme à travailler pour lui. Son chef, Halendar décide de kidnapper Bettina pour la forcer à livrer un de ses amis, Olaf Kastner, responsable d'un réseau d'évasion vers l'Ouest. Mais les agents se trompent et ils enlèvent Susan. Tombé amoureux de celle-ci, Ivo décide de la sauver.

L’Homme de Berlin est une œuvre restée dans l’ombre d’un des sommets de la filmographie de Carol Reed, Le Troisième homme (1949). Le postulat voisin avec cette intrigue d’espionnage situé dans une Europe vaincue et sinistrée d’après-guerre a forcément engendrée une comparaison défavorable à sa sortie. A postériori, la période où se situe l’intrigue a également une moindre portée dramatique que certains grands films d'espionnages produit après l’édification le Mur de Berlin (édifié en 1961) comme L’Espion qui venait du froid (1965). La plus grande différence avec Le Troisième homme sera cependant thématique et dramatique.

 Le Troisième homme avait été écrit par Graham Green, vrai espion durant la Deuxième Guerre Mondiale et qui y greffait là de vraies affaires s’étant déroulés durant le conflit. Le réalisme cru de ce Vienne d’après-guerre se mélangeait ainsi à une atmosphère expressionniste et hallucinée témoignant du mal poreux et corrupteur de cet environnement. C’est cette découverte qui accompagne le voyage de Joseph Cotten vers les ténèbres alors que L’Homme de Berlin évoque plutôt un retour à la lumière, une rédemption. C’est à travers le regard innocent de Susan (Claire Bloom) que l’on découvre le contexte de Berlin, nid d’espions où se disputent les hommes et leur secret entre l’Est et l’Ouest. Ces enjeux reposent sur le passé des personnages et Carol Reed les inscrits dans un extérieur paranoïaque avec des protagonistes troubles observant les pérégrinations de Susan, mais également dans l’intime à travers la présence angoissée de sa belle-sœur Bettina (Hildegard Knef). Les stigmates de la guerre s’incarnent dans les paysages en ruines et la pauvreté ambiante, et par la culpabilité des personnages. Ivo Kern (James Mason) est le visage de cette culpabilité pour Bettina et traîne lui-même un détachement affectif comme patriotique issu des horreurs passées.

Tout le trouble passe, contrairement au Troisième Homme, lors de scènes de jour où se disputent manipulation et rapprochement sincère entre Susan et Ivo. On a une héroïne « vierge » de ce passé (et probablement encore enfant lors des évènements) s’attachant à un être hésitant toujours entre intérêt personnel et amour naissant. James Mason est une nouvelle fois extraordinaire en incarnant une figure inquiétante par ce qu’elle représente (l’opportunisme et l’individualisme au-delà du choc des blocs) et au romantisme tragique dans l’humanité qu’elle dégage. Le dialogue où il explique comment la guerre l’a délesté de ses états d’âmes est à ce titre poignant, le chaos d’une ère ayant balayé les possibles âmes nobles en devenir – la formation d’avocat d’Ivo s’avérant inutile en ces heures troubles. Carol Reed atténue l’ambiguïté au fil de la révélation d’enjeux plus intimes qu’idéologiques. 

 Les dialogues initiaux jouent des différentes langues des protagonistes. Dans un premiers temps les échanges en allemands ne sont ni traduit, ni sous-titrés, pour égarer le personnage de Susan lorsqu’elle y assiste mais également pour semer cette suspicion chez le spectateur avec l’absence de sous-titres. Carol Reed cède pourtant progressivement à faire parler anglais à ses personnages allemands, non par convention mais pour clarifier le positionnement de chacun. Quand Le Troisième Homme nous plonge dans un univers trouble où le héros ne distinguait plus le bien du mal, les alliés des ennemis, L’Homme de Berlin fait de son héroïne « extérieure » un ange rédempteur qui va extraire Ivo de cette fange. Dès lors les dédales urbains nocturnes du Troisième Homme sont à l’inverse ceux qui lèvent l’ambiguïté dans la fuite de Susan et Ivo. 

Les contre-plongées déroutantes sont bien là, les éclairages expressionnistes oppressants aussi (superbe travail de Desmond Dickinson), mais l’angoisse de la menace latente s’estompe avec la confiance que peut enfin faire Susan à Ivo. La scène charnière de cette bascule sera lorsqu’Ivo devance Susan et disparait dans une ruelle en la laissant livrée à elle-même dans la nuit berlinoise. Carol Reed multiplie les effets soulignant la terreur de l’héroïne aussitôt importunée par un automobiliste, avant qu’Ivo ressurgisse pour la sortir de ce mauvais pas. Le personnage retrouve une aura noble dans le regard de Susan, elle-même passant de la jeune fille innocente à la femme dans un moment où le romantisme se dispute à une sensualité osée pour le prude cinéma anglais – avec Claire Bloom déguisée en « poule » berlinoise pour donner le change aux poursuivants. 

 Les odyssées nocturnes servant de révélateurs sont au cœur de l’œuvre de Carol Reed, que ce soit pour surmonter un deuil dans Bank Holiday (1938), tragique dans Huit heures de sursis (1947) et formatrice pour l’enfant de Première désillusion (1948). Le suspense certes bien présent importe cependant moins que l’accomplissement moral, ce qu’une magnifique et sacrificielle scène finale vient souligner. Une belle réussite qui mérite de sortir de l’ombre du Troisième Homme

Ressortie en salle le 21 novembre

Extrait de la scène d'ouverture