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vendredi 16 novembre 2018

Mysterious Skin - Gregg Araki (2004)


A huit ans, Brian Lackey se réveille dans la cave de sa maison, le nez en sang, sans aucune idée de ce qui a pu lui arriver. Sa vie change complètement après cet incident : peur du noir, cauchemars, évanouissements... Dix ans plus tard, il est certain d'avoir été enlevé par des extraterrestres et pense que seul Neil Mc Cormick pourrait avoir la clé de l'énigme. Ce dernier est un outsider à la beauté du diable, une petite frappe dont tout le monde tombe amoureux mais qui ne s'attache à personne.

Gregg continue à s’intéresser aux marginaux dans Mysterious Skin tout en se délestant de l’approche tapageuse de sa fameuse trilogie de l’apocalypse (Totally Fucked Up (1993), The Doom Generation (1995) et Nowhere (1997)). Le sujet très sensible du film (la pédophilie et ses répercussions sur les victimes) demandait en effet une tonalité plus en retenue, ce qui permet une passionnante évolution pour Araki qui filme pour la première fois une histoire dont il n’est pas l’auteur en adaptant le roman de Scott Heim. 

Ce qui a fait de Brian (Brady Corbet) et Neil (Joseph Gordon-Levitt) des marginaux, c’est un traumatisme d‘enfance qu’ils ont vécu de manière différente. Brian, cadet choyé d’une famille wasp classique occulte l’abus qu’il a subit par une interprétation biaisée (un enlèvement extraterrestre) et des réminiscences physiologiques (saignement de nez, évanouissement) qui traduisent un trouble qu’il ne peut s’expliquer. Neil fils unique d’une famille monoparentale et souvent livré à lui, est plus conscient des actes auxquels il a été confronté tout en en ayant également une vision altéré. Gregg Araki évite ainsi le cliché des familles dysfonctionnelles propres à faire de leurs progénitures des proies idéales aux prédateurs sexuels. Chaque foyer comporte ses failles (l’absence concrète ou symbolique du père étant la principale) tout en constituant des cadres aimants (très beau personnage de mère libéré d’Elizabeth Shue) qui n’empêchent pas les personnages d’être exposés à l’horreur.

L’illustration de l’abus constitue une manière de caractériser Brian et Neil pour Araki. La relation complice qu’entretient Neil avec l’entraîneur de base-ball (Bill Sage) n’expose son anormalité que de façon fugitive à travers le point de vue subjectif de l’enfant, chaque transgression ayant une dimension « ludique » jusqu’à l’irréparable. L’introverti Brian occulte totalement la chose même si le subconscient (les scènes de rêve, le dessin de l’alien kidnappeur portant des baskets de base-ball) laisse ressurgir la vraie horreur qu’il refoule par l’enlèvement extraterrestre. Araki filme ainsi les conséquences et la reconstruction des héros à travers la reconstitution qu’ils feront de leur agression. Neil qui s’est senti aimé et valorisé dans cette relation recherche un rapport similaire en se prostituant auprès d’adultes pathétiques. Brian s’égare également auprès d’excentriques victimes d’ET, tandis que le puzzle passé se rassemble pour une réalité bien plus sordide.

Gregg Araki fait montre d’une pudeur palpable dans le traitement de son sujet où tout passe par la mise en scène. L’agression assez frontale de Neil est ainsi découpée de manière à rendre la scène à la fois surréaliste et crûment réelle. Le découpage sépare enfant et adulte (les scènes furent effectivement tournées séparément) pour exprimer l’approche subjectif par un gros plan qui capture ses sensations, à la fois extérieur et partie prenante de l’instant. La figure de l’adulte prenant des attitudes et une gestuelle inappropriée surgit comme dans un rêve pastel, tout en tendresse manipulatrice plutôt que par la violence. Araki peut retrouver le style plus démonstratif d’antan pour saisir le ressenti de Brian, les éclairages bleus et jeux d’ombres marqués traduisant son interprétation surnaturelle de l’abus. Les effets de montage heurtés jouent de l’ellipse pour revenir brutalement sur le visage hébété de l’enfant, traumatisé pouvoir en expliquer la raison.

L’interprétation remarquable vient compléter le tableau, Joseph Gordon-Levitt tout en présence malingre et taciturne et Brady Corbet semblant n’avoir jamais quitté la sidération de ce moment fatidique de son enfance. Lorsque les personnages se montreront prêts à affronter ce qu’ils ont vécu et fait, la pudeur des images n’a d’égale que la crudité de la confession. La fin ouverte ne nous dit pas s’ils se remettront, mais l’essentiel était de l’accepter, tel est le cœur du film dont l’univers se réduit à la connexion des victimes dans sa dernière image.

Sorti en dvd zone 2 français chez MK2

 

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