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mardi 17 novembre 2020

The Terrorizers - Kǒngbù fènzi, Edward Yang (1986)

À Taipei, trois couples interagissent de façon involontaire. Un photographe et sa petite amie ; une délinquante et son complice ; une romancière et son mari - qui travaille dans un hôpital.

The Terrorizers est le troisième long-métrage d'Edward Yang, où il poursuit son observation de cette mue de Taïwan vers la modernité et de ses conséquences sur les individus. On peut considérer que le film constitue une sorte de trilogie avec Tapei Story (1985) qui précède et Mahjong (1996) qui suivra où le réalisateur capture juste un moment précis de cette transformation de Taïwan. Tapei Story se situe dans un entre-deux vers cette modernité à travers les hésitations des personnages, The Terrorizers évoque les conséquences de cette transformation sur les individus tandis que Mahjong observe la possible échappée de cette aliénation dans une veine plus romanesque - amorcée avec A Brighter Summer day (1991). The Terrorizers prolonge l'approche austère de Tapei Story dans une intrigue tortueuse où Edward Yang scrute juste une population dont les perspectives ont changée par rapport au film précédent. 

Dans Tapei Story la métamorphose de la ville se conjuguait à l'échec d'un couple l'homme restait patauger dans la tradition quand la femme endossait cette nouvelle réalité capitaliste, et parallèlement on voyait la jeunesse taïwanaise s'imprégner d'un hédonisme tout occidental. Cependant cela restait comme dit plus haut une situation d'entre-deux, les sentiments existaient encore (le contexte n'était qu'une conséquence supplémentaire à d'autres problèmes du couple toujours amoureux) et la scène de boite de nuit était une des plus rafraîchissante du film. Tout change dans The Terrorizers où l'égoïsme et l'ambition deviennent prégnant. L'aspirante romancière jouée par Cora Miao semble initialement souffrir d'un mal-être existentiel dans son mariage, sa carrière et un ancien amour (Shi-Jye Jin) avec lequel elle noue une liaison. 

Il suffira pourtant que de manière inattendue son roman rencontre le succès pour que tout semble résolut, la seule ambition de reconnaissance et de célébrité suffisant à son bonheur. Le jeune photographe (Shao-Chun Ma) parait aussi poursuivre une quête plus profonde dans sa fuite d'un service militaire imminent et de son obsession amoureuse pour la délinquante (Wang An) dont il conserve précieusement la photo d'elle qu'il a pris à la dérobée. Là encore au détour d'un dialogue où il évoque un ancien camarade devenu chanteur célèbre, les aspirations plus superficielles qu'artistiques du personnage éclatent au grand jour. De plus son existence gentiment bohème s'avère être une fumisterie quand à cours d'argent, il retourne à son environnement aisé dans la dernière partie du film (Edward Yang soulignant bien les signes voyant de richesse comme la piscine pour souligner la vacuité du personnage). Enfin la jeune mène une existence sans but, fait d'arnaque et de violence.

Edward Yang en fait des archétypes d'une certaine mentalité individualiste, notamment dans la scène d'ouverture où ils constituent une sorte de microcosme amené à se croiser furtivement au détour d'un quartier en pleine agitation. Il y malgré tout une tentative d'explication, des ouvertures pouvant aboutir à autre chose et parfois un semblant d'humanité offert aux personnages (Cora Miao frustrée de ne pas avoir d'enfant, la délinquante peut être perturbée par ses origines eurasienne et l'absence de père, son beau geste lorsqu'elle rend les appareils photos volés). Mais le jeu des hasards et coïncidences qui relie les protagonistes n'est là que pour souligner cet individualisme au bout du compte, le plus cynique étant Cora Miao qui s'en sert pour nourrir la matière de son roman et y faire figurer son entourage. Comme toujours ces problématiques s'illustrent dans le traitement de l'espace par Yang. 

On pense par exemple au travail sur le cadre et la profondeur de champ qui souligne la distance du couple lorsque le mari de Cora Miao (Lichun Lee) la rejoint timidement au bureau où elle écrit et reste figé sur le pas de la porte. Plus tard le semblant d'amorce romantique entre le photographe et la délinquante est freiné par l'espace qui se crée entre eux dans la pièce et, quand ils se rapprochent pour un baiser la photo se fait plus sombre pour masquer la duplicité du visage de la jeune femme avant sa trahison. Les environnements urbains ne soulignent plus seulement la modernité mais aussi la déshumanisation dans la manière notamment dont se fond la délinquante dans les galeries commerciales où elle aguiche ses victimes, les boites de nuit où elle les séduit et les chambres d'hôtel où elle les détrousse. Même chose pour Cora Miao qui après avoir quitté le foyer conjugal n'existe plus à l'image que par ce clinquant capitaliste, que ce soit l'entreprise au mobilier recherché au sein de laquelle elle travaille, ou les écrans de télévision démultiplié où elle apparait après le succès de son livre.

La seule exception est le mari, qui ne poursuit ses petites ambitions (devenir chef de service) que dans l'espoir de reconquérir sa femme. Cette quête futile dans l'environnement carnassier où il évolue en fait un faible toujours méprisé, et ce jusque dans la manière d'en finir dans la double conclusion. La première interprétation donne dans la quête vengeresse, égoïste et nihiliste mais finalement même de cela, le personnage trop doux en est incapable et ne s'en prendra qu'à lui-même. La fluidité de ce double épilogue rejoint le dialogue qui se fait par le montage, le travail sur le son, entre toutes les intrigues pour finalement saisir un zeitgeist plus global de Taïwan à ce moment de son histoire. 11 ans plus tard Mahjong (précédé de l'interlude rétro A Brighter Summer day situé dans les annéées 60) en poursuivant cette histoire contemporaine de Taïwan par la ville montrera le jusqu'au boutisme de cet arrivisme capitaliste, mais pour paradoxalement en proposer une sortie dans sa fougue romanesque juvénile.

 Sorti en bluray et dvd zone 2  français chez Spectrum Films

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