Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 6 novembre 2020

Kika - Pedro Almodovar (1993)

Kika est une maquilleuse pour la télévision croquant la vie à pleines dents. Elle vit avec Ramón, un homme hanté par la mort de sa mère. Andrea, l'ancien amour de Ramón, est une présentatrice de télévision sans scrupules qui exploite le malheur des gens.

Attache-moi (1989) et Talons aiguilles (1991) avaient vu Pedro Almodovar non pas s’assagir, mais du moins se rendre plus accessible en amplifiant la part de mélodrame et de romanesque à travers ces deux films – ce que confirmera plus tard le virage Tout sur ma mère (1999). Kika constitue donc une belle réminiscence du Almodovar tapageur d’avant avec cette dose d’outrance et d’inattendu. Le scénario comme souvent sacrément dense oppose la fétichisation et l’obsession masculine face à la sensibilité et l’audace féminine. Les hommes sont faibles, manipulateurs et ambigus à la manière du jeune Ramon (Álex Casanovas) et de son trouble beau-père Nicholas (Peter Coyote). Ramon ne vit que dans le souvenir de la mort tragique de sa mère, ce qui en affecte sa relation aux femmes. Cet aspect est également problématique pour Nicholas dont la culpabilité sur cette mort plane tout le film.

Almodovar initie cette part sombre par la référence cinéphile qui anticipe toutes les tares des personnages masculins. La scène d’ouverture où Ramon shoote compulsivement un mannequin lors d’une séance photo est une réminiscence du Blow-up d’Antonioni (1966), plus tard ce même Ramon installe Nicholas dans une chambre où trône un poster de Le Voyeur de Michael Powell (1960) et les personnages regardent un extrait de Le Rôdeur de Joseph Losey (1951) lors d’une séquence. Tout cela constitue des éléments implicites auxquels s’ajoutent d’autre plus visibles (Ramon adepte de la photo même durant ses ébats) qui renforcent le manque de confiance que l’on a dans les figures masculines. A l’inverse les femmes, loin d’être montrées comme parfaites, sont cependant des livres ouverts d’émotions ce qui les rend immédiatement attachante. Almodovar ne sème aucun doute quant à leurs secrets dans sa narration, dans les dialogues crus qu’il leur attribue et dans le jeu même tout en emphase de son casting. La relation adultère de Kika (Verónica Forqué) est révélé au spectateur d’emblée et elle la confessera sincèrement à son homme par la suite. La liberté sexuelle de Juana (excellente Rossy de Palma) dans tout ce qu’elle a de spontané, parfois dérangeant et immoral (on parle d’inceste en toute décontraction) est admise par cette dernière le plus simplement du monde.

Par cette opposition de sensibilité, le film offre une mosaïque et un mélange des genres déroutant. On a en fil rouge un thriller whodunit, une critique de la télévision racoleuse (Victoria Abril génialement en roue libre) et une étude de mœurs où se déchaînent les amours contrariés. Dans ce cadre Almodovar ose absolument tout, notamment un long gag autour d’une situation de viol (qui ne passerait plus aujourd’hui), une alternance/mélange de grotesque et de pure noirceur où l’on ne sait si l’on doit rire où s’offusquer. L’évadé de prison obsédé sexuel symbolise totalement cela, personnage totalement ridicule dans les attitudes compulsives mais dont les agissements font rire jaune. Dans l’ensemble, les hommes poursuivent leurs petits désirs terre à terre dans des actions douteuse voire horrible quand les femmes aspirent à une liberté d’être plus universelle. 

La zone grise existe autour du personnage de Ramon plus faible de caractère que vraiment nocif (malgré une sacré révélation à mi-film sur lui) et de Victoria Abril certes indépendante mais à un prix moralement discutable. Almodovar façonne un film-monde où le réel n’existe pas vraiment, entre les reportages absurdes de l’émission de reality-show, les vues urbaines extérieures totalement factices à l’intérieur de l’appartement ou cette villa hors du temps et du monde qui laisse s’exposer les secrets et cadavres. Les femmes y sont en fait étouffées dans le fantasme masculin et tous les excès outrageants (le voyeurisme, l’inceste et le viol) d’Almodovar sont en fait là pour signifier cela (le frère violeur étant la personnification grotesque et monstrueuse de tout ces maux), le réalisateur estompant les artifices quand il faut capturer le sentiment profond de ses héroïnes (la réaction de Kika après son agression). 

L’horizon ne s’ouvre réellement que dans cette vue d’autoroute et de grand espace de la dernière scène. Kika aura peu avant arraché sa bague de fiançailles, et se sentira désormais libre de tracer son chemin libre de ses envies. 

Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 vidéo

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