Une jeune femme, Susan
Gilvray, surprend un rôdeur en train de l'observer par la fenêtre de sa salle
de bains. Effrayée, elle appelle la police : deux officiers viennent alors
effectuer une ronde dans son quartier. L'un des deux, Webb Garwood, entreprend
alors de séduire Susan. Devenu l'amant de la jeune femme, le policier élabore
un plan d'une grande perversité pour se débarrasser de son époux et empocher
l'assurance-vie.
Le Rôdeur est un
des sommets de la brève carrière américaine de Joseph Losey. A première vue on
peine à déceler l’originalité et la noirceur de sa célébrée période britannique
dans un script qui semble archétypal du film noir et vague ersatz du Assurance sur la mort de Billy Wilder
(1944). Le projet est initié par John Huston qui rachète les droits d’une
histoire de Robert Thoeren afin de renflouer avec une production à bas coût sa
compagnie de production dans le rouge après l’échec de We were strangers (1949). Evelyne Keyes, épouse de Huston et sympathisante
communiste suggère alors le nom de Joseph Losey pour réaliser le film où elle
tiendra la vedette. A cela va s’ajouter un Dalton Trumbo déjà blacklisté en
besoin de liquidité qui va prendre en charge le script. Une bonne part de la
noirceur et provocation du film doit beaucoup à sa plume.
Le Rôdeur est une
critique corrosive de l’American Way of Life où toute la différence avec les
archétypes du film noir se fait dans la caractérisation des personnages. Susan
(Evelyne Keyes) et Webb (Van Heflin) ont en commun leurs origines provinciales,
leurs rêves déçus et leur quotidien terne. Quand Susan aura échoué dans sa
carrière d’actrice et fini dans un mariage solitaire et sans enfant, Webb a lui
renoncé à son rêve de réussite sociale en échouant à l’université pour mener
une existence de flic qui le mine. Les deux personnages sont donc consciemment
(Webb) ou pas (Susan) en attente de quelqu’un ou de quelque chose qui les
feraient échapper à leurs destinées gâchées. Ce sont des éléments qui se
devinent de façon presque subliminale après coup notamment dans la scène d’ouverture.
Ainsi Susan ne provoque- t- elle pas volontairement une réaction en s’exposant
en serviette au regard du rôdeur, et ce dernier ne pourrait-il déjà pas être
Webb qui fera preuve d’une aisance étonnante quand il viendra observer les
lieux en uniforme de flic ?
Tous ces éléments sous-jacents se confirmeront lorsque les
personnages se rapprocheront pour nouer une liaison adultère. L’ambiguïté
intervient quand on comprend que pour combler pleinement leur frustrations
(sociales, sexuelles, financières), cette liaison doit aboutir à la mort de l’époux
gênant de Susan. Là encore la finesse est de mise puisque cet assouvissement
immoral sera concret dans la manœuvre criminelle de Webb et tacitement « admis »
par Susan qui ferme les yeux sur les ambiguïtés du discours de son amant
(notamment lorsqu’elle feint de ne pas le reconnaître durant la scène de
procès). L’interprétation est magistrale avec un Van Heflin qui teinte son
emploi habituel de Monsieur tout le monde d’une noirceur qui provoque l’empathie
pour Webb réduit à un désespoir criminel pour échapper à la médiocrité. Evelyne
Keyes dégage quant à elle une sensualité angoissée de tous les instants, à la
fois victime et complice (tout le personnage repose là dessus, notamment les scènes d'amour où la morale se dispute au désir) du drame en marche.
Joseph Losey excelle à observer toute cette part d’ombre et
anticipe déjà tout le regard désabusé de sa période anglaise sur la nature
humaine. Le plan-séquence en plongée lors de la scène de mariage semble déjà
fixer un regard inquisiteur divin et funeste sur le couple et le final dans la
ville fantôme les mets à nu. Les bruits du vent puis les voix d’outre-tombe les
expose à leur culpabilité, quand leur propres voix ne les trahissent pas avec l’aveu
pécuniaire glaçant et désespéré de van Heflin. Joseph Losey observe la
médiocrité ordinaire et les extrémités auxquelles sont conduits les rejetés de
l’American Way of Life. La force du film est de tenir un équilibre ténu entre
critique cinglante et regard presque apitoyés sur des héros qui court à leur
perte.
Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side
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