Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 15 juillet 2018

Passion - Manji, Yasuzo Masumura (1964)


Sonoko, issue d'une riche famille bourgeoise, est mariée à un grand avocat. Ne sachant comment occuper ses journées, elle décide de prendre des cours de dessin à l'université. C'est là qu'elle rencontre Mitsuko qui devient secrètement sa muse et bientôt son amante. Bravant moeurs et mari, Sonoko est prête aux pires extrêmes pour garder Mistuko auprès d'elle. Mais la belle Mitsuko joue peut-être un double jeu avec Eijiro, son amant. C¹est alors que doutes et machinations diverses entrent en jeu.

Deux ans avant le plus célèbre Tatouage (1966) Yasuzo Masumura adaptait déjà un roman de Jun'ichirō Tanizaki avec ce Passion. L’univers de l’auteur se fond bien au romantisme morbide, aliénant et marqué par le destin de Masumura. Dès le départ la romance tient ainsi de l’inconscient et de l’obsession lorsque l’épouse bourgeoise Sonoko (Kyôko Kishida) peint les traits de Mitsuko (Ayako Wakao) camarade de cours de dessin, à la place du modèle de l’exercice en cours. En faisant comprendre la passion de Sonoko par cette obsession (et homosexualité) inconsciente avant la vraie rencontre avec Mitsuko, Masumura tisse déjà la relation dominant/dominé à venir. Le rapprochement entre Mitsuko et Sonoko ne frappe pas particulièrement par son traitement formel (élégant et sobre) d’une relation lesbienne, ni même par l’expression intense d’une attirance mutuelle, mais surtout par la soumission violente qui s’impose à Sonoko à travers son désir dévorant.

Ce désir revêt une dimension funeste et psychanalytique qui annonce Tatouage et La Bête aveugle (1969). Le courage et le défi aux mœurs que constitue cette passion interdite importe moins que cette facette soumise, renforcée par le jeu intense et suppliant de Kyôko Kishida et celui, chargé de sadisme et de duplicité de Ayako Wakao. Le découpage et les cadrages de Masumura lors des (finalement rares) scènes d’amour recherche toujours les réactions plus ou moins mesurés de Sonoko dont la retenue bourgeoise vole progressivement en éclat. Le réalisateur étend ce type de rapport à l’ensemble des protagonistes du film, dépassant l’aspect social inhérent au Japon qu’on aurait pu y trouver. Sonoko défie ainsi le machisme de la société japonaise en vivant sa romance au grand jour mais impose une supériorité de classe envers son époux (Eiji Funakoshi) qui ne peut exprimer cette autorité masculine attendue. De même Mitsuko tout en manipulant Sonoko subit elle-même les foudres d’un amant jaloux (Yûsuke Kawazu). 

La dimension charnelle n’a pas réellement sa place, seul compte le fait de plier l’autre à sa volonté à coup de chantage, de pacte douteux et de mensonges. Masumura l’exprime dans l’intrigue mais aussi dans le flou moral qu’amènent les scènes d’empoisonnement. Mitsuko et Sonoko n’y ont pas recours pour mourir ensemble, mais pour soumettre l’époux par cette démonstration de force. Lorsque cet artifice sera de nouveau utilisé à la fin du film, ce sera pour les éléments « faibles » du triangle amoureux de prouver qu’ils sont plus aimants et donc assujettis à la domination de Mitsuko. C’est par cette dernière que passe l’aspect névrotique mais également mystique des rapports humains distordus du film, notamment par l’association à une déité de l’amour indifférente si ce n’est aux sacrifices de ses adorateurs. 

Visuellement Masumura tisse dans un premier temps une imagerie romantique chatoyante factice où l’on peut voir les dérives à venir. La vaporeuse et onirique scène d’empoisonnement amène une perte de repère formelle, temporelle et morale où le monde extérieur n’existe plus. On comprend la sobriété de la facette sexuelle par Masumura qui nous guide vers une dernière partie où la défiance, la jalousie et le rapport de force sont les éléments sur lesquels repose cette passion. La photo de Setsuo Kobayashi le traduit avec subtilité dans les teintes grise et claustrophobe de l’appartement, mais aussi par la manière d’exclure un élément du triangle amoureux. L’issue finale se devine ainsi par la seule finesse de colorer légèrement un visage dans un plan d’ensemble ou tous les personnages sont supposés être inconscients. Vénéneux et tout en retenue, Passion est une réussite envoutante. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Zootrope Films 

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