Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 31 juillet 2020

Sin Nombre - Cary Fukanaga (2009)


Au Honduras, la jeune Sayra décide d'émigrer aux États-Unis avec son père et son oncle. Au Salvador, Casper appartient à une mara, un gang d’Amérique centrale. À la suite d'un règlement de comptes, Casper prend la fuite. Sur le toit du train qui part vers le nord, Sayra et Casper se rencontrent. Il fuit son passé criminel, elle espère un avenir meilleur.

Globe-trotter invétéré avant de lancer sa carrière cinématographique, Cary Fukunaga va notamment au cours de ses séjours en Amérique Latine s’intéresser au sort des migrants et de leurs périlleux périples pour gagner la terre promise des Etats-Unis. Par extension cela l’amène à étudier le fonctionnement des maras, ces dangereux gangs qui s’enrichissent sur le dos des migrants en leur servant de passeur ou alors en les dépouillant durant leur voyage. Il aborde  le sujet dans son second court-métrage Victoria para chino (2005), plusieurs fois primé et qui lui permettra de passer à la vitesse supérieure avec le plus ambitieux Sin Nombre.

Le récit met justement en parallèle les destins de deux personnages vivotant dans cette prison des gangs pour Casper (Edgar Flores), ou aspirant à une liberté ténue à travers l’exil pour les Etats-Unis avec la jeune migrante Sayra (Paulina Gaitán). L’aliénation et la violence du groupe est saisie avec intensité au sein de la mara où votre identité, vos aspirations sont noyés au détriment d’un collectif aux préceptes barbares offrant peu de perspectives. Casper tout en s’y pliant a une échappatoire avec sa petite amie Martha Marlene (Diana García), mais cette tendre respiration va également lui être violemment arrachée. En s'opposant à la mara et en tuant le chef de sa frange locale, Casper devient un être en sursis attendant la mort que lui infligeront ses anciens acolytes. Cependant dans son action il a sauvé Sayra du viol, et offert à celle-ci une perspective autre que matérielle quand à ce futur si elle arrive à destination.

Fukanaga oscille entre rigueur documentaire et naturalisme poétique tout au long du film. Il s’est fortement documenté sur les rituels des gangs et a également fait le voyage en train aux côté de migrants, du Honduras au Texas. L’urgence et le sentiment de danger sont palpable dans la mise en scène, l’accalmie des divers points d’arrêts contrebalançant à peine le regard subjectif de ses voyageurs constamment aux aguets de la police des frontières, des gangs ou même de leur compagnons d’infortunes. Les grands espaces traversés installent une tonalité plus contemplative et introspective qui rapproche Casper et Sayra, l’affection de la seconde donnant au premier une volonté nouvelle de vivre, autrement. Les quelques interludes intimistes fonctionnent très bien et font exister les personnages à travers des échanges simples et sincères. 

Le futur possiblement radieux fonctionne par le départ et le voyage pour certains, tandis qu’il n’existe que par le surplace et la fange pour d’autres. C’est le cas du pourtant encore enfant Smiley (Kristyan Ferrer) dont nous observons la brutale initiation au mal en début de film. La réussite pour lui c’est d’être accepté par la mara, en réalisant l’assassinat de Casper pour elle. Alors que les traits et les attitudes de Casper s’adoucissent, on verra en parallèle le visage poupin et innocent de Smiley s’aguerrir au mal, au déploiement de la violence, aux codes des gangs. Tout cela jusqu’à une conclusion marquante et emblématique du mélange de résignation et d’espoir du film. Une première œuvre marquante et la naissance d’un talent qui confirmera bien vite les promesses par la suite. 

Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 Vidéo

dimanche 26 juillet 2020

Le Garçon aux cheveux verts - The Boy With Green Hair, Joseph Losey (1948)

Orphelin à la suite d'un bombardement sur Londres, le petit Peter Frye est recueilli par un vieil artiste de cirque, Gramp, qui manifeste tant d'affection et de gentillesse pour l'enfant que celui-ci se laisse peu à peu apprivoiser. Quelle n'est pourtant pas la surprise de Peter, un matin, de sortir du bain avec les cheveux verts ! Du jour au lendemain, il devient l'objet, puis la victime de la curiosité de ses petits camarades et des adultes qui se moquent de lui.

Le Garçon aux cheveux verts s’inscrit dans la volonté de produire une série de projets progressistes au sein de la RKO pour le producteur Stephen Ames. Il lance ainsi l’adaptation de la nouvelle éponyme de Betsy Beaton qui sera la première réalisation de Joseph Losey. Celui-ci fort de son parcours artistique et politique engagé au théâtre et au sein du parti communiste (il effectuera un voyage à en Russie en 1931) s’avère le candidat idéal pour cette fable qui ironiquement anticipe ses futures mésaventures face à la paranoïa du Maccarthysme. 

Le jeune Peter Frye (Dean Stockwell) est un orphelin à qui l’on a caché la disparition tragique de ses parents, et qui depuis est trimballé entre divers membres de sa famille sans pour autant retrouver de foyer fixe. A travers le personnage bienveillant et aimant de Gramp (Pat O'Brien), Losey se place à hauteur d’enfant pour dans un premier temps montrer la confiance à gagner pour Peter autorisé à investir ce nouvel espace familial. C’est grâce à cette assurance retrouvée qu’il saura faire s’affirmer face à l’épreuve intime qui va s’imposer à lui. Peter finit par découvrir la vérité quant au sort de ces parents, ce qui le différencie de ses camarades à la cellule familiale intacte. De par l’action humanitaire de ses parents défunts, Peter devient le symbole des exclus et des délaissés. Cette idée prend un tour plus poétique lorsque Peter se réveille avec les cheveux verts ce qui manifeste visuellement cette différence. Celle-ci n’existe qu’à travers le regard des autres, Peter étant tout d’abord amusé lorsqu’il constate seul le phénomène, avant de se sentir complexé puis exclu suite à la réaction de ses camarades et des adultes. 

La démonstration n’est certes pas des plus subtiles, mais la candeur de Dean Stockwell, la bienveillance de l’institution (la maîtresse d’école jouée par Barbara Hale, le psychiatre qu’incarne Robert Ryan) et la belle symbolique des scènes oniriques dégagent une émotion sincère qui fonctionne. Le parti pris fort du récit est de refuser le retour à la normale, l’histoire s’achève sans que l’on sache si Peter retrouvera sa couleur de cheveux originelle. Il incarne une idée de coexistence qui n’a pas à s’adapter à la norme mais doit s’y fondre et y être accepté. Avec le recul, Losey se montrera sévère avec ce premier essai dont l’esthétique acidulée est loin de ses choix initiaux plus radicaux réfrénés par ses producteurs (tournage en 16mm façon home movie, fable plus orientée sur la discrimination raciale que le seul pacifisme…). Evidemment même si Le Garçon aux cheveux verts est loin de la force et de l’ambiguïté des chefs d’œuvre à venir, cela reste est joli film qui impose déjà la personnalité de son auteur.

Sorti en dvd zone 2 français aux Editions Montparnasse 

mercredi 22 juillet 2020

Love Story - Arthur Hiller (1970)

Oliver Barrett, IVe du nom (Ryan O'Neal), descend d’une grande lignée de diplômés de Harvard riches et éminents. Au départ, et sans doute pour sortir du moule de l’« Ivy League » (c’est-à-dire des plus grandes universités de l’est des États-Unis), il commence à sortir avec Jennifer Cavilleri (Ali MacGraw), une Américaine d’origine italienne, pauvre et catholique, étudiante en musique, à Radcliffe. Finalement, c'est le coup de foudre entre eux.

Love Story est le grand mélo romantique des années 70, dont l'immense et inattendu succès relança complètement la Paramount désormais sur les rails d'une glorieuse décennie (Le Parrain, Chinatown, Les Trois jours du condor). L'essor du Nouvel Hollywood avait pour un temps mis fin à une certaine veine romantique, à l'image d'un David Lean injustement étrillé par la critique et boudé par le public pour La Fille de Ryan (1970), jugé trop classique en ces heures de déconstruction et de modernisme. Du coup pourquoi et comment l'émotion prend-elle ainsi corps dans Love Story pour dépasser le zeitgeist du moment ? Tout d'abord il y a le scénario d'Erich Segal, finalement peu prolifique dans sa contribution au cinéma (10 scripts entre 1968 et 1992, Love Story restant de loin le plus célèbre), et qui à la ville était professeur et spécialiste de littérature classique grecque et latine. On retrouve de cela dans le talent à insérer dans un cadre contemporain et des situations anodines les accents de la grande tragédie mais dans une approche feutrée brillante. L'autre atout est le choix au premier abord incongru d’Arthur Hiller à la réalisation. Même s'il a montré son talent dans d'autres genres (Tobrouk, commando pour l'enfer (1967) film de guerre avec Rock Hudson et George Peppard) Hiller est alors essentiellement associé à la comédie et vient d'ailleurs de signer Escapade à New York pour la Paramount.

Cependant les meilleurs films d'Hiller prennent souvent des protagonistes instables pour les plonger dans un environnement dramatique qu'Hiller transcende par une approche comique et caustique. La tonalité dramatique délurée s'y ajoute à travers une figure féminine pour laquelle le héros un prêt à changer. C'est le cas du James Garner couard de Les Jeux de l'amour et de la guerre (1964) ou le George C. Scott surmené de L'Hôpital (1971), tous deux scénarisé par Paddy Chayefsky. Le Débarquement ou les urgences débordées d'un hôpital deviennent donc des obstacles à franchir pour gagner les cœurs respectifs de Julie Andrews et Diana Rigg dans ces deux films.

On n'en est pas si éloigné dans Love Story où le jeune Oliver Barrett (Ryan O'Neal) est écrasé par le poids de sa prestigieuse lignée, et des attentes qu'elle suscite chez son père (Ray Milland). Oliver Barrett va alors trouver l'apaisement à travers sa rencontre avec l'insouciante Jennifer Cavilleri (Ali MacGraw). Le cynisme et l'outrance de Paddy Chayefsky cèdent la place à la douceur d'Erich Segal pour Arthur Hiller qui inverse son approche pour insérer le drame dans la légèreté initiale. La note d'intention est claire dès la scène d'ouverture qui nous révèle que Jennifer est morte pour ensuite basculer en flashback sur la rencontre enjouée du couple. On retrouve en effet tout le Hiller léger dans le marivaudage sautillant, les dialogues piquants et la séduction amusée de Jenny et Oliver. Les sentiments à vifs d'Oliver se confrontent à l'espièglerie de Jenny, que Hiller traduit par un montage dynamique tant dans les échanges du couple (le gros plan magistral sur une Jenny à croquer avec ses lunettes qui incite implicitement Oliver à l'inviter prendre un café) que leurs différentes rencontres.

L'agitation et la logorrhée désordonnée est du côté d'Oliver dans leurs déambulations, et la distance rieuse de celui de Jenny. Hiller le traduit visuellement lors du match universitaire de hockey où Oliver se démène avec furie tandis que Jenny observe le spectacle amusée et se moque de lui. On n’est donc guère surpris de voir Oliver avouer abruptement ses sentiments quand la même révélation amène une magnifique émotion suspendue pour Jenny. Lors d'une promenade commune, soudain Hiller l'isole dans le cadre, lui fait prendre comme un mouvement de recul où elle regarde Oliver, et lui fait murmurer un simple I care qui laisse débuter la romance.

Tout l'équilibre du film est là, la fougue d'Oliver est atténuée par la sagesse de Jenny qui quant à elle sort de sa coquille. La tendresse et l'énergie déployée par Hiller pour capturer la complicité des personnages (les petits apartés tranches de vie muets où se déploie la ritournelle romantique de Francis Lai) confèrent au film un intérêt constant alors qu'il développe une trame assez convenue : le défi à sa famille nantie pour Oliver, les études, les petits boulots, le premier appartement. Toute emphase, euphorique comme dramatique, est ramenée à l'intimité du couple dont la confiance mutuelle fait tout surmonter. Une scène de mariage atypique scelle leur singularité, et la première vraie dispute se conclut par la phrase emblématique du film Love means never having to say you're sorry/L'amour, c'est n'avoir jamais à dire qu'on est désolé. On en oublierai presque la terrible sentence annoncée en préambule et le drame ne daigne s'insérer dans ce bonheur que lors des 25 dernières minutes. Hiller avait au départ monté l'annonce du médecin sur la maladie de Jenny en début de film avant de finalement la placer à la fin. Par ce choix il ne laisse pas deviner, mais comprendre ce que va perdre Oliver, l'amour de sa vie. L'harmonie formelle initiale se disloque alors, la silhouette d'Oliver se perdant dans la foule pour exprimer la confusion de son esprit, et surtout, le thème de Francis Lai est comme déconstruit, démarrant et s'arrêtant de façon minimaliste pour signifier cet amour condamné.

La pudeur de la confession (Jenny prenant les devants d'Oliver n'osant pas lui avouer), de la douloureuse attente puis de l'adieu final offrent un lent crescendo où mêmes étiolés par la peine, les caractères des personnages s'affirment. Oliver est le reflet de son cœur meurtri quand Jenny est calme et parvient à l'apaiser, notamment dans la scène miroir du match de hockey où il fait du patin à glace tandis qu'elle l'observe pensive, seule dans les gradins. Les accents de grands mélodrames se conjuguent à une approche intimiste feutrée qui font de Love Story un pur film de son époque (les effets de narration en flash-forwards) tout en ayant une dimension universelle. L'alchimie des deux acteurs y est pour beaucoup (notamment un Ryan O'Neal assez incroyable) et ils gagneront instantanément leurs galons de star.

La Paramount en achetant le script avait demandé à Erich Segal une novélisation devant précéder la sortie du film. Cet outil de promotion dépassera toutes les attentes en devenant un best-seller, créant une attente autour du film qui sera un des plus gros succès de l'année au box-office et nominé pour sept catégories au Oscars (Francis Lai remportera la meilleur musique). Pour les curieux une suite existe, toujours écrite par Erich Segal et qui sortira en 1978 sous le titre Oliver's Story où Ryan O'Neal reprend son rôle. Avec le temps victime de son succès un peu trop facilement rangé au rayon des mélos sirupeux (souvent et surtout par ceux qui ne l'ont pas vu) Love Story mérite encore toute l'attention.

Sorti en dvd zone 2 français chez Paramount 

lundi 20 juillet 2020

Les Adolescentes - I dolci inganni, Alberto Lattuada (1960)


Une jeune fille de bonne famille, Francesca, dix-sept ans, se réveille un matin consciente de son attirance pour Enrico, un architecte qui a vingt ans de plus qu'elle. Une attirance qui va hanter cette journée d’été au cours de laquelle la jeune fille, de rencontres en rencontres, va décider de ne pas résister à l’appel de la vie adulte. Au risque de subir une douce désillusion…

Après le succès de Guendalina (1957), Alberto Lattuada poursuit son portrait de la jeune fille dans Les Adolescentes. Malgré quelques élans sensuels fonctionnant plus sur l’imagerie que les vrais actions des personnages, Guendalina était un film sur l’éveil amoureux, l’abandon définitif de l’enfance pour l’adolescence et ces premiers émois sentimentaux. Les Adolescentes a une ambition différente pour Lattuada, celle de capturer l’éveil et l’assouvissement charnel chez l’adolescente, ou plus précisément les atermoiements d’avant l’acte puis la perte de repère d’après. La scène d’introduction dévoile brillamment cette idée. Nous y observons la jeune Francesca (Catherine Spaak) endormie, sa chemise de nuit épousant les formes de sa poitrine soulevée par une respiration inégale, tandis que son visage poupin s’agite étrangement. Un mouvement de caméra nous la révèle dans une pose lascive qui nous révèle ses jambes, avant qu’elle ne se réveille en sursaut, les traits troublés. Elle adopte alors une posture typiquement enfantine en remontant ses genoux sur son visage, ne laissant voir que ses yeux perdus dans la confusion de ses pensées. Les mots sont inutiles pour comprendre que Francesca vient de faire un rêve érotique, et par la seule image Lattuada explicite tout le questionnement du film quant à l’expression inconsciente de ce désir : l’assouvir ? L’étouffer ?

Le film se déroule sur l’unité de temps d’une journée où chaque rencontre et situations rencontrées par Francesca reposera sur cette hésitation. La première étape servira à nous montrer l’objet de l’attention de Francesca, celui qui agite ainsi ces nuits, à savoir Enrico (Christian Marquand) un ami de la famille de vingt ans son ainé. Lattuada traduit par sa mise en scène la mue de Francesca de la fillette à la femme dans le travail sur l’espace et le regard changeant d’Enrico sur elle. La distance entre les personnages se fait dans les déambulations des personnages au sein de la maison où ils échangent de loin. Lorsqu’ils sont plus proches les regards insistants et les appels du pied des dialogues d’une Francesca en quête d’attention ne trouvent en contrechamps que les réponses allusives et le visage d’un Enrico plus obnubilé par son chien mort que sa charmante interlocutrice. Pourtant une conversation téléphonique avec une fiancée jalouse à laquelle il décrit Francesca pour la titiller laisse entendre qu’il n’a rien perdu de l’élégante silhouette de sa visiteuse. C’est là que notre héroïne voit l’ouverture et se montre audacieuse, et que Lattuada brise toutes les frontières formelles initiales avec un gros plan où Francesca pose sa main sur celle d’Enrico, puis un autre où elle l’embrasse. Pourtant après cet élan qui avive le désir d’Enrico, Francesca va fuir. La quête du contact et sa crainte, encore et toujours.

Le trouble sensuel et amoureux s’exprimera aussi avec les adolescentes entre elle, le temps d’un détour par le lycée. Le mystère de la lettre d’amour adressée à l’une des camarades exprime donc le rapprochement lorsque la destinataire provoque et tente d’embrasser Francesca qu’elle soupçonne d’en être la rédactrice. On découvrira pourtant qu’il s’agit d’une autre fille, attirée par la beauté mais fuyant et/ou craignant la passion physique. Toute cette ambiguïté repose aussi sur l’érotisme feutré avec lequel Lattuada filme le groupe d’adolescentes, les robes remontant légèrement et révélant jupons qui dépassent et haut des cuisses, ou une scène de vestiaires où les interactions enfantines sont contrebalancées par les corps désirables et dénudés. Le réalisateur sait équilibrer la forme et le ton pour ne jamais rendre redondante la répétition de ce mouvement sous toutes les formes qu’il prend tout au loin du film. La comédie enlevée intervient ainsi lorsque Francesca rend visite son amie Maria Grazia (Juanita Faust) dont l’attitude introvertie et solitaire est l’inverse de celle de sa truculente mère (Milly). Lorsque Francesca exprime à son amie son désir pour Enrico, celle-ci y voit une possible fin de leur amitié, donnant à nouveau à voir la face inversée où cet attrait sexuel est craint et/ou fuit par une camarade de son âge. Sa mère pourtant recommande avec délectation cet assouvissement à Francesca, la seule manière de connaître un homme dans son entièreté. 

Après avoir scrutée cette poursuite/fuite de manière retenue ou abstraite, Francesca peut l’observer au sein d’un couple dysfonctionnel. Ce recul peut être une manière de rendre l’étreinte de la réconciliation plus ardente encore entre le fougueux Renato (Jean Sorel) et la froide Princesse (Donatella Erspamer), qui s’invectivent de la plus cruelle des manières avant de se retrouver dans une des scènes les plus élégamment excitantes du film. Catherine Spaak est absolument fascinante, narratrice volubile ou observatrice silencieuse autour d’un acte autant appelé que ressenti avec appréhension. Lattuada explicite le tabou qu’était la perte de virginité d’une jeune fille à l’époque, mais aussi la difficulté d’en discuter. Ainsi hormis la provocation évidente du propos à la sortie du film (les foudres d’une censure et d’un public puritain s’abattront sur le film mais n’empêcheront pas son succès), c’est la subtilité du rapport frère/sœur entre Francesca et Eddy (Oliviero Prunas) qui interpelle. La dernière partie du film voit Francesca interrompre insidieusement la virée entre copains pour qu’Eddy ramène celle-ci auprès de Francesco. La fuite et l’assouvissement concerne aussi ce frère qui devine l’attirance de sa sœur, l’encourage et la réprouve dans un même silence ambigu et qui fuit la discussion possible lorsqu’il sait « l’irréparable » commis. Jugement moral ? Patriarcal ? Impossibilité à échanger sur un sujet si sensible au sein d’une fratrie au vu des mœurs de l’époque ? – Sur ce dernier point lorsque Francesca déplore qu’ils ne parlent jamais de leur problème de « garçons » ou de « fille », Eddy la rabroue par un « Mes problèmes de garçons, je les résous seuls ». 

L’ambivalence du désir est superbement affirmée dans le dernier acte, notamment par le travail sur la photo dont les jeux d’ombres laissent voir les gestes tendre, mais masque l’expression des visages. L’attrait ne s’exprime que par les mots neutres et l’union tant attendue passe par l’ellipse. Ce n’était pas (encore) un désir physique explicite pour une Francesca déçue, mais une curiosité, une étape, ce que n’a pas su voir (ou trop tard) son amant plus âgé – l’écart d’âge participant à la provocation du film et qu'on retrouvera dans La Fille du même Lattuada (1978). Lattuada boucle la boucle avec le retour de Francesca dans sa chambre d’adolescente. Le découpage et la progression sont similaires à la séquence initiale de son réveil, mais entre les lueurs du matin et l’obscurité de la nuit tardive, c’est comme si un siècle s’était écoulé. La démarche est moins hésitante, les traits sont plus mûrs lorsqu’elle s’observe dans le miroir, et le regard moins dans l’expectative. Francesca a appris de l’attrait qu’elle exerce et ressent pour les hommes, elle saura désormais en jouer et s’y abandonner, comme l’exprime ce regard face caméra final plein de froide assurance.

En salle le 29 juillet