Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 11 avril 2021

Black Jack - Ken Loach (1979)


 Angleterre, 1750. Tolly, un jeune orphelin, fait la connaissance de Black Jack, un bandit de grand chemin qui vient d'échapper à la pendaison. Le brigand enlève Belle, une fillette que ses parents veulent mettre à l'asile, et charge Tolly de la surveiller. Les enfants parviennent à s'échapper et rejoignent une troupe de forains parcourant les routes de la région.

Black Jack marque le retour au cinéma de Ken Loach après 8 ans qui virent sont retour à la télévision anglaise où il fit ses débuts. En effet ses premiers films s’ils avaient été salués par la critique, avaient choqués par le visage peu reluisant donné de la société anglaise (en particulier le très âpre Family Life (1971)) donc rendus difficile le financement d’autres projets. Première production de la société Kestrel Films, Black Jack constitue donc une belle opportunité pour Ken Loach avec l’adaptation du roman éponyme de Leon Garfield. Ce dernier est un spécialiste du roman historique pour la jeunesse, souvent situés au 18e ou 19e siècle, et sous influence de Charles Dickens ou Robert Louis Stevenson dans leur dimension picaresque. 

Si Ken Loach en reprend les motifs, il n’en abandonne pas pour autant sa veine sociale. C’est notamment le cas sur ses choix de reconstitution où il déplace le cadre londonien du livre dans la province du Yorkshire dont il s’attache à dépeindre l’arrière-plan rural. La photo de Chris Menges s’attache moins à la composition picturale façon Barry Lyndon qu’à un travail sur les textures retranscrivant crûment la saleté des vêtements, l’austérité des environnements. Tout ce travail est là pour dépeindre par des éléments parfois triviaux comme la différence d’hygiène, la réalité et les différences des environnements sociaux observés. Ce sont précisément ces environnements qui font des personnages ce qu’ils sont, pour le meilleur et pour le pire. 

Le milieu aristocratique de la jeune Belle (Louise Cooper) repose sur les apparences où toute anomalie se doit d’être placé au ban. Troublée dans ses comportements par une fièvre enfantine, Belle est ainsi à l’écart dans le cadre de son foyer lorsque nous la découvrons seule et éteinte dans un espace dépouillé de la maison. Cette séparation va se faire plus concrète quand ses parents, soucieux d’un mariage noble pour leur fille aînée, cacherons la « honte » de la supposée folie de leur cadette en la plaçant dans un asile. Le personnage de Black Jack (Jean Ferran) apparaît lors de la première scène allant au gibet, avant de miraculeusement se réveiller dans son cercueil sous les yeux de Tolly (Stephen Hirst). La « mort » face à une foule hostile, puis la « résurrection » dans une pièce vide (où aucune famille où ami n’est venu se recueillir) témoigne de la solitude de Black Jack et fait comprendre son attitude à venir. C’est un homme brutal qui n’a jamais pu compter que sur sa force pour survivre et qui, par cette violence, construit également son propre isolement jusqu’à sa rencontre avec Tolly. La scène où ce dernier le contraint malgré à aider un groupe de voyageur plutôt que de les dépouiller, est une première belle leçon où la bienveillance sera mieux récompensée que le larcin potentiel. 

Toute la facette positive du film se construit en miroir. L’isolement honteux dans laquelle la plaçait sa famille aura nourri l’hébétude de Belle dans un milieu nanti mais indifférent. La communauté de saltimbanque et le tendre lien que la fillette entretient avec Tolly va cependant l’ouvrir au monde, la découverte du monde extérieur et le contact aux autres l’épanouir. Brebis galeuse séparée topographiquement dans la maison puis géographiquement de sa famille, Belle trouve en Tolly un interlocuteur compréhensif et s’adaptant à ses limites pour l’aider à grandir. La jeune fille devient progressivement plus diserte, à l’écoute et en interaction avec ce qui l’entoure lors de très belles scènes l’enrichissement mental nourrit l’embellissement physique dans les postures, les regards. 

Ken Loach se repose d’ailleurs brillamment sur l’élocution imparfaite de ses jeunes acteurs non-professionnels dont il conserve les erreurs et hésitations pour nourrir son propos. Le réalisateur évite d’ailleurs le simplisme pour montrer cette dualité, qu’on trouve déjà dans sa filmographie puisque la folie de Janice dans Family Life naissait d’une famille bien présente mais oppressante quand c’est son absence qui est la source du mal dans Black Jack. On retrouve donc cet aspect miroir avec les deux figures d’orphelins de Tully et de Hatch (Andrew Bennett) qui d’un dénuement similaire se façonnent des personnalités diamétralement opposées. A l’attention et la gentillesse de Tully répond ainsi la stupéfiante fourberie de Hatch adepte du vol, chantage et autres mesquineries. 

Ken Loach ne charge cependant pas l’individu mais l’institution et le système qui se nourrit de leurs dérives. Ce système est représenté ici par les médecins qui s’enrichissent littéralement des maux d’autrui. Ils rachètent les cadavres dont celui de Black Jack qui s’avérera bien vivant, et encaissent les frais d’entretien de Belle également bien lucide, pour l’enfermer dans leur sordide asile. Ils posent sur leurs congénères un regard froid et déshumanisé qui les réduit à une matière première dans une pure logique capitaliste. L'opposition entre l'humanité, la chaleureuse truculence prolétaire face à la froideur du système est un thème récurrent de Loach y compris dans ses films contemporain comme The Navigators (2001).

Le pourtant charlatan Docteur Carmody (Packie Byrn) et Tully par leur sincère compassion réussissent donc à la fois à éteindre le tempérament violent et individualiste de Black Jack, mais aussi à raviver l’esprit de Belle. La plus belle illustration de cette approche miroir reposera d’ailleurs sur la phrase de Belle qui signifie d’abord son esprit égaré avant de revenir lors de l’épilogue sur le bateau et affirmer une lucidité et liberté retrouvée. Ken Loach respecte brillamment les codes du récit initiatique tout en livrant un film profondément imprégné de ses préoccupations majeures, belle réussite que ce Black Jack.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Rimini

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