Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 15 avril 2021

Shampoo - Hal Ashby (1975)

Los Angeles, à la veille des élections présidentielles de 1968. Coiffeur pour femmes aux talents multiples, George Roundy a toujours usé de ses charmes pour séduire sa clientèle. C’est par ce biais-là qu’il a rencontré sa petite amie Jill, sa maîtresse Felicia et son ex-petite amie Jackie. Sexuellement comblé, George est pourtant professionnellement frustré : simple employé, il ambitionne d’ouvrir son propre salon de coiffure…

Shampoo est une œuvre emblématique du Nouvel Hollywood, tout d’abord par ses participants constituant une sorte de dream team de cette ère d’audace et d’originalité. Hal Ashby monteur officieux de nombre de chef d’œuvres et réalisateurs de classiques audacieux comme Harold et Maude (1971) et La Dernière corvée (1973), Warren Beatty en acteur-producteur ambitieux et audacieux (Bonnie and Clyde (1967), John McCabe (1971), À cause d'un assassinat (1974)…), Robert Towne au scénario (des petites choses comme Chinatown (1974), Yakuza (1975), Les Flics ne dorment pas la nuit (1972) au cv ainsi que presque toute la filmo de Warren Beatty de l’époque) ou encore László Kovács à la photographie (dont là aussi l’image est indissociable du Nouvel Hollywood avec des films comme Easy Rider (1969), Cinq pièces faciles (1970), La Barbe à papa (1973) et bien d’autres). Ce déroulé est nécessaire pour situer à quel point dans son fond et sa forme Shampoo est représentatif des questionnements tant intimes que sociaux de l’époque pour ses personnages. 

Le film se déroule sur une unité de temps figée dans un moment clé, le jour des élections présidentielles qui verront la victoire de Richard Nixon sur Lyndon Johnson en 1968, avec les conséquences que l’on sait. Le pays a donc encore un pied dans l’hédonisme libertaire de la contre-culture, et l’autre dans la suspicion, le cynisme et l’ambition froide vers laquelle mènera le Watergate et plus tard le capitalisme décomplexé des années 80. C’est à ce carrefour que se trouve les protagonistes. George (Warren Beatty) est un coiffeur pour dame multipliant les conquêtes parmi sa clientèle, ne boudant pas son plaisir tant qu’il le peut (presque un autoportrait du séducteur impénitent qu’était Warren Beatty) mais qui va devoir choisir entre s’avilir pour les faveurs d’une amante (Lee Grant) qui peut lui permettre d’ouvrir son salon ou couler des jours heureux avec la douce Jill (Goldie Hawn) qui l’aime sincèrement. 

Toute cette journée suit un chassé-croisé où vont s’entremêler amours contrariées et ambition sans qu’aucun protagoniste daigne renoncer à l’un ou à l’autre. On touche toutes les couches de la société avec l’homme d’affaire Lester (Jack Warden) entretenant Jackie (Julie Christie), ex petite amie de George tout en demeurant avec son épouse Felicia par crainte d’un onéreux divorce. Cette dernière sous la richesse n’a plus que l’oubli dans les bras de George pour égayer un quotidien malheureux. Quant à Jill une carrière artistique s’offre à elle mais la contraindrait à s’éloigner de George. 

Hal Ashby pose des codes romanesques classiques dans un contexte social qui les contrarie doublement, que ce soit le vaudeville ou même la comédie du remariage entre George et Jackie. On sent que ce sont les enjeux et aspirations strictement économiques qui empêchent les sentiments de s’épanouir quand le strict hédonisme et l’absence d’attache permettrait de se réaliser. Mais la nature humaine est bien sûr plus complexe, et les pulsions charnelles comme les élans sentimentaux de chacun les poussent le plus souvent à des actions contradictoires à leur espérances amoureuses comme pécuniaires. Le scénario dissémine de façon retenue ou explicite toutes les émotions refoulées, les rancœurs et attentes vaines de chacun dans la partie en journée (l’histoire d’amour inachevée entre George et Jackie, la réalité des infidélités de George pour Jill) qui nous fait traverser tout un microcosme social californien. 

Tout cela va bien sûr exploser en deux temps la nuit venue. Le récit nous emmène dans un dîner d’élection où les « prolos » en quête de récompenses vont constater à quels point ces nantis se préoccupent peu d’eux, pris dans leur quête de relations et de pouvoir. George comme Jackie ne sont que de la chair à érotiquement dévorer (voir les élans nymphomanes de Felicia) mais qui n’ont pas voix au chapitre, que l’on ignore et relègue à une table lointaine. George l’accepte (et se comporte de la même façon avec Jill) tandis que la vérité brise le cœur de Jackie. Quittant les mondanités républicaines, on bascule alors dans une soirée hippie où l’indifférence règne tout autant mais pour d’autres raisons. La soirée mondaine aura mis en boite les bonnes intentions et l’intellectualisme de pacotille (hilarant sénateur psalmodiant des pseudos chant indien ancestraux) avec mordant tandis que la fête hippie manie également un hédonisme tout aussi superficiel (drogues, nudité, rock’n’roll) ou la vraie proximité, la sincérité n’existe guère plus. 

Hal Ashby parvient pourtant à façonner entre ces deux extrêmes une parenthèse enchantée où soudain, entre George et Jackie, les intérêts comme le seul désir libidineux s’estompent pour laisser place à la sincérité. Warren Beatty et Julie Christie, en couple à la ville, font montre d’une alchimie palpable qui amène un vrai frisson à ces moments d’intimité. Chaque regard, silence, mouvement, semblent puiser plus loin que les seuls enjeux du récit et c’est bouleversant. Cet instant suspendu sera cependant brisé mais sera nécessaire à éviter une vision binaire puisque le personnage de Jack Warden y gagne en humanité par sa réaction lorsqu’il se voit trompé, et à l’inverse George retombe dans ses travers par lâcheté en ne faisant pas son choix. La photo de László Kovács use d’ailleurs de noirs profonds pour signifier les relations illégitimes (la scène d’ouverture, puis celle entre George et Jackie) masquées dans l’obscurité puis progressivement révélées, leur gestuelle crue exprimant la fragilité de l’union, entre frivolité et sincérité. 

Lorsqu’enfin la sincérité et l’amour s’affirment au grand jour, il est déjà trop tard. Tous les protagonistes choisissent enfin une voie, la plus pragmatique pour la plupart sauf notre héros qui en renonçant à la seule réussite matérielle se condamne à la solitude. Les lendemain qui déchantent de la contre-culture (le film se déroule en 1968 mais le film date de 1975 ce qui le rapproche encore de l’ère de cynisme à venir) sont en germe dans cet échec (où les personnages perdent, retrouvent trop tard ou renoncent définitivement à leur innocence), dans une dernière scène magnifique porté par le score sobre et délicat de Paul Simon.

 Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Carlotta

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