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jeudi 4 décembre 2025

Electra Glide in Blue - James William Guercio (1973)

John Wintergreen, motard à la droiture exemplaire, patrouille sur les routes d'Arizona et rêve de devenir un jour détective au sein de la brigade criminelle. Premier agent présent sur les lieux du suicide apparent d'un vieil homme, il refuse de se rendre à l'évidence. D'accord avec ses conclusions, l'inspecteur Poole lui permet d'enquêter à ses côtés offrant ainsi à John l'opportunité de travailler aux côtés d'un officier chevronné...

Electra Glide in Blue est une œuvre culte témoignant du désenchantement de la société américaine durant les années 70. Ce désenchantement est double, reposant à la fois sur la facette mythologique, iconique et en définitive traditionnaliste du pays, mais aussi sur les espoirs déçus de la contre-culture. Dans les deux cas, ce sont les attentes envers l’idéal du rêve américains qui faillissent. John Wintergreen (Robert Blake), le héros, aspire à s’inscrire dans cette dimension iconique et droite par ses rêves et ses attentes. Policier à moto sillonnant les routes d’Arizona, il souhaite devenir un « vrai » flic résolvant des affaires criminelles sur le terrain plutôt que de traquer les infractions de la route.

James William Guercio est à l’origine un célèbre producteur musical qui eut là l’occasion de réaliser son premier et unique film. Ayant grandit en découvrant les classiques du western américain de l’âge d’or, il en reprend l’imagerie glorieuse dans un cinémascope somptueux capturant les paysages d’Arizona. C’est espace est un prolongement de la pensée de Wintergreen, s’imaginant en sorte de shérif glorieux sur deux roues, rendant la justice avec sagesse et honneur. La première scène montrant la méticuleuse et presque fétichiste manière dont il endosse son uniforme de policier, sortant de chez lui dans un grand éclat de soleil saluant l’honneur de sa fonction. Une affaire de suicide dont il réussira à deviner la réelle nature criminelle l’amène à momentanément intégrer la cour des grands, en accompagnant le plus chevronné inspecteur Poole (Mitch Ryan) dans l’enquête. Ce dernier, à coup de posture bravache et de discours viriliste va se faire fort de faire de Wintergreen un vrai policier, un « homme » en somme.

Cette veine initiatique qui fonctionne si bien dans le western classique n’a plus cours dans le monde moderne. Guercio avait déjà écorné l’aura que se prêtait son héros durant une des premières scènes, soulignant sa petite taille en comparaison de ses collègues alors qu’ils sont tous alignés devant leur officier supérieur. Cependant Wintergreen tout à son idéalisme naïf n’en fait pas un complexe, et en alimentant même sa fascination pour les icônes américaines lorsqu’il se compare à Alan Ladd en draguant deux jeunes femmes. Poole au contraire se prend très au sérieux dans son rôle de mâle alpha et est dans un premier temps filmé comme tel, à travers notamment des cadres en contre-plongée soulignant son imposante silhouette. La manière de montrer cette aura n’a rien de juste, et n’est qu’un prolongement d’un pan républicain, nostalgique et réactionnaire de l’ancienne génération dépassée et vénérant Nixon. La scène durant laquelle Poole malmène des hippies sera un premier point de rupture quant à la légitimité de sa fonction, avant qu’une humiliation révélant son impuissance sexuelle remette aussi en question sa masculinité supposée toute puissante.

Si Guercino filme les extérieurs dans toute leur emphase westernienne avant de pervertir ce parti-pris, les intérieurs tout en clair-obscur nuancé souligne l’ambivalence du propos et des individus, la photo de Conrad Hall étant à la fois à contre-courant et totalement dans la tendance de l’esthétique du Nouvel Hollywood. Cela est parfaitement en phase avec l’angle de Guercino qui questionne tout autant l’héritage désormais bafoué de la contre-culture. La guerre du Vietnam, le Watergate et d’autres désillusions sont passées par là tandis que les mouvements hippies, étudiants, ont basculés dans le nihilisme et l’autodestruction. Les clins d’œil explicites à Easy Rider de Dennis Hopper dévoient le message de ce dernier, que ce soit à travers le regard des figures d’autorité (l’exercice de tir sur un poster d’Easy Rider), mais aussi l’image montrée des hippies, au mieux apathiques, au pire délinquants en puissance.

Guercino installe un rythme envoutant et hypnotique, tout en se reposant sur le charisme de Robert Blake. Ce dernier avait symbolisé cette jeunesse criminelle à la dérive quelques années plus tôt dans De Sang froid de Richard Brooks (1967), avant d’être l’incarnation même du policier cool dans la série télévisée Baretta qui fera de lui une star dans les années 70. Si l’on y ajoute la figure spectrale et terrifiante qu’il sera chez David Lynch dans Lost Highway (1997) et sa réelle implication criminelle dans un fait divers sordide, Blake représente tous les visages, ambiguïtés, zones d’ombres et contradictions de la société américaine. 

Dans Electra Glide in Blue, Wintergreen finit tout de même à exposer toutes les failles du système avec une posture d’homme juste au-delà des institutions et idéologies. Mais l’uniforme qu’il porte, bien qu’il en ait renié les oripeaux les plus factices, sera l’instrument de sa perte par ce qu’il continue de représenter aux yeux des autres. On peut vraiment regretter que ce soit la seule réalisation de Guercino, tant la profondeur thématique et la beauté formelle sont au rendez-vous, y compris quand il s’agit d’embrasser l’action comme le montrera une impressionnante scène de poursuite. Electra Glide in Glue demeure en tout cas une vraie œuvre culte, un des joyaux méconnus des seventies.

Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side 

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