Au XVIIIe siècle en Irlande, à la mort
de son père, le jeune Redmond Barry ambitionne de monter dans l'échelle
sociale. Il élimine en duel son rival, un officier britannique amoureux
de sa cousine mais est ensuite contraint à l'exil. Il s'engage dans
l'armée britannique et part combattre sur le continent européen.
Après sa trilogie de science-fiction (Docteur Folamour, 2001 et Orange Mécanique), Stanley Kubrick effectuait un grand saut dans le passé avec ce Barry Lyndon. Le film naît des cendres du grand projet avorté de Kubrick, son monumental Napoléon qu'il dû abandonner car trop ambitieux et onéreux. L'un des parti pris esthétique de ce Napoléon était notamment d'opter pour un éclairage exclusivement à la lumière naturelle mais l'impossibilité technique de cette prouesse fut une des cause de l'arrêt du projet. Kubrick revient à cette idée lorsqu'il décide d'adapter le classique anglais oublié de Thackeray Mémoires de Barry Lyndon, la longue préparation étant notamment consacrée à la rendre compatible les volumineux objectifs de la NASA à des caméras de cinéma. Fort heureusement, Barry Lyndon ne se résume pas à cette impressionnante prouesse technique.
Les
meilleurs films de Kubrick traitent souvent d'une déshumanisation de
l'individu : c'est l'homme qui mute progressivement vers l'entité
stellaire dans 2001, le Alex d'Orange Mécanique (1971) déjà sévèrement allumé qui termine le récit pire qu'il n'était, Jack Torrance s'abandonnant aux spectres de Shining (1980) pour devenir l'un d'eux et bien sûr les jeune marines de Full Metal Jacket (1987). Barry Lyndon
ne fonctionne pas autrement, empruntant lui le ton du récit picaresque
pour illustrer l'ascension et la chute de son héros ainsi que le prix de
cette ambition sur sa personnalité.
Le roman de Thackeray était narré à
la première personne par son héros dont le caractère vaniteux déformait
la réalité à son avantage. Kubrick usera d'une voix-off à la troisième
personne (par Michael Hordern) pour une efficacité narrative plus grande
mais où demeure cette distance et ironie sur les évènements dans
l'esprit satirique de Thackeray.
Les élégiaques paysages irlandais, la scène d'amour à la sensualité trouble d'ouverture ou encore la mélopée envoutante de Women of Ireland
jouée par les Chieftains, tout concours à instaurer une atmosphère
délicate et un ton romanesque. Pourtant cette voix off, les airs ahuris
d'un Redmond Barry (Ryan O'Neal) trop emporté dans ses amours et ses
colères créent un décalage certain. Kubrick ne se moque pas de son
personnage mais par cette ironie dans les moments sentimentaux forcés
(la romance avec la jeune allemande lorsqu'il est déserteur qui brise la
pureté du moment en rappelant ses nombreux amants passés et futurs en
uniforme) annonce déjà sa dépravation future et que cette vie-là n'est
certainement pas pour lui.
Les personnages féminins sont faibles (Lady
Lyndon) ou intéressés et manipulateur (la cousine Nora) et tout rapport
avec eux est biaisé car reposant sur la domination. C'est donc face aux
hommes que notre héros s'avère fragile et émouvant, que ce soit la
détresse finale face à l'ennemi mortel qu'il s'est fait de son
beau-fils, la perte d'un mentor (le capitaine Feeny) ou la rencontre
avec un autre ( le chevalier de Balibari) et surtout le bouleversant
deuil de son fils qui amorce sa déchéance.
Les amours contrariés du début nous l'aurons bien fait comprendre, cette
société anglaise du XVIIIe repose sur les rapports de classe et Barry
souhaite à son tour s'y faire sa place. La première partie enlevée et sa
suite de péripéties suit donc la perte d'innocence au fil de ses
aventures tandis que sa détermination, son immoralité et sa soif de
réussite vont grandissant. C'est un récit d'apprentissage qui se clôt
avec la brillante scène de séduction muette entre Barry et Lady Lyndon à
la table de jeu.
La voix-off s'estompe pour laisser Barry seul maître
du jeu, la caméra se fige dans leurs échanges de regard puis suit leur
mouvement comme des marionnettes jouant une comédie déjà programmée (le
jeu figé de poupée de porcelaine de Marisa Berenson) l'entêtant Trio de Schubert apportant la distance à ce qui est supposé être une scène de coup de foudre.
L'utilisation de ce morceau par Kubrick est remarquable, apportant tout
au long du film une tonalité romanesque tragique semblant toujours se
placer au-dessus des évènements, que ce soit pour cette scène d'amour ou
pour les errances puis la chute finale de Barry. La vraie et grande
tragédie est-elle réservée à la Sarabande
d'Haendel et notamment la mort du fils bien aimé où Kubrick balaie en
une scène poignante les accusations de froideur dont il fait souvent
l'objet. Ryan O'Neal s'abandonne enfin pour exprimer la détresse du père
bouleversé et la répétition interrompue de l'anecdote guerrière qu'il a
tant de fois racontée à son fils renforce encore le drame. Comme le
soulignera la voix-off, la duplicité nécessaire à s'élever dans ce monde
doit laisser place à d'autres qualités une fois établit et que n'a pas
notre héros condamné à voir tout s'écrouler.
La volonté de Kubrick était de réaliser "un documentaire qui se
serait passé au XVIIIe siècle". Il y est parvenu. La direction
artistique est impressionnante tant dans sa rigueur historique que par
son faste. L'ensemble du film semble être une suite de tableaux en
mouvement d'une splendeur inouïe. Les extérieurs en Irlande avec l'usage
de ces caméras spéciales atteignent une profondeur de champs
stupéfiante (Barry interrompant l'entrevue de Nora, le duel avec John
Quin), les nuances magiques des ciels montrant la patience et la
méticulosité de peintre affiché par Kubrick et son directeur photo John
Alcott pour capter le moment idéal pour filmer leurs scènes.
On a un
(faux) sentiment d'absence de stylisation dans cette approche
naturaliste d'éclairages à la bougie qui renforce la proximité avec les
protagonistes et leur réalité comme si les œuvres de Watteau et
Gainsborough (inspirations du décorateur Ken Adam) s'animaient sous nos
yeux. Seul le Ridley Scott des Duellistes
a seulement pu approcher pareille magnificence.
Les évènements tragique
et tristement humain qui se jouent renforcent cette réalité
parallèlement à la recherche esthétique, à l'image de ce duel final
d'une intensité rare entre Barry et son beau-fils. Notre héros, réduit à
un nom griffonné sur un billet d'ordre disparait au rythme des notes de
piano de Schubert, tout comme cette époque dans un travelling arrière
sur le salon des Lyndon et que Kubrick nous les faisant quitter avec la
même élégance qui nous y a introduit.
Sorti en dvd zone 2 français et en bluray chez Warner
Extrait de la scène de séduction, splendide !
Pas d'accord sur la froideur de Kubrick qui est une surface et c'est particulièrement vrai sur "Barry Lyndon". Le héros n'est pas attachant certes et devient de plus en plus froid et détaché au fil de l'avancée du film mais l'émotion est bien là et plus d'une fois. La scène de la mort de l'oncle sur le champs de bataille, l'agonie du fils est une scène bouleversante et le final déploie de vraies émtoion. "Barry Lyndon" c'est bien plus que le beau livre d'image où on le réduit trop souvent la réussite n'est qu'esthétique.
RépondreSupprimern'est "pas" qu'esthétique ! ^^
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