Venue sur une île de la Méditerranée
pour se ressourcer, Lucia pleure le décès de son amant et entreprend une
quête intime qui va l'emmener au fil de ses rêves, de ses souvenirs et
de ses rencontres à lever le voile de ses mystères et à découvrir les
aspects troubles de son ancienne relation amoureuse.
Julio Medem signe avec
Lucia et le Sexe un film en réaction à son précédent et magnifique
Les Amants du Cercle Polaire
(1998). Ce dernier partait d'une note romantique innocente avec cette
romance enfantine de deux âmes sœurs qui passeraient leur vie à se
chercher et se terminerait sur leur réunion aussi poétique que tragique.
Medem décide pour son film suivant de fonctionner de manière inversée,
de partir du drame et du désespoir le plus total pour voguer
progressivement sur une atmosphère et un ton plus lumineux. C'est
d'ailleurs assez paradoxal, les drames auxquels font face les
personnages sont ici bien plus terribles que dans
Les Amants du Cercle Polaire mais le film est finalement plus optimiste. La structure narrative reprends d'ailleurs celle des
Amants
avec ce chapitrage, ces bonds dans le temps du point de vue d'un
personnage où d'une thématique mais avec une complexité plus grande.
Le film s'ouvre sur une discussion téléphonique douloureuse entre Lucia
(Paz Vega) et son amant Lorenzo (Tristan Ulloa). Ils se sont quittés sur
une dispute et Lucia le sentant au plus mal moralement rentre chez eux
avant qu'il ne fasse une bêtise mais trop tard, Lorenzo est mort
renversé par une voiture. Folle de douleur elle s'enfuit et décide de se
réfugier dans une île de la Méditerranée pour se ressourcer. Cette île
rattache le seul souvenir qui lui ait jamais ravit l'amour de Lorenzo,
puisque six ans plus tôt il y connu le soir de son anniversaire une
torride aventure avec une inconnue qu'il ne revit jamais et qui s'avère
être Elena (Najwa Nimri héroïne des
Amants du Cercle Polaire
) tenancière de l'auberge où réside Lucia. La narration va ainsi se
partager entre les moments solaire et onirique sur l'île où les
personnages tentent de se reconstruire et des flashbacks dépeignant les
amours et douleurs passés dans un récit choral alors que l'on pensait
voir la seule Lucia au centre des évènements.
Avec une audace de tous les instants, Medem déploie là le romantisme le
plus total, la sensualité la plus torride et laisse éclater son penchant
pour les rebondissements et les coïncidences les plus
abracadabrantesques, qui seraient ridicule chez tout autre mais d'une poésie
envoutante chez lui. La première rencontre entre Lucia et Lorenzo donne
le ton, avec une Lucia abordant de manière totalement décomplexée et
naïve l'homme qu'elle aime immédiatement sous le charme. L'étreinte
nocturne entre Lorenzo et Elena en mer et sous une pleine lune éclatante participe également à cette tonalité.
Chez Medem, le
sexe est une fête, une libération s'ouvrant à tous les excès, à
l'abandon de soi le plus complet et le réalisateur fait preuve d'une
crudité surprenante avec les coïts sauvages, torrides et inventifs entre
Lucia et Lorenzo. Paz Vega est à ce titre une sorte d'idéal féminin que
Julio Medem n'a de cesse de mettre en valeur. Passionnée, torturée et
charnelle, c'est un nid d'émotion à vif dont le bouillonnement pousse à se mettre à nu constamment, au propre comme au figuré. L'île constitue un personnage à par entière, où la tristesse se déploie dans ses falaise à perte de vue, où l'on tente de tout oublier en chutant dans ses crevasse, en se noyant dans son sable...
On avait deviné le goût de Medem pour Douglas Sirk (voir Claude Lelouch peut-être aussi) dans
Les Amants du Cercle Polaire,
il s'affirme encore ici. Ces hasards et coïncidences ont autant de
charmes que d’effets négatifs, le drame naissant ici de la découverte de
Lorenzo d'une fille née de son aventure passagère. Poursuivant cette
émanation du passé il est entraîné dans une relation étrange avec la
baby-sitter Belen (Elena Anaya qui retrouvera Medem dans
Room in Rome)
et qui débouchera sur un drame traumatisant. Comme le revers d'une même
pièce, le sexe devient là tout aussi moite et fantasmatique mais baigné
d'une aura trouble avec ces allusions au porno, à des liaisons
dérangeantes (Belen se partageant son beau-père avec sa mère).
L'aspect le plus fascinant reste cependant l'ode à l'imagination et au pouvoir du récit que propose Medem. Dans
Les Amants du Cercle Polaire,
la destinée, le karma semblait guider toutes les actions des héros
forcément amenés à se retrouver mais se jouait cruellement de nous dans
son tragique mais logique final. Ici ce n'est pas une force supérieure
qui guide les héros de Medem, mais leur seule volonté. Le personnage de
Lorenzo qui est écrivain est un double du réalisateur et les évènements
de sa vie contaminent autant ses ouvrages que l'inverse.
Medem nous perd
ainsi dans des séquences rêvées (mais pas toujours évidente à deviner)
où Lorenzo s'insère dans les histoires qui lui sont rapportées,
transforme et invente ses propres souvenirs (les scènes où il imagine
avouer leur lien à sa fille) dans un jeu narratif ludique jusqu'au
traumatisant drame qui se révèlera en fragment et cause du mal-être du
début de film.
Si ce pouvoir du narrateur plonge ses personnages dans le tourment
(Lorenzo et les évènements terribles qu'il provoque/ Medem et le final de
son film précédent qu'il regrette), il peut aussi guérir leurs maux. Le
final accumule ainsi les péripéties et révélations qui vont réunir tout
le monde sur l'île, centre de toutes les passions, avec toujours ces
transitions inattendues (Elena qui reconnaît son amant d'un soir en un
regard). Mais tout cela resterait bien conventionnel sans une dernière
idée de génie.
Sans trop en dire, Medem et son héros font avec leur clavier et leur
imagination ce que Superman faisait pour ressusciter sa Loïs dans le
film de Richard Donner, c'est un conte du pardon qui permet de tout
recommencer et célèbre la victoire de la fiction sur le réel à la
manière de
La Maîtresse du lieutenant français ou du
Brazil
de Terry Gilliam. Que tout cela soit possible ou simplement issue d'une
narration maligne (la dernière scène qui joue sur les deux tableaux)
n'a que peu d'importance, Medem y croit et nous y a fait croire.
Sorti en dvd zone 2 français chez Studio Canal
C'est l'intégrale Medem en ce moment ;)
RépondreSupprimerOui en pleine découverte de ce réalisateur en ce moment je me régale ! J'ai l'impression en France en tout cas) qu'il est un peu négligé par rapport à un Almodovar. Là j'ai "L'écureuil Rouge" en stock ça devrait être le prochain dont je parlerai :-)
RépondreSupprimer