Darling Lili est le film maudit de Blake Edwards, celui dont le bide massif lui vaudra quelques années de purgatoire hollywoodien. Le film s'inscrit dans une période particulière du cinéma américain, qui voit la fin du système studio tel qu'on l'a connu jusque là. Concurrencés par la télévision, les studios rivalisent d'inventivité à coup de nouveaux outils (Cinemascope, 3D déjà) et de superproductions aux budgets pharaoniques (utilisé comme argument de vente) destinés à rendre l'expérience cinéma unique et évènementielle par rapport à la petite lucarne. Les genres les plus spectaculaires comme l'aventure, le péplum ou le film de guerre se prêtent particulièrement bien à ce contexte mais c'est réellement la comédie musicale où toutes les folies et audaces visuelles sont permises qui va vraiment exploser alors avec des films comme My Fair Lady ou Docteur Doolitle.
Deux des plus gros succès du genre à l'époque sont Mary Poppins et La Mélodie du Bonheur qui remportent un véritable triomphe au box-office. Le point commun de ces deux comédies musicales ? La présence magique de Julie Andrews qui prolonge enfin sur grand écran ses succès à Broadway. Les studios s'engouffrent donc dans la brèche en tentant de reproduire la formule à succès production prestigieuse+ chansons+ Julie Andrews puisque suivront le Star! de Robert Wise en 1968 et donc ce Darling Lili.
Spectacle total, Darling Lili en plus de la comédie musicale mêle le film de guerre, d'espionnage et romantique. L'histoire dépeint les aventures de Lilian Smith (Julie Andrews) chanteuse à succès anglaise qui dissimule en fait une espionne allemande chargée de soutirer par la séduction des renseignements aux gradés ennemis. Sa prochaine cible est le Général Larrabee (Rock Hudson) mais elle va se trouver prise à son propre jeu. Julie Andrews est parfaite en simili Mata Hari et on a aucun mal à croire à sa duplicité. L'actrice se joue d'ailleurs fort bien de l'image lisse qu'on lui prête depuis Mary Poppins puisque c'est précisément celle qu'elle affiche à ceux qu'elle manipule et Edwards joue largement dessus comme cette séquence où elle apparaît quasi angélique lorsqu'elle vient chanter dans un hôpital pour réconforter les blessés de guerre.
L'ensemble du film fonctionne d'ailleurs sur cette tonalité flamboyante et mettant de côté les aspects les plus difficiles du cadre historique. Le récit se déroule ans un Paris féérique et idéalisé où tout n'est que fêtes, seule la présence massive de soldat nous indiquant que le tout se déroule bien durant la Première Guerre Mondiale. Point de tranchées boueuses ici pour illustrer la Grande Guerre d'ailleurs mais de spectaculaires et virtuoses combats aériens mettant en valeur l'héroïsme de Rock Hudson. Ces passages sont tournés avec les pilotes et les équipements du Crépuscule des Aigles de John Guillermin et le résultat à couper le souffle sera la cause de nombreux dépassement de budget.
Blake Edwards se repose essentiellement sur l'image pour illustrer son histoire d'amour et l'ampleur des scènes romantiques (magnifique passage en campagne où le couple suit un groupe d'écolières chantant) va croissante à mesure que les sentiments de Julie Andrews se révèlent authentiques. L'alchimie ne fonctionne pas totalement avec Rock Hudson mais c'est finalement loin d'être un défaut puisque le jeu monolithique de dernier évoque autant une forme de retenue que de duplicité et introduit finalement la question de qui trompe qui ici lorsque Julie Andrews est plongée dans les affres de la jalousie.
L'utilisation des passages musicaux est ici brillante puisque suivant toujours les états d'âmes de son héroïnes : cette fameuse image mièvres en début de film pour affirmer son double jeu (brillante ouverture où elle rassure son public sous les bombardements), son show se faisant plus provoquant et rageur lorsqu'elle se découvre une rivale stripteaseuse et le final en écho au début où les même plans illustrent un sentiment totalement différent, mélancolique et apaisé.
On sait qu'à l'issu du tournage Blake Edwards épousa sa star et cela se ressent puisque de la photo splendide de Russel Harlan aux costumes fabuleux et des numéros musicaux et des angles avantageux de ces derniers, tout est fait pour mettre amoureusement en valeur la beauté de Julie Andrews. Edwards ne se départit pas pour autant de sa loufoquerie avec son goût pour les gags en arrière plan ou encore des personnages délirant comme le duo d'agents français cousins incompétents de l'Inspecteur Clouseau et de Dupond et Dupont ou encore Lance Percival en pilote ne pouvant prendre les commandes que fin saoul.
Cela sied bien au différentes directions que prend le film avec de la screwball comedy de haute volée lors des échanges orageux entre Hudson et Andrews (dont une séquence amoureuse en chambre qui annonce 10 dans son côté décalé) et qui déborde sur l'intrigue d'espionnage où l'enjeu devient réellement la réunion du couple plutôt que la mission en cours. La dernière demi heure traduit bien cela avec coups de théâtres, trahison et course poursuites qui s'enchaînent sans temps mort. Ce n'est qu'à l'issue d'un ultime affrontement aérien que nos héros peuvent enfin s'aimer en sans avoir de secrets mais c'est aussi ce qui va les séparer.
Le bide de Star! alors que le tournage de Darling Lili est déjà lancé annonce le désastre commercial à venir tandis que d'autres productions musicales prestigieuses sombrent au même moment comme le Camelot de Joshua Logan. L'heure du Nouvel Hollywood a sonné et le public en a assez de ses meringues boursouflées.
Le film est vilipendé par la critique (David Lean au même moment subit le même retour glacial avec La Fille de Ryan) et sombre au box office (5 millions de $ recette pour un budget de 25) malgré trois nominations à l'Oscar pour Julie Andrews, le beau score de Henry Mancini et la chanson Whistling Away the Dark. Darling Lili reste cependant un des plus accomplis et ambitieux film deBlake Edwards qui après un un passage difficile se vengera férocement de ses détracteurs dans SOB et aura même l'occasion de proposer son vrai montage du film présenté à Cannes en 1993.
Une affaire compliquée en dvd. Le dvd zone 2 français comporte le montage cinéma de l'époque (et c'est celui dont je parle dans la chronique) tandis que le zone 1 présente le nouveau montage tardif de Blake Edwards qui raccourci le film d'une vingtaine de minutes et sous-titré anglais, ainsi que des bonus intéressant comme une demi heure de scène coupées. Le zone 1 est un peu cher tandis que le dvd français est plus accessible, l'idéal étant d'avoir les deux pour comparer les différences.
Et extrait d'un des plus beaux passages musicaux, "Whistling away in the dark"...
Le film de Robert Wise s'intitule "STAR!" et pas "STARS". ;o)
RépondreSupprimerC'est corrigé merci, j'ai d'ailleurs le Wise en dvd depuis un bon moment il faudrait que je songe à le visionner !
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