Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

mercredi 15 juin 2016

Eugenio - Voltati Eugenio, Luigi Comencini (1980)


 À l'occasion de la fugue de leur fils de dix ans, un couple séparé revit son passé et ses échecs. Un retour en arrière sur la vie de l'enfant depuis 1968 car Eugénio était le fruit de l'amour des barricades. Mais l'entente dans le couple s'est vite détériorée et l'enfant est devenu encombrant. Un regard acide sur la vie italienne.

Eugenio constitue pour Comencini une nouvelle variation plus méconnue de son thème fétiche de l’enfance. Dans le bouleversant L’Incompris (1967) les tourments de l’enfant venaient comme son titre l’indique de l’incompréhension de son père à gérer la perte récente de sa mère. Le plus caustique Casanova, un adolescent à Venise (1969) montrait l’innocence de l’enfant pervertie par un environnement corrompu, façonnant le séducteur le plus impitoyable de son temps. Enfin Les Aventures de Pinocchio (1972) était un conte moral ou entre laxisme bienveillant de Gepetto, sévérité de la fée bleue et tentations diverses, le modèle à suivre restait confus pour le pantin de bois aspirant à être un vrai petit garçon. Chacun des films montraient un dialogue complexe entre le monde des adultes et l’enfant qui conduisait au drame. Cependant toutes ces œuvres mettaient l’adulte dans l’erreur par une volonté sincère de s’occuper de l’enfant. Eugenio par son cadre plus contemporain et réaliste fait un constat bien plus cruel avec l’enfant comme véritable fardeau à l’épanouissement des adultes.

La scène d’ouverture donne le ton, lorsqu’un un ami de la famille ramenant en voiture le jeune Eugenio (Francesco Bonelli) à son père, agacé par le comportant du petit garçon, l’abandonne tout simplement sur une route de campagne et poursuit son chemin. Tout le film est là : plutôt que de raisonner, éduquer l'enfant, on s'en débarrasse. Alerté de sa disparition, son père Giancarlo (Saverio Marconi) se lance à sa recherche tout en prévenant Fernanda (Dalila Di Lazzaro), ex-campagne dont il est séparé mais également les grands parents. La culpabilité le ronge tout au long de cette recherche car il sait bien que ce qui a permis ce geste absurde et irresponsable, c’est le réel abandon dans lequel à grandit Eugenio. La narration entrecoupée de flashbacks nous fait ainsi parcourir les circonstances qui ont amenées l’enfant à un tel désœuvrement. A la fin des années 60, Giancorlo et Fernanda sont un jeune couple d’activistes devenant parent par accident. Une circonstance banale mais qui se prête bien mal à l’époque prônant l’hédonisme, la révolution et se prêtant bien mal à l’éducation d’un enfant synonyme de carcan familial aux antipodes de l’idéal libertaire.

Comencini filme ainsi des situations absurdes mais témoignant de l’immaturité du couple qui embarqué dans une dispute descend d’un train en y oubliant leur nourrisson… Désormais un garçon de dix ans, Eugenio sera au gré des disponibilités et réconciliations ponctuelles ballotés entre ses deux parents ou ses grands-parents. La sensibilité à fleur de peau du héros de L’Incompris, l’innocence du jeune Casanova ou la crédulité de Pinocchio en faisaient des enfants de leurs âges, frappés par les épreuves qu’ils traversaient. Eugenio laisse ici éclater ses émotions au gré des trahisons constantes de ses parents - le mensonge sur l'Espagne, la manière dont les dérange dans la nuit pour être sûr qu'ils sont toujours là - , mais au fil du récit arbore la désinvolture et lassitude amère de celui qui n’attend plus rien. Une des dernières scènes marque par son naturel cruel où Eugenio, après une énième dispute de ses parents va spontanément préparer ses valises car il sait que cela entraînera un déménagement de plus pour lui.

Comencini ne fait pas des parents des indifférents sans cœur, mais de simples reflets de leur époque. Les aspirations artistiques, l’activisme politique et la liberté sexuelle en fait une génération plus libre mais pas préparée à l’éducation d’un enfant. Malgré toute leur bonne volonté, celui-ci restera toujours un objet encombrant – un dialogue cinglant d’un personnage annexe le soulignant -  les empêchant de s’accomplir et qu’ils se repassent au gré de leur culpabilité ou sursaut d’affection. Eugenio le ressent et le jeune acteur excelle à exprimer une mélancolie ordinaire où la fougue enfantine s’estompe progressivement. Comencini n’est cependant jamais moralisateur et fustige le fameux modèle familial italien machiste, une tentative d’existence plus classique explosant en plein vol quand Fernanda comprendra qu’elle se retrouve désormais réduite à la ménagère servile qui l’ont offre des appareils ménagers à noël. 

Coincée entre une tradition étouffante et une modernité immature, l’Italie fait un terrible constat d’impasse tout au long du récit. Les personnages des grands-parents (dont un excellent et sensible Bernard Blier) semblent s’être pliés plus qu’avoir appréciés ce modèle traditionnel et seront incapables de raisonner leurs enfants en rejet du schéma traditionnel. C’est sans doute le film le plus amer de Comencini sur le sujet car pas baigné de l’exaltation de ton des précédents (dans le mélodrame, la comédie caustique et historique ou le récit d’initiation) et offrant la simple chronique ordinaire d’un abandon, d’une solitude. Le leitmotiv musical de Romano Checcacci aux paroles légères et désabusées souligne bien la conscience de qu'a  Eugeniode l'indifférence qu'il suscite dans le final poignant de simplicité.

Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Gaumont (attention seul le bluray comporte la VO italienne) 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire