Une strip-teaseuse est
assassinée dans le quartier japonais de Los Angeles. Deux détectives, l'un
américain, l'autre japonais, amis de longue date, qui se sont connus pendant la
guerre, sont chargés de l'affaire. Mais, durant l'enquête, la rencontre d'une artiste-peintre
va briser leur amitié, puis leur faire prendre conscience d'une autre
conception de la vie.
Samuel Fuller avait déjà exploré la culture japonaise et
notamment évoqué une romance mixte dans le formidable La Maison de bambou (1959), un des premiers films américain tournés
au Japon. Quatre ans plus tard aborde à nouveau le sujet en plaçant cette fois
le cadre de l’intrigue aux Etats-Unis, dans le Little Tokyo de Los Angeles. La trame policière autour du meurtre d’une
strip-teaseuse (qui donne lieu à une ouverture saisissante avec cette femme en
sous-vêtements courant apeurée en plein rue avec d’être froidement abattue) est
un quasi prétexte pour aborder ces questionnements raciaux à travers l’enquête
du duo de flic Charlie Bancroft (Glenn Corbett) et Joe Kojaku (James Shigeta). Quand
on a le souvenir de l’évocation féroce du racisme dans un film contemporain
comme Un homme est passé d John
Sturges (1959), le début du film surprend par l’harmonie et l’acceptation de la
culture japonaise dans cette ville de LA.
Cela passe d’abord par l’amitié et la complicité entre
Charlie et Joe, quelques dialogues et situations suffisant à saisir le lien
profond qui les unit, né de leur expérience durant la Guerre de Corée. Fuller
prolonge cela par sa description de ce Little Tokyo avec le filmage de lieux,
de rites (le tournoi de kendo à la police), costumes traditionnels typiquement
japonais qu’on avait alors rarement l’occasion de voir et où comme dans La Maison de bambou il montre son
profond respect de cette culture. L’effort est significatif, Le Kimono Pourpre étant un des rares
films de l’époque où loin du tout-anglais hollywoodien on peut avoir des scènes
entières dialoguées en japonais, notamment les interrogatoires de Joe auprès
des migrants. Le conflit interviendra paradoxalement au moment où cette mixité
d’ensemble pourrait pleinement s’épanouir à travers une romance interraciale
entre Joe et l’artiste peintre Chris (Victoria Shaw), témoin de l’affaire.
Fuller nous aura préparés en amont à cet écueil par la caractérisation des
personnages. L’amitié fusionnelle de Joe et Charlie, qui vivent ensemble,
repose notamment sur une volonté de célibat indéfectible. Quand chez Charlie
cela relève d’un aspect relativement machiste et rouleur de mécanique (qui se
ressentira dans sa séduction balourde quand il s’amourachera de Chris), cela
semble relever d’un mal plus profond chez Joe. Un dialogue évoquera une
relation avortée avec une nippo-américaine dont seul l’origine constituait un
point commun entre eux, et Joe semble s’impliquer dans son job de policier avec
une conviction qui semble presque justifier pour lui une identité américaine
dont il doute.
Dès lors la scène de séduction avec Chris se montre d’une
grande subtilité pour exprimer ces sentiments contradictoires. Samuel Fuller
joue subtilement d’un effet de rapprochement/éloignement par l’image à travers
la gestuelle, le positionnement dans l’espace mais aussi le contenu de la
conversation des personnages pour révéler ce rapprochement amoureux. Le
dialogue amène cette complicité et sensibilité artistique commune par la
vulnérabilité attachante que révèle Joe (loin de la balourdise de son acolyte)
et le charme de cette découverte par Chris qu’on sent tomber amoureuse de lui.
Le réalisateur filme cette proximité naissante tout en nous frustrant de l’enlacement
et baiser attendu, le lien se nouant paradoxalement lorsque Joe se lève du
canapé pour jouer du piano. La composition de plan concrétise cette romance
avec Joe au premier plan jouant tandis que l’on distingue une Chris admirative
et aimante en arrière-plan.
La multi culturalité s’ajoute à la séquence puisque
Joe joue une ritournelle japonaise au piano, sur lequel trône néanmoins un
buste de Beethoven. Pourtant au moment des aveux de sentiments supposés
conclure ce magnifique moment, Joe a un mouvement de recul qu’on attribue à une
culpabilité envers Charlie, mais le mal est plus profond. Toute la question de
racisme jusque-là totalement évitée refait surface, pas par l’entremise du
monde extérieur (qu’il soit japonais ou américain) mais par le seul doute de
Joe pas encore accompli dans son assimilation et qui interprète la supposée intolérance des autres, malgré la bienveillance de son
entourage.
La trame policière est donc un catalyseur qui se greffe
parfois grossièrement à l’ensemble, notamment le final où une coïncidence et un
dialogue trop explicatif du coupable permet de résoudre l’affaire. De même on
sent pour Fuller l’obligation de greffer un peu artificiellement des scènes d’actions
(la double confrontation avec un colosse coréen) ou des figures pittoresques
((la peintre excentrique jouée par Anna Lee qui rappelle en moins intéressant
la Thelma Ritter du Port de la drogue
(1953)) quand l’intérêt est clairement ailleurs, dans cette romance contrariée
et l’atmosphère si particulière du film. Néanmoins les prestations subtiles (le
couple Victoria Shaw/James Shigeta aussi charismatique qu’attachant) et l’absence
de manichéisme (le final loin des conventions où l’amour ne résoudra pas tout)
font de ce Kimono Pourpre un spectacle remarquable et captivant.
Sorti en dvd zone 2 français chez Sidonis
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