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lundi 10 juillet 2017

Histoire d'une prostituée - Shunpu den, Seijun Suzuki (1965)

Envoyée sur le front de Mandchourie, où se bat l'armée impériale, une jeune prostituée japonaise se retrouve déchirée entre un officier sadique tombé sous son charme et un jeune soldat idéaliste.

Histoire d’une prostituée est pour Suzuki la seconde adaptation de Taijiro Taruma après le vénéneux La Barrière de la chair (1964). Tout comme ce dernier avait amorcé un changement radical dans sa filmographie (abandon du yakuza-eiga pour un récit historique au féminin, propos social et politisé), Histoire d’une prostituée marque une nouvelle rupture thématique et formelle. Le style de Seijun Suzuki reposait jusque-là sur le trop-plein, que ce soit la saturation des couleurs pop, l’accumulation de détail ludique dans les décors stylisés et un festival de cadrages improbables. Il avait réussi à exprimer cette facette sous un jour purement émotionnel en mettant ses « gimmicks » au service du parcours de ses héroïnes. Histoire d’une prostituée aborde un sujet explosif (le destin de ces prostituées japonaise engagée afin de satisfaire tout un régiment) par son contexte de la guerre de Mandchourie et illustre son drame par l’épure d’un noir et blanc immaculé et son environnement aride. La Barrière de la chair montrait un Japon défait, occupé par les américains et dont les figures masculines s’avéraient défaillantes face une féminité rebelle montante. Histoire d’une prostituée dépeint finalement ce qui a précédé et les causes de l’impasse à venir.

Harumi (Yomiko Nogawa) est une jeune prostituée exilée en Chine et trahie par un client qui lui avait promis une union plus légitime. Par dépit elle décide donc de devenir une « fille à soldat » ans un régiment reculé de Mandchourie. Le détachement et la haine des hommes d’Harumi s’expriment dans une introduction faisant des mésaventures de l’héroïne une sorte de théâtre tragique avec cet arrière-plan noir et épuré où s’affiche en grand la photo de l’homme fourbe. Cet instantané du destin de femme bafouée préfigure grandement dans l’idée l’introduction de La Femme Scorpion (1972) de Shunya Itto où tout en idée formelles déroutantes se révélait la tragédie de Meiko Kaji.

Il sera de nouveau question d’une héroïne en lutte entre une féminité farouche et indépendante avec un sentiment amoureux irrépressible. Suzuki l’exprime d’abord de façon charnelle, le quasi masochisme avec lequel Harumi s’offre aux hommes étant contredit par le plaisir qu’elle ressent avec le pire d’entre eux, le cruel officier Shibata (Hiroshi Cho). C’est pourtant comme dans La Barrière de la chair en rapprochant deux parias que la romance peut s’exprimer. Harumi n’est que de la chair à soldat tandis que le jeu plancton Mikami (Tamio Kawaji) par sa jeunesse, son physique frêle et son attitude soumise est tout autant une victime du brutal Shibata. 

Cette violence machiste inhérente à la société japonaise d’alors s’applique pour la prostituée et le chétif soldat, soumis au désir des hommes ou à leur autorité sournoise. L’épure formelle répond ainsi à la fièvre d’un sentiment amoureux contenu dont la frustration entraînera des réactions exacerbées (Harumi fondant en sanglot après avoir été une première fois rejetée par Mikami), et l’expression une facette elliptique où la tendresse mutuelle prévaut sur le désir. Si Suzuki bousculait une certaine tradition du portrait féminin à la Mizoguchi dans La Barrière de la chair, il s’y inscrit à sa manière avec Histoire d’une prostituée qui reproduit le triangle amoureux et l’issue tragique des Amants crucifiés (1954). Le Japon féodal et celui contemporain partagent une même dimension oppressive envers les faibles et empêchent l’amour véritable de s’épanouir. 

Cette virilité toute puissante vient des tourmenteurs du couple mais également de leur nature profonde. Mikami semble ainsi en permanence rechercher une transcendance morbide où il serait enfin un japonais accompli dans une action ou une fin glorieuse. La pulsion de mort prévaut ainsi sur la pulsion de vie durant la conclusion tragique. Suzuki s’inscrit ainsi dans la continuité thématique et critique de La Condition de l’homme (1959-1961) de Masaki Kobayashi et ose même un portrait positif des chinois, tant dans la population paysanne que militaire. La présence sensuelle et la passion incandescente de Yomiko Nogawa est le moteur du récit et l’âme de cette « trilogie de la chair » que Suzuki complètera avec Carmen de Kawachi (1966). 

Sorti en dvd zone 2 français et Bluray chez Elephant Film 

 

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