Tetsu, yakuza et
favori de Kurata, le chef de son clan, décide de se ranger. Kurata lui offre un
travail régulier. Mais cette faveur leur vaudra les critiques d'Otsuka, un
autre chef de clan. Ainsi Tesu est condamné à quitter Tōkyō, et devenir une
sorte de yakuza errant, un vagabond, pour préserver l'honneur de Kurata.
Le Vagabond de Tokyo
est le film qui amorce la chute de Seijun Suzuki avant la rupture définitive et
le renvoi de la Nikkatsu que causera La Marque du tueur (1967). Le film est à contre-courant avec ce genre du
yakuza-eiga alors en déclin et qui forcera la Nikkatsu à une mue radicale en se
réorientant vers le roman porno. Pourtant sur le papier Le Vagabond de Tokyo avait tout pour plaire, son postulat mêlant
habilement archétype du genre mais aussi des thématiques novatrices avec une
démythification de l’imagerie chevaleresque du yakuza, popularisé quelques
années plus tard par la série des Combats
sans code d’honneur ou Le Cimetière
de la morale (1975) de Kinji Fukasaku. Si le classicisme sert un certain
confort du genre pour le spectateur et l’innovation un renouveau thématique,
Suzuki n’emprunte aucune de voies, Le
Vagabond de Tokyo étant un pur terrain d’expérimentation formelle.
Tout le film constitue un va et vient entre les conventions
et cette bascule, les aspects (décors, situations) initiés par le réalisateur
dans ses films précédents étant constamment malmenés. Tetsu (Tetsuya Watari)
est un homme de main sans but depuis que son chef de clan Kurata (Ryuji Kita) s’est rangé des affaires. Seulement les biens
des repentis suscitent la convoitise des autres clans yakuza qui vont monter un
complot diabolique pour parvenir à leur fin. La réussite du piège ne tient qu’à
la profonde fidélité et au lien quasi filial qu’entretient Tetsu avec Kurata et
qui lui a fait renoncer à tout, son honneur mais aussi son amour pour la
chanteuse Chiharu (Chieko Matsubara). Seijun Suzuki dresse visuellement une
dichotomie entre la distance prise par Tetsu avec le monde yakuza et une
réalité criminelle qui le poursuit inlassablament. L’ouverture en noir et blanc
montre donc notre héros subir un passage à tabac sans broncher, un élément en
couleur exprimant la tentation à renouer avec sa vie violente. L’abstraction
des situations et des décors ne servent qu’à construire un fossé entre la
droiture désuète de Tetsu et un monde des yakuza déliquescent où seules les
valeurs de l’argent ont désormais cours.
La stylisation bariolée des environnements yakuzas associés
à la corruption urbaine de Tokyo s’afficheront donc peu en peu en parallèle de
l’épure de l’errance rurale d’un Tetsu exilé. Le passé se rappelle constamment
à lui par la violence et les sbires de ses ennemis qui le poursuivent. C’est
également les seuls lieux où une amitié sincère peut se manifester à travers un
yakuza indépendant et lucide. C’est par lui que notre héros prend
douloureusement conscience de son statut de petite main à sacrifier sur l’autel
du profit. Cet espace mental de confusion et de solitude est l’occasion pour
Suzuki d’exploiter à son avantage les coupes budgétaire d’une Nikkatsu de plus
en plus réfractaire à ses écarts.
Les scènes d’actions tiennent parfois lieux
de quasi aparté et/ou insert sans début ni conclusion s’immiscent dans un
rebondissement dramatique plus vaste et le gimmick pop (par effet de lumière ou
cadrage inattendu) rend chacun de ces instants indélébiles à la rétine. Le tout
culminera dans un mémorable climax final où les comptes se règlent dans un
décor blanc immaculé et dépouillé où le changement de couleur de veste du héros
tient lieu d’émancipation dans un déchaînement de violence. Un objet
inclassable à l’influence considérable dont la plus récente et assumée sera La La Land de Damien Chazelle. Une belle
mise en bouche avant l’ultime outrage que sera La Marque du tueur.
Sorti en dvd zone 2 français chez Elephant Films
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire