Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

dimanche 14 juillet 2024

Bullets Over Summer - Bàoliè xíngjǐng, Wilson Yip (1999)

Deux flics sont à la poursuite d'un dangereux criminel. Afin de le coincer, ils décident d'opérer une planque en face de l'immeuble d'un revendeur d'armes. La locataire de leur observatoire est une vieille dame un peu folle à laquelle les deux hommes vont finir par s'attacher...

Bullets Over Summer est un polar hongkongais post-rétrocession qui participa au renouveau du genre. Même si plusieurs grandes réussites précédèrent, notamment dans le cadre de la nouvelle vague hongkongaise, le polar ne devient véritablement un genre emblématique et commercialement lucratif qu’avec l’avènement de John Woo lorsqu’il signe Le Syndicat du crime (1986).  Il invente avec ce film le heroic-bloodshed ou polar héroïque, relecture par un prisme contemporain des codes de chevalerie, fraternité et sacrifices appartenant au wu xia pian, notamment ceux réalisé par Chang Cheh. Après l’épuisement de ce filon, le polar ne quitte pas les écrans mais connaît plusieurs mues, que ce soit dans une veine versant davantage sur le romantisme juvénile que le bruit des armes (As Tears go by de Wong Kar Wai (1988), A moment ofRomance de Benny Chan (1990), My heart is that eternal rose de Patrick Tam (1989)) ou ensuite les films de triades célébrant avec opportunisme les pontes du crime local. En cette fin des années 90, les grands noms comme John Woo, Tsui Hark ou Kirk Wong se sont exilé aux Etats-Unis et c’est donc un Johnnie To en créant sa compagnie MilkyWay Image qui va réinventer le polar hongkongais. To déconstruit et dévitalise les codes virils de l’heroic-bloodshed dans A Hero Never Dies (1998), travaille la rupture de ton imprévisible pour servir des protagonistes plus profonds avec Expect the unexpected (1998) ou vampirise l’intrigue de polar par la comédie du remariage dans le superbe Loving you (1995).

C’est précisément dans ce sillage novateur que s’inscrit Bullets Over Summer. Wilson Yip signe là son œuvre la plus touchante et originale, lui qui s’épanouira par la suite dans le pur cinéma d’action relativement novateur sur la forme (SPL (2005), Dragon Tiger Gate (2006), Flashpoint (2007), la saga IP Man) mais assez creux sur le fond. Bullets Over Summer s’avère donc bien plus profond et touchant que les mastodontes à venir, en travaillant justement cet art du décalage cher à Johnnie To. Les deux scènes d’ouverture travaillent d’emblée cet équilibre entre cliché et contrepied. La présentation potache des deux flics Mike (Francis Ng) et Neng-ren (Louis Koo) est une merveille de caractérisation potache en situation, l’anxiété de l’un (Mike) se complétant à merveille avec la décontraction de l’autre (Neng-ren) pour empêcher le braquage d’une supérette. A l’inverse la séquence d’introduction parallèle montre un hold-up sanglant qui n’est qu’outrance, ralentis sanglant et mort en pagaille pour présenter d’un bloc monolithique Pirate (Lai Yiu-Cheung) l’intimidant méchant du film. Le polar se joue donc entre la pulsion de vie que représentent le duo de policier et la pulsion de mort incarnée par le monde du crime, qui ne ressurgira que par intermittence dans le récit.

Le mélange des genres permet la confrontation de cette pulsion de vie par le microcosme d’une ruelle, d’un immeuble et d’un appartement théâtre d’une planque de nos héros qui, à défaut de capturer leur cible, vont s’humaniser. Différentes solitudes urbaines et sociales viennent se greffer à notre duo malgré lui. La manière dont tous vont se rapprocher et se reconnaître révèlent avec tendresse leurs failles respectives. La grand-mère (Helena Law) chez laquelle les policiers s’établissent, souffrant de troubles mentaux, voient en eux ses petits-fils qu’elle a perdu de vue. Cela est pour l’orphelin Mike la proximité d’une tendresse maternelle qu’il n’a pas connue, tandis que l’appel inattendu de la parentalité s’éveille en lui au contact d’une jolie vendeuse de pressing enceinte. De même une adolescente que l’on devine en fugue trouve refuge dans l’appartement et achève de faire du groupe une famille de substitution, une famille recomposée. 

La mise en scène décalée de Wilson Yip ainsi que quelques rebondissements loufoques désamorcent constamment la dimension de polar, qui se rappellera à notre souvenir au moment le plus inattendu. Tant que l’on reste dans la sphère topographique de l’appartement, l’immeuble et la ruelle, cette narration suspendue et ce goût de la tranche de vie font merveille. Cependant Wilson Yip se sent obligé de raccrocher aux wagons criminels initiaux, et si cela fonctionne lors d’un magistral moment de tension (la séquence de repas), pour le reste l’avalanche de rebondissements et révélations nuit à la tonalité intimiste qui faisant le charme et l’originalité du film. Wilson Yip n’atteint donc pas tout à fait l’équilibre miraculeux entre intimisme et urgence du Johnnie To de Loving you et Expect the unexpected, mais touche au cœur avec ses situations tendres et ses personnages attachants – Helena Law trouvant à son âge avancé son rôle le plus célèbre et récompensé. Avant l’envol vers les grosses productions musclées, il signera une autre belle réussite dans ce registre introspectif avec Juliet in love (2000).

Sorti en bluray français chez Carlotta

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire