Une jeune femme
(Jennifer Lawrence) et son mari (Javier Bardem) mènent une vie paisible dans
une maison campagnarde et retirée. Leur existence est bouleversée par l'arrivée
chez eux d'un mystérieux couple (Ed Harris et Michelle Pfeiffer).
Le cinéma de Darren Aronofsky pourrait se résumer à la quête
d’absolu de ses personnages, qui en voient l’objet se dérober à eux dans des
contextes et circonstances toujours plus dramatiques. Cette quête peut être
intellectuelle avec la formule mathématique de Pi (1999), le bonheur simple et le rêve américain qui s’évaporent
dans les opiacés et la violence (Requiem
for a dream (2000) et The Wrestler
(2010)), l’accomplissement artistique sacrificiel de Black Swan (2011) et enfin l’intime et la quête mystique/religieuse
qui s’entremêlent dans The Fountain
(2006) et Noé (2014). Mother! Est une forme de synthèse de
tout cela dans une épure cauchemardesque, psychanalytique et très impudique
pour Aronofsky.
La force du film est de dédoubler ce motif de quête à
travers un couple qui va s’opposer dans ces aspirations. La femme (Jennifer
Lawrence) a conçu un véritable cocon isolé avec une maison de campagne retirée
pour n’avoir rien que pour elle son époux poète (Javier Bardem) dont cet
isolement doit favoriser l’inspiration. Seulement dès la scène d‘ouverture les dissensions
à venir se devinent. Jennifer Lawrence se réveille seule dans la maison, son
premier et seul réflexe étant de rechercher Javier Bardem parti faire un tour
dehors. L’existence de Jennifer Lawrence se résume à cette amour/dévotion (représentée
par la maison) à Javier Bardem et la caméra d’Aronofsky agrippée à son point de
vue ne laisse rien voir du monde extérieur.
A l’inverse Bardem étouffe dans cet
amour exclusif alors que la création se nourrit du contact et de l’observation
de l’autre. Dès lors toute intrusion de cet ailleurs se ressent comme une
agression notamment avec l’arrivée d’un inquiétant couple (Ed Harris et Michelle
Pfeiffer) qui mettra en lumière les peurs d’abandon de Jennifer Lawrence. Les
intrus admirateurs galvanisent l’égo inhérent à l’artiste selon Aronofsky et l’inspiration
naît de leurs maux intimes. Le réalisateur associe ainsi Bardem au créateur au
sens artistique du terme, mais également au Créateur dans sa dimension
religieuse qui se doit d’être idolâtré tout en posant de toute sa hauteur/son
génie un regard bienveillant/carnassier sur les tourments des humains qui
alimentent son œuvre.
Le dépit de la muse Jennifer Lawrence de ne pas suffire à
son époux se traduit par des hallucinations où la réalité qu’elle a conçue pour
son bonheur se disloque, puis par la destruction progressive de l’espace
fragile de la maison par les intrus. Aronofsky laisse progressivement grimper
la folie, les nerfs à vifs de l’héroïne se conjuguant à la désinvolture des
invités investissant les lieux, se montrant grossièrement familier (et bien sûr
s’asseyant sans cesse sur ce satané évier). Cette intimité volée s’illustre
même par une fissure au plancher qui se mue en plaie ouverte. Aronofsky se
dévoile comme rarement avec cette idée de la coexistence conflictuelle entre l’artiste
dont les états d’âmes et la quête d’attention dévore tout pour son entourage.
La maison devient peu à peu un véritable espace mental où son égo envahi tout à
travers des admirateurs de plus en plus hargneux. On retrouve l’analogie
religieuse avec un Dieu tout puissant éloigné des amours terrestre par son
statut et Javier Bardem excelle à exprimer ce mélange de mégalomanie et de
détresse. Aronofsky le film ainsi dans des contre-plongées où il surplombe le
décor, des plan d’ensemble où sa silhouette centrée fait face aux foules et
isole parfois l’orateur gonflé d’orgueil par l’assistance en adoration.
La
religion tout comme le culte de la personnalité de l’artiste sont fustigés dans un même élan, s’approprier l’être
aimé passant par les mêmes dérives d’amour, de haine et de violence dans la
folie pieuse et l’admiration extrême. Les plus attentifs remarqueront d’ailleurs
qu’une grande part du récit rejoue en grande partie le livre de la Genèse (le Jardin d’Eden, Caïn et Abel)
et plus globalement ce culte devenant violence est typique du Dieu belliqueux et
vengeur de l’Ancien Testament déjà questionné par Aronofsky dans Noé – même si l’affiche et un
rebondissement majeur nous ramène aussi au Fils de Dieu sacrfié et à la Vierge
Marie du Nouveau Testament. Jennifer
Lawrence est la muse indispensable pour poser les conditions de cette
inspiration, avant d’être sacrifiée lorsque celle-ci se manifeste.
L’actrice
livre une prestation assez stupéfiante d’abandon physique et mental, le
sacrifice se jouant aussi en coulisse puisqu’elle entretint une liaison avec
Aronofsky durant le tournage. Les outrages subis par le personnage passent de l’angoisse
du Polanski parano de Rosemary’s Baby/Le Locataire/Répulsion à une véritable apocalypse filmique entre folie mystique,
guérilla et imagerie infernale grandiloquente. Tel est le destin de la muse une fois son flux d’énergie inspiratrice épuisée, le cycle de la création peut recommencer pour Bardem, déité en
attente d’adoration pour façonner son monde. Un objet hors-normes qui en laissera
plus d’un sur le carreau, que les friands de subtilités passent leur chemin avec
Aronofsky c’est l’ivresse du trip qui importe.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Paramount
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire