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jeudi 16 août 2018

Ciel pur - Chistoe nebo, Grigori Tchoukhraï (1961)


Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la jeune ouvrière Sasha noue une idylle amoureuse avec un aviateur, Alexeï. Ils se marient. Un jour, Alexeï ne rentre pas d'une mission : on le croit mort. Pourtant, il reparaît après la fin des hostilités. Prisonnier des Allemands, il a réussi à survivre. Mais on ne le croit guère et il est catalogué comme traître à la patrie. Exclu du Parti, on lui retire également ses décorations. Déchu, il sombre dans l'alcoolisme.

Ciel pur est considéré comme un des grands films de la déstalinisation et s’inscrit dans la série de film que réalise Grigori Tchoukhraï durant la parenthèse du dégel. Le cinéaste est un farouche croyant du communisme mais n’hésite pas dans ses films à en dénoncer les failles. Ainsi les travers de l’idéologie empêchaient un avenir viable au couple de Le Quarante et unième (1956) tandis que les ravages de la Seconde Guerre Mondiale brisait le destin d’un innocent dans le magnifique La Ballade du soldat (1959). Ciel pur croise en quelque sorte ces deux motifs pour aborder un sujet fort polémique.

Au départ il y a un scénario de Daniil Khrabrovitsky qui déroule simplement la relation de couple difficile entre un pilote d’essai et son épouse craignant de ne pas le voir revenir d’une de ses missions. Le scénariste désespère de voir un cinéaste talentueux s’intéresser à son histoire et le donne à lire à Grigori Tchoukhraï. Ce dernier est particulièrement frappé par une scène (celle du train) et avec l’assentiment de Khrabrovitsky va considérablement remanier le script pour le rendre plus politique. Tous le film repose sur un idéal auquel on se raccroche et qui se confronte à un réel sordide. Pour l’héroïne Sasha (Nina Drobycheva), cet idéal s’incarne sous les traits d’Alexeï Astakhov (Evgueni Ourbanski), pilote de l’armée russe qu’elle croise subrepticement dans son enfance. De cette brève rencontre elle garde un bouquet de fleur fané qui maintient le souvenir romantique, l’éloigne de sa réalité scolaire studieuse puis de la Deuxième Guerre Mondiale qui se déclenche.

Le quotidien terne fait du danger des bombardements et des privations s’illumine à nouveau lorsque jeune fille elle recroise la route d’Alexei. La candeur de Sasha suscite des séquences romantiques d’une innocence confondante qui surmonte donc le cadre difficile mais gagne aussi ces protagonistes. Alexei au départ archétype du soldat en permission entreprenant est ainsi troublé par la sincérité des sentiments de Sacha, faisant basculer leur scène amoureuse dans l’espièglerie enfantine (la scène des boules de neige) et où l’adversité nourrit la romance – Sacha ne voulant pas introduire Alexei dans sa maison privée de chauffage, problème résolut dans la scène suivante où il va voler du bois pour elle. A la fin du conflit, la seule façon pour Sacha de ne pas sombrer et de continuer à se raccrocher à son rêve pourtant résumé à une vision d’enfance, une romance fugace de quatre jours, mais également le fils d’un Alexei porté disparu au front. Tchoukhraï prend le parti de ces personnages « croyant » à travers Sacha bien sûr, mais aussi Petia (Vitali Koniaev) qui ne renoncera jamais à elle bien que son cœur appartienne à un autre.

A l’inverse il fustige ceux qui ont renoncé à l’idéal comme Lucia (Natalia Kouzmina) qui a préféré la sécurité matérielle d’un homme qu’elle n’aime pas plutôt que d’attendre son fiancé d’avant-guerre. Cette opposition romanesque devient politique avec le rebondissement qui voit Alexei revenir miraculeusement du front. C’est pourtant désormais un paria, coupable d’avoir survécu aux camps et à la torture plutôt qu’être mort en héros (quitte à se suicider). Ceci était une réalité révoltante pour les prisonniers de guerre survivants sous le stalinisme, mis au ban de la société, emprisonné et soupçonné de trahison à la nation. On découvre cela avec la déchéance d’Alexei ne pouvant plus piloter, exclu du Parti Communiste et sombrant dans la dépression et l’alcoolisme. Les tentatives de Tchouckhraï de raviver la féérie sont brutalement ramenée au réel, notamment la scène de retour d’Alexei dont l’émotion à vif orne l’image d’un halo bleu avant que l’allure misérable et défigurée échappée de l’ombre du survivant casse toute magie. Dès lors le seul, intense et indéfectible amour de Sacha symbolisera l’émerveillement du monde d’avant et par extension celle d’un communisme pur. Faire de l’héroïne une ouvrière participe à cette métaphore quand Alexei dans sa déchéance illustre ce qu’est devenue le Parti, froidement idéologique et inhumain. 

Le fil rouge lumineux que constitue la scène d’ouverture (et qui lance des flashbacks à l’imagerie plus contrastée) annonce pourtant des lendemains meilleurs où le pays semble s’être retrouvé. Un membre de l’équipe du film dénoncera anonymement pourtant Tchoukhraï en le qualifiant de profondément anticommuniste. La ministre de la culture Ekaterina Fourtseva en visionne alors un premier montage qui la bouleverse. Elle demande néanmoins au réalisateur d’inclure des scènes signifiant bien que les maux du film appartiennent à l’URSS d’avant le dégel et plus à celle d’aujourd’hui. Tchoukhraï amorce ainsi le renouveau final avec une séquence où l’on annonce la mort de Staline mais aussi une autre plus poétique à travers un stock-shot (qu’il regrettera toujours de ne pas avoir pu filmer lui-même faute de moyen) de la fonte des glaces arctiques, synonyme de l’arrivée du printemps et donc de renouveau.

Cela poursuit de toute façon un changement dans les époques et émotions que le réalisateur traduit toujours visuellement par les changements de gamme chromatique, par les visions oniriques des cieux dans l’épanouissement amoureux de Sacha. C’est d’ailleurs sur des grands espaces triomphant, dans le ciel (Alexei réhabilité) et sur terre (l’amour intact du couple) que se conclut le film. L’accomplissement amoureux se conjugue à un communisme qui a retrouvé ses vertus profondes selon l’idéal de Grigori Tchoukhraï.

Sorti en dvd zone 2 français chez Potemkine 

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