He Yun-Tsing est
missionné par le monastère Haiying pour recopier un canon bouddhiste qui
permettrait de libérer les âmes des défunts. Pour mener à bien cette tâche, les
moines lui suggèrent de se retirer dans un endroit isolé au cœur de la montagne.
Yun-Tsing est alors accueilli à bras ouverts par les quelques habitants de la
contrée. Mais le mystérieux canon bouddhiste devient rapidement la cible de
toutes les convoitises...
Après un début de carrière marqué par les succès immenses de
L’Hirondelle d’or (1966) et Dragon Gate Inn (1967), King Hu avait
rencontré son premier vrai échec avec A Touch of Zen jusque-là son œuvre la plus ambitieuse. La maniaquerie du
réalisateur étendant le tournage sur des années, une sortie en salle ratée coupant
le film en deux parties et un style à contre-courant de la mode d’alors - du film
de sabre en costume alors que la
tendance est un kung-fu contemporain de Bruce Lee - seront les causes de ce
sérieux coup d’arrêt. King Hu parvient néanmoins à rebondir en signant un
accord avec la Golden Harvest qui s’engage à coproduire ses deux films suivants.
La contrainte sera cependant de proposer des œuvres plus accessibles et dans le
goût du public. King Hu réalise alors L’Auberge du Printemps (1973) troisième volet de sa trilogie des auberges mais plus
porté sur le kung-fu que les combats de sabre, et le film d’aventures Pirates et Guerriers (1975).
Pierre
Rissient découvre à Hong Kong A Touch of
Zen dans une version tronquée dont il ressort néanmoins éblouit et
convaincra le Festival de Cannes de le sélectionner. Le film y reçoit en 1975
le Grand Prix de la Commission Supérieure Technique ce qui lui donne une
seconde vie en occident et apporte une reconnaissance internationale à King Hu.
Dès lors chez lui renaît l’idée de tourner à nouveau un film de cette ampleur
et ambition. Après Taiwan qui servit de mécène et terre d’accueil à tous ses
films après L’Hirondelle d’or, le
salut viendra cette fois de Corée du Sud. Le pays développe alors une politique
de financement pour les réalisateurs étrangers voulant tourner sur place, avec
pour obligation d’engager des équipes locales et surtout - pour se protéger des
opportunistes profiteurs – d’y produire non pas un, mais deux films. King Hu
réalisera donc dans la foulée Raining in
the Mountain (1979) et Legend of the
Mountain (1979) entre 1977 et 1978.
Legend of the Mountain
est un projet sensiblement différent des précédents films de King Hu. Jusque-là
les intrigues de ses films historiques se déroulaient le plus souvent sous la
Dynastie chinoise Ming (1368 – 1644, période dont il était une vraie figure d’autorité
historique) alors que Legend of the
Mountain se passe sous la Dynastie Song (960 – 1127). Ce changement est dû
à la rencontre de Chun Ling, universitaire chinoise installée aux Etats-Unis et
qui deviendra son épouse. Spécialiste de la littérature chinoise, Chun Ling s’essaie
à l’écriture de scénario pour Legend of
the Mountain qu’elle situe donc à la Dynastie Song, période propice aux
récits de fantômes qui la passionnent.
Ce sera la première incursion de King Hu
dans le fantastique, forcé ainsi de délaisser les trames d’espionnage à
tiroir typique de l’agitation politique de la Dynastie Ming. La réinvention
sera donc à la fois narrative et formelle. Le postulat est un archétype du
conte traditionnel chinois mais où s’entremêle la dimension de duperie typique
de la trilogie des Auberges. Le jeune lettré He Yun-Tsing (Shih Chun) est ainsi
missionné pour traduire un canon bouddhiste dont les possibles pouvoirs
surnaturels vont attirer de dangereux et séduisant adversaire qu’il ne saura
pas toujours identifier.
Le final halluciné de A Touch of Zen préparait en quelque sorte l’approche purement sensorielle
adopté par King Hu dans Legend of the
Mountain. Dès les premières scènes, l’ampleur du cinémascope magnifiant la
beauté des décors naturels et la gamme chromatique stylisée de la photo d’Henry
Chan nous envoute. La dilatation du temps dans le voyage de Yun-Tsing et le
passage subtil de couleur chaudes estivales/automnales à une texture plus
froide illustre la notion de cheminement intérieur du personnage mais aussi la
bascule dans le surnaturel. King Hu l’affirme symboliquement (l’étrange s’amorçant
après un moment de somnolence du héros) et géographiquement avec la traversée d’une
rivière nous faisant passer de l’autre
côté. Dès lors toute les rencontres reposent sur la duplicité où les
fantômes s’exposent ou se dissimulent avec ruse. Comme dans les précédents
films de King Hu (et surtout la trilogie des Auberges), c’est dans le huis-clos
et la beuverie anodine que les équilibres se font. Mais alors que dans ses
intrigues d’espionnages ce type de moment voyait les protagonistes se jauger
intelligemment, ici c’est pour laisser Yun-Tsing sous l’emprise de la belle Melody
(Hsu Feng).
L’affrontement avec les forces occultes laissent désormais le héros
démunis, ce que représente d’ailleurs Shih Chun dans les différents rôles qu’il
tient chez King Hu : bretteur rusé et émérite dans Dragon Gate Inn, déjà
lettré mais redoutable stratège dans A
Touch of Zen et désormais victime sans défense des fantômes venus le
tourmenter dans Legend of the Mountain. Le film n’appartenant plus au genre martial, les joutes sont
remplacées par des démonstrations et duels de magie noire. Certaines offrent
parmi les séquences les plus hypnotiques du film avec un sortilège se
déclenchant par jeu frénétique de tambour. King Hu se détache alors de sa veine
contemplative à travers un montage heurté et une mise en scène chaotique qui
illustre soit l’emprise de ce tambour infernal, soit l’affrontement avec une
force adverse magnant les mêmes pouvoirs dans d’autres desseins. Les subtilités
et beautés des décors naturels se révèlent toujours de façons magnifiées mais
tangibles quand l’expression des sentiments est pure, et la splendeur s’orne
toujours d’une once d’artifice quand la duplicité entre en jeu. Ainsi la
ballade entre Yun-Tsing et Nuage (Sylvia Chiang) donne dans un romantisme
introspectif superbe et jamais ressenti lors d’instants équivalents avec Mélodie.
L’éclat ensoleillé et diaphane durant la traversée d’un pont, les inserts
naturalistes entrecoupant une scène d’amour (première scène de sexe filmée par
King Hu d’ailleurs), tout cela traduit une idée de rêve et d’illusion, de
tromperie destinée à s’approprier le canon bouddhiste. La façon dont King Hu
transforme son décor joue également sur cette approche. Les changements d’atmosphère
où se devine la patience de l’esthète maniaque (la nuances incroyables des
couleurs du ciel, la capture d’instants de vie précieux de la faune et la
flore) laissent place à l’irruption de fumigènes de couleurs qui métamorphosent totalement le cadre dès que la magie s’immisce explicitement lors
des affrontements. Les effets visuels subtils de transparences et disparitions
qui semaient le doute dans cette idée de songe cèdent à une imagerie chargée et
spectaculaire dans la dernière partie. Ce schisme servait aussi en pratique à
King Hu pour créer une vraie différence esthétique chez le spectateur qui avait
vu Raining in the Mountain tourné
dans exactement les mêmes lieux.
Le féminisme au cœur des thèmes du réalisateur est toujours
là tout en s’exprimant de façon différente. Hsu Feng, actrice fétiche de King
Hu, représente toujours chez lui la fougue et la détermination juvénile au féminin.
Il en va de même ici mais sous un jour inquiétant puisque cette volonté ne sert
que le pouvoir et la vengeance. Le charisme de la comédienne parvient à faire
de cette méchante un être détestable et une victime. Ses maux passés pourraient en faire une sorte de victime du patriarcat de l’autorité chinoise mais les moyens employés pour sa
revanche en font une figure démoniaque au propre comme au figuré.
Si elle
constitue le ying négatif, le yang lumineux sera Sylvia Chang également
présence surnaturelle (convoitant aussi le canon) mais positive et tragique dans
son destin. King Hu durant les deux premières heures aura su faire ressentir
cela par ses choix formels avant que viennent l’heure des explications dans la
dernière partie marquée par un long flashback expiatoire – où se démultiplient
ces partis pris esthétique et cette caractérisation. L’âme damnée et vengeresse
de Mélodie appelle un arrière-plan crépusculaire entre ombre et lumière incandescente
pour ses derniers instants quand la mort de Nuage est brève, douloureuse et
sobrement dramatique dans son illustration.
Le psychédélisme décomplexé
autorise les idées les plus folles à King Hu (ces péchés passés qui se scrutent
littéralement dans un écran de cinéma
bouddhique) aux antipodes du final de A
Touch of Zen qui conservait une approche élégiaque dans ses excès. Alors
que ce climax de révélations de
combat magique dantesque semble nous emmener vers la conclusion, la narration s’étire
et s’égare pour virer vers une épouvante traditionnelle chinoise plus explicite
et inquiétante – Histoires de fantômes deChinois (1986) produit par Tsui Hark ramassé prolonge ce dernier acte sur
un film entier en quelque sorte.
Cette confusion tout en tirant le film en
longueur est cohérente avec l’idée de voyage intime par le songe et l’illusion
comme le montrera un surprenant épilogue. Une leçon et un rêve à la fois au cœur
du récit mais aussi cinématographique dans une dernière scène annonçant Raining in the Mountain. Les parallèles
(thématiques, esthétiques et le casting quasi identique) entre les deux films
en font finalement les revers d’une même pièce dans la fantasmagorie orchestré
par King Hu.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Carlotta
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