Un ingénieur débarque
sur l'île pittoresque de Kurage. Il vient contrôler le développement d'une
raffinerie de sucre censée employer certains habitants et favoriser le
développement de l'île. Il est confronté aux coutumes des autochtones, à des
dérives sociales et morales qui le choquent avant de le fasciner. Au point
qu'il abandonne son travail emporté par la passion pour une jeune fille 'simple
d'esprit'. La confrontation entre la rationalité du Japon moderne et les rites
insulaires ancestraux révèlera peu à peu son caractère tragique.
Shohei Imamura avait explicitement développé la facette
anthropologiste de son œuvre dans la « trilogie du désir » que formentLa Femme insecte (1963), Désir meurtrier (1964) et Le Pornographe (1966). Il avait pourtant
creusé ce sillon dans une autre discipline en coécrivant avec Keiji Hasebe la
pièce de théâtre Paraji : Kamigami to
butabuta en 1962. Le texte fonctionne sur les planches mais Imamura peine à
convaincre la Nikkatsu de financer une adaptation au cinéma. Néanmoins cette
observation crue et sans tabou d’une communauté rurale isolée se retrouve déjà
dans la première partie de La Femme insecte.
Le succès de L'Évaporation de l'homme
(1967) va lui permettre de réaliser son rêve qui va rapidement tourner au
cauchemar durant un tournage mouvementé.
Le récit se déroule sur l’île de Kurage dans l’archipel d’Okinawa,
un cadre qui va servir de confrontation entre un Japon moderne et une réalité
ancestrale qui perdure encore. Imamura donne dans l’observation neutre et
typique de son approche entomologique, mais également à travers le regard de ce
Japon moderne avec un ingénieur (Kazuo Kitamura) venu contrôler le rendement d’une
raffinerie au sucre. Lorsqu’il prend une distance quasi documentaire dans sa
description des autochtones, la curiosité et l’étrangeté dépasse le jugement
moral dans les mœurs les plus inattendues. L’isolement perpétue les croyances
ancestrale et un certains obscurantisme, un phénomène qui est décuplée avec la
famille Futori ostracisée sur l’île.
Le grand-père (Kanjūrō Arashi) est au
départ d’une lignée incestueuse en ayant couché avec sa fille, tentation qui se
prolonge dans la fratrie adulte entre Nekichi (Rentaro Mikuni) et Uma (Yasuko
Matsui) puis dans la culpabilité du petit-fils Kametaro (Choichiro Kawarazaki)
et la nymphomanie de la cadette attardée Toriko (Hideko Okiyama). L’acceptation
de ces bas-instincts, les désirs refoulés et la honte de cette famille s’exprime
en réaction du regard des autres habitants de l’île qui rattachent tous les
maux (sécheresse, catastrophe naturelle…) à une punition des dieux pour ces
déviances. Imamura nous montre ainsi tous ces élans primitifs comme naturels et
se fondant dans une immersion organique ne les différenciant pas des phénomènes
de la faune et flore de l’île.
La sanction et la mise au ban de la famille (Uma séparée de
son frère et celui suis condamné à un travail de forçât sur une roche
inamovible) fait cependant retrouver un questionnement moral grâce au
personnage « extérieur » de l’ingénieur. La civilisation qu’il
représente est mise à mal par les rituels, la moiteur et les tentations
charnelles auxquelles il va s’abandonner bientôt. Le personnage est également,
à travers cette civilisation, l’enjeu des aspirations matérielles des habitants
de l’île. L’ambition s’entremêle à la tradition, la seconde étant finalement
soumise et adaptable à la première.
Les « déviants » sont finalement
les incarnations les plus authentiques de l’identité profonde de l’île et les
amours coupables Uma/Nekichi constitueront les moments les plus poignants du
film. Imamura renoue avec le message de Cochons et Cuirassés (1963) où le mal ne vient pas de la modernité/l’étranger, mais
de la façon dont on s’y soumet. Cochons
et Cuirassés fustigeait l’errance morale du Japon d’après-guerre sous
occupation américaine, Profond désir des
dieux confronte la course à la modernité d’un Japon en expansion reniant ou
détournant sa tradition dans le microcosme de l’île.
La pureté de ces instincts primitifs trouve un dernier éclat
lorsque l’ingénieur s’abandonne à son tour à l’atmosphère des lieux dans des
scènes d’une sensualité crues et enfantines. Imamura a cependant annoncé la
donne avec le fil rouge de la légende de ce Profond désir des Dieux.
La tradition orale magnifie un conte dont la romance est fustigée dans le réel,
puis lors de la conclusion perpétue la fable après avoir radicalement éliminé
sa concrétisation dans les faits.
Les vertus ancestrales seront devenues une comptine
pour touristes, les martyrs de la modernité se fondent dans la simple carte
postale (le rocher de Toriko) qu’est devenue l’île lors de la conclusion amère.
Ne reste aux survivants du Japon moderne qu’une soumission cynique ou d’êtres
hantés par les fantômes du passé. Fascinant mais trop radical, le film sera malheureusement un
échec retentissant qui endettera Shohei Imamura et l’éloignera dix ans des
plateaux de cinéma – pour une carrière de documentariste à la télévision.
Ressort en salle le 15 août
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