Tsui Hark signe là le troisième volet des aventures du Détective Dee après Le Mystère de la flamme fantôme (2010) et La Légende du Dragon des mers (2013). Cette série de film aura totalement relancé la carrière du réalisateur, d’un point de vue commercial en l’intégrant au giron des blockbusters chinois, mais aussi artistique après des années 2000 difficiles. En effet si Tsui Hark avait quitté le vingtième siècle en apothéose avec Time and Tide (2000), son entrée dans le nouveau millénaire serait des plus laborieuses avec des œuvres à la réussite mitigée (Seven Sword (2005), La Légende de Zu (2001)) ou des francs ratages indigne de son génie (Black Mask 2 (2002), Missing (2008)).
Sa filmographie antérieure ne comportait certes pas que des chefs d’œuvres mais il s’y montrait constamment en phase avec son temps à travers une schizophrénie jouant sur la déférence/défiance au passé. L’appel aux effets spéciaux derniers cri de Zu, les Guerriers de la montagne magique (1983), les effets horrifiques à la Evil Dead d’Histoires de fantômes chinois (1987) ou la confusion sexuelle de The Lovers (1994), tout cela constituait des éléments bousculant une tradition cinématographique ou plus simplement de contes chinois à coup de modernité mordante. Si Tsui Hark n’avait pas embrassé le cinéma du 21e siècle, c’était car il n’avait pas dompté l’outil numérique.
Chez Tsui Hark l’idée doit toujours prévaloir sur les moyens à disposition pour l’exécuter, l’émotion et la poésie du moment faisant dépasser la possible approximation des effets spéciaux. Green Snake (1993) est emblématique de cette facette, l’envoutement transcendant les grossiers trucages des femmes serpents. Les CGI notamment dans les blockbusters américains recherchent le plus souvent une forme de perfection qui ne fonctionne pas avec la dimension bricolée des meilleurs Tsui Hark qui n’a pas nommé pour rien sa société de production Film Workshop. La grâce artisanale des œuvres d’antan n’a plus sa place, la fraîcheur de l’âge d’or du cinéma de Hong Kong cédant aux ambitions de la production chinoise bien décidée à concurrencer Hollywood. La saga des Détective Dee (et les autres films qui l’entrecoupent) sert donc de terrain d’apprentissage et assimilation du numérique pour Tsui Hark. Le lien entre les différents films du réalisateur depuis le premier Detective Dee repose sur la notion de simulacre.
Les effets
numériques servent à donner l’illusion d’une menace surnaturelle dont la nature
factice sera démasquée par la perspicacité de Dee dans Le Mystère de la flamme fantôme. Dans La Légende du Dragon des mers, le numérique sert littéralement à
traduire le cheminement de la pensée de Dee, reconstituant le réel après le
simulacre du crime initial. En plus de cet aspect formel, cela prend une
dimension politique dans le double climax de La Bataille de la montagne du tigre (2014) où le final patriotique
est bousculé par un autre hypertrophié et purement cinématographique. La
maîtrise de la 3D, approximative dans Dragon
Gate, la légende des sabres volants (2011, remake faiblard de L’Auberge du dragon (1992)) puis
virtuose dans La Bataille de la montagne
du tigre et La Légende du dragon des
mers contribue aussi à réinventer le langage de l’action pour Tsui Hark
moins tenu par le montage virtuose et/ou les capacités hors-normes d’un acteur
– Jet Li dans les Il était une fois en Chine, Chiu Man Cheuk sur The Blade
(1994).
Détective Dee :
La Légende des rois Céleste constitue donc un bel aboutissement de toutes
ces recherches. Le simulacre est au cœur de l’intrigue (les méchants
initialement introduits en dissimulant d’autres biens plus dangereux) mais
aussi dans les démonstrations de force spectaculaires des antagonistes de Dee
(joué à nouveau par Mark Chao) que Tsui Hark met en scène avec une emphase
croissante. Les interactions entre les personnages poursuivent cette idée avec
les oppositions subies entre Dee et Yuchi Zhenjin, ou les alliances par défauts
entre Dee et l’Impératrice (Carina Lau) dont la relation demeure le fil rouge
de la saga. Cette fois les CGI sont réellement aboutis et n’ont pas grand-chose
à envier à Hollywood dans les multiples morceaux de bravoures. Mais
paradoxalement cette forme de perfection de la forme dessert peut-être le film,
l’aspect formel sur la corde raide étant un moteur du cinéma de Tsui Hark.
Ainsi certains aspects paraissent moins marquant que dans les précédent opus.
L’argument de l’enquête policière (la base du personnage du Juge Ti dans sa
version papier tout de même) est nettement moins pertinent que dans le premier
film. Le personnage parait ici légèrement en retrait, servant juste à résoudre
les mystères par son seul génie mais sans qu’on en saisisse la pensée - ce que
faisait de façon virtuose le second opus. La bascule dans un pur univers de
fantasy – ce vers quoi tendait déjà le deuxième volet – rend finalement moins
marquant les va et vient entre le réel et le simulacre et aussi impressionnant
soit-il, le grand final n’égale par la folie over the top de celui de La
Légende du dragon des mers où Tsui Hark faisait ce qu’il sait faire mieux
que quiconque, trop. Le cinéaste du
chaos est un peu trop celui de la maîtrise dans ce troisième épisode qui reste
hautement recommandable et parmi ce que l’on verra de plus impressionnant cette
année. Sachant que dès qu’il rentre dans un certain confort Tsui Hark renverse
la table dans le film d’après, la suite ne pourra qu’être jubilatoire.
En salle
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