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mardi 19 avril 2011

Green Snake - Ching Se, Tsui Hark (1993)


Désirant plus que tout devenir humaines, deux sœurs serpents (Joey Wong et Maggie Cheung) s'initient à l'amour et au désir. Un moine taoïste (Chiu Man Cheuk) doté de pouvoirs magiques, complètement aveuglé par sa mission d'éradiquer toutes les créatures vivant parmi les hommes sur Terre, se lance à leur poursuite... 

Avec Green Snake, Tsui Hark s’attaque à un conte traditionnel très populaire dans le monde asiatique, Madam White Snake. Le récit fut maintes fois transposé sur grand écran (ainsi qu'en opéra, au théâtre) et la version la plus fameuse jusque-là datait de 1956 et était signé Shiro Toyoda. On imagine aisément que Tsui Hark ait vu ce film lorsqu'il était enfant, il avouera plus tard son admiration et l'influence d'Eiji Tsuburaya (un des créateurs de Godzilla) responsable des effets spéciaux. Le film aura longtemps occupé son esprit puisqu’une première adaptation fut envisagée à la fin des années 80 avec Gong Li et Anita Mui dans les rôles de Serpent blanc et Serpent vert. Il faudra pourtant attendre 1993, une époque où, entre ses productions à succès et le triomphe des Il était une fois en Chine, il est au sommet de son art et bénéficie d’une liberté sans précédent.

En s’inspirant d’une relecture récente de l’écrivain Lilian Lee, Tsui Hark détourne les thématiques et le propos du conte originel qui, même s'il à bien évolué au fil des adaptations, est à l'origine assez puritain. En focalisant le récit sur le parcours initiatique de Serpent vert (Maggie Cheung), créature insouciante et pleine de candeur, plutôt que sur la seule histoire d'amour impossible de Serpent blanc (Joey Wong), le réalisateur permet au film d'accéder à un autre niveau de lecture.


 A travers le personnage ultra rigide du moine incarné par Chiu Man Cheuk (futur héros de The Blade dévoilant ici l’entendue de son talent en se reposant moins sur ses capacités martiales), Tsui Hark livre une véritable dénonciation de l'obscurantisme religieux (ici représenté par le bouddhisme). Le moine pose un regard manichéen sur le monde (la première scène où il voit les hommes à l'état de bête, son incapacité à distinguer les bons des mauvais démons) et lorsqu’un désir coupable lui dévoilera ses propres failles bien humaines, il se livrera à des actes révoltants sous couvert de vertu, afin de les masquer.

 Les pistes et les repères y sont brouillés. Les femmes serpents sont plus attachantes dans leur quête d’humanité et font naturellement preuve de plus de bonté que les humains et les religieux. Joey Wong en Serpent blanc trouve un rôle dans la lignée de celui d'Histoire de fantômes chinois, de nouveau en être surnaturel vivant une romance avec un humain. Le grand apport de Tsui Hark est d’adjoindre au conte classique le parcours initiatique de Serpent vert, faire-valoir à l’origine.

Son personnage est totalement immature et incapable d’émotion humaine, constamment en quête de séduction, sans réellement en comprendre le sens. Elle éprouvera ainsi ses charmes, par simple jeu sur l’époux de Serpent blanc, ou encore sur le moine Chiu Man Cheuk, provoquant ainsi des réactions en chaînes dramatiques. Immortalisée en Occident par les personnages papier glacé de Wong Kar Wai, Maggie Cheung, ici naturelle et délurée, fait preuve de bien plus de grâce et de légèreté, trouvant là un de ses meilleurs rôles. Le duo est parfait de complémentarité, Joey Wong apportant la touche romanesque classique indispensable en femme idéale (Serpent blanc aura d’ailleurs incarné des vertus de féminisme selon les adaptations), Maggie Cheung cherchant constamment à l’égaler, en vain.

 Visuellement, Green Snake est un des films les plus foisonnants de Tsui Hark avec une image gorgée de filtres, des costumes et décors kitschissimes et rococo, donnant un aspect totalement factice et irréel. Ces partis pris extrêmes s’accordent bien avec l'ambiance de conte, mais surtout avec les thématiques de l'illusion et de l'éphémère, les femmes serpents ayant le pouvoir de transformer la réalité à leurs guise. Le côté cheap et artisanal de certains effets spéciaux (la queue des serpents entre autres) étant par conséquent totalement oublié et sans doute volontaire.

Traversés tout du long par une sensualité moite grâce aux poses lascives et reptiliennes des héroïnes séductrices, les moments de pure grâce sont légions : l'arrivée sur terre des femmes serpents et la danse indienne (Tsui Hark paie ici son tribut à Bollywood) de Maggie Cheung, la séquence chantée montrant le bonheur conjugal parfait de Serpent blanc, le montage alterné entre la séduction du moine par Serpent vert et celle de Serpent blanc après la guérison de son mari...

 L’atmosphère se fait légère et onirique à la fois, comme un rêve éveillé où l’esthétique quasi expérimentale se marie à une douceur charnelle palpable, la musique envoûtante de James Wong auréolant les images d'une aura céleste. 

Dans ce monde de pur artifice, Tsui Hark réussit l’exploit d’éveiller des questionnements profonds sur ce qui définit un être humain, la fantaisie apparente dégageant une émotion poignante lors de la bouleversante conclusion où tout se bouscule : les tiraillements de Serpent vert passant de la séduction aux sentiments bien réels (et versant sa première larme), le moine perdant tout trace d’humanité en cédant à son prosélytisme religieux, tandis que Serpent blanc y accède définitivement en se montrant capable d’enfanter. Tsui Hark réalisait là un de ses très grands films, sans doute le plus poétique d’entre tous.


Sorti en dvd zone 2 français chez HK Vidéo en combo avec l'excellent "L'Auberge du Dragon". L'édition est un peu dur à trouver désormais donc éventuellement se reporter vers l'édition asiatique de moins belle facture cependant.

Extrait avec l'arrivée des femmes serpent sur terre

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