Au temps de la dynastie Ming, le
pouvoir est peu à peu tombé aux mains des eunuques. L'un d'eux règne en
despote en éliminant tous ses rivaux. En pleine fuite, Chow et son
amante s'arrêtent à L'Auberge du Dragon avant de passer la frontière.
Dirigée par une tenante ne manquant pas de charmes et sachant en user,
cette auberge accueille dans la foulée l'eunuque et ses hommes que ce
couple fuyait et qui sont à leur recherche. Commence dans ce lieu isolé
une traque sans pitié...
L'Auberge du dragon
est typique de l'entreprise de rénovation et de réappropriation entamée
par Tsui Hark depuis la création de sa société de production
FilmWorkshop. Stigmatisé au début de sa carrière pour son côté rebelle
et les partis pris trop extrêmes de ses premières œuvres (
Butterfly Muder (1979),
Histoire de Cannibale (1980) et le furieux
L'Enfer des armes
(1980)) Tsui Hark allait trouver la formule magique parfaite pour enfin
rencontrer le succès, croiser avec brio ses velléités moderniste avec
la tradition du cinéma de Hong Kong. Il le ferait dans un premier temps
en produisant les polars de John Woo avec le diptyque
Le Syndicat du crime et
The Killer,
qui transposait dans le film policier la tradition du film de
chevalerie et la fraternité sanglante sacrificielle chère à Chang Cheh (
Un seul bras les tua tous,
La Rage du Tigre)...
Il contribuait à inventer un nouveau genre qui allait s'avérer
fructueux dans la production locale avec le polar hongkongais tout en
l'inscrivant dans un récit archétypal de la tradition de la péninsule.
Ce travail allait se poursuivre avec le succès de
Histoires de Fantôme Chinois
(1986) où il adaptait le conte traditionnel chinois de Pu Song Ling
tout en remakant la première adaptation de la Shaw Brothers
The Enchanting Shadows
réalisée par une de ses idoles Li Hang-Hsiang en 1960. Là encore une
vraie révolution puisque le film allait relancer le wu xia pian
fantastique, faire traverser les frontières au cinéma de Hong Kong et
inventer une forme novatrice tout en initiant le romantisme éthéré à la
Tsui Hark. Le début des 90's marque l'apogée de cette démarche avec la
refonte du mythique héros chinois Wong Fei Hung sous les traits de Jet
Li dans la grandiose saga des
Il était une fois en Chine (surtout la trilogie initiale).
Avec
L'Auberge du Dragon, Tsui Hark paie son tribut à l'un de ses maîtres, le grand King Hu dont il remake
Dragon Gate Inn (1967). Le film original était le deuxième volet de la trilogie des auberges de King Hu après une
L'Hirondelle d'or (1966) (le 3e étant le plus tardif
L'Auberge du Printemps (1974))
à la production houleuse lui faisant claquer la porte de la Shaw
Brothers et s'exiler pour produire ses films en indépendant à Taïwan.
Dragon Gate Inn allait remporter un immense succès dans toute l'Asie et
devenir un classique absolu dont l'aura irait bien au-delà des amateurs
du genre comme le prouve l'hommage plus auteurisant et nostalgique que
lui rendrait Tsai Ming-liang dans son
Goodbye, Dragon Inn
(2003).
Producteur omnipotent (et réalisateur officieux même s'il en
laisse le crédit à son homme à tout faire Raymond Lee) Tsui Hark fait
une nouvelle fois brillamment se percuter tradition et modernité dans sa
relecture. L'histoire est la même sous la Dynastie Ming le sauvetage
par le chevalier Chow Wai-on (Tony Leung Ka-fai) des deux enfants d'un
ministre assassiné par un infâme chef eunuque (Donnie Yen) et qu'il
tente de faire sortir du pays avec l'aide de son amie Mo-yan (Ling Ching
Hsia).
Dans leur fuite, ils échouent à l'Auberge du Dragon située dans
le désert en bordure de frontière et dirigée par la truculente et avide
Jade King (Maggie Cheung). Poursuivants et poursuivis vont cohabiter
dans l'auberge et se livrer à une redoutable partie d'échec afin de
sortir vainqueur. Tsui Hark reproduit donc avec fidélité la trame, les
motifs narratifs et visuels (le prologue introductif similaire ainsi que
la pétaradante bande son d'origine et son thème principal inoubliable)
mais aussi la métaphore politique de
Dragon Gate Inn.
Dans l'original le chevalier se posait comme rempart à l'oppression
représenté par l'eunuque et symbolisait le point de vue de King Hu face à
la Révolution culturelle de la Chine Maoïste avec cette frontière comme
ultime espace de liberté figurant Taïwan. La métaphore est la même chez
Tsui Hark cinq ans avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine en
1997.
Tsui Hark s'approprie le film en laissant s'exprimer ses penchants
féministes. Le chevalier incarné par Tony Leung Ka-fai n'est plus le
héros mais l'enjeu d'un triangle amoureux entre Ling Ching Hsia et
Maggie Cheung, vrais personnages centraux. Chacune incarne une figure
différente et complémentaire de la féminité. Ling Ching Hsia retrouve
ici son rôle récurrent de femme androgyne tourmentée, tout à la fois
sabreuse chevronnée et femme amoureuse. Dissimulant un cœur vibrant
d'amour sous ses traits farouches, l'actrice fait preuve d'une retenue
qui ne rend que plus poignante la discrète manifestation de ses
sentiments tel ce regard intense lors des retrouvailles avec Chow Wai-on
ou plus tard lorsqu'elle se pensera trompée elle noiera sa tristesse
dans l'alcool et des larmes discrètes. A l'inverse Maggie Cheung est une
femme gouailleuse, séductrice et sans scrupules obnubilée par le profit
(quitte à transformer les clients trop pressant en menu du jour de
l'auberge).
Le spectateur occidental voit surtout en Maggie Cheung l'héroïne papier glacé de
In The Mood For Love
(2000) ou Irma Vep (1996) mais l'actrice eu un registre bien plus varié
à Hong Kong et magnifiquement exploité par Tsui Hark ici (et plus tard
dans la merveille absolue
Green Snake
(1993)). Tout en pose lascive, accent vulgaire et regard aguicheur,
l'actrice sait ici distiller le dilemme d'une Jade solitaire, trop
souvent abandonnée par les voyageurs de passage et se raccrochant à ses
bénéfices comme refuge à sa détresse.
Ses manœuvres pour retenir Chow
Wai-on tiendront autant de l'intérêt pécuniaire à le trahir qu'au réel
sentiment qu'elle ressent pour lui. Les plus beaux moments du film sont
du coup ceux où il s'oublie de son intrigue politique pour capturer avec
sensualité la rivalité amoureuse des deux femmes (ce combat virevoltant
où elles se dénudent mutuellement et dont les accents saphiques
annoncent les atmosphères de
Green Snake) où le duel torride entre Tony Leung Ka-fai et Maggie Cheung durant leur fausse nuit de noce.
Parallèlement Tsui Hark retrouve la veine stratégique de King Hu et
celle plus serialesque de Chu Yuan pour rendre haletante la partie se
jouant entre nos héros et les agents de l'eunuque. Jeu de dupes, tout en
regards et dialogues à double sens (chacun sait qui est qui sans
vouloir se révéler) alternent ainsi avec des combats virtuose
s'exprimant dans les zone les plus secrets de l'auberge, personne ne
cédant du terrain. Cette tension palpable éclate enfin dans un
extraordinaire final où les héros vont affronter le redoutable eunuque
en pleine tempête de sable. Donnie Yen est un formidable méchant,
quasiment invincible qui va causer mille souffrances à ses adversaires.
Tsui Hark qui s'était tant retenu jusqu'ici laisse libre cours à sa
frénésie avec un combat absolument furieux qui anticipe par son côté
saccadé ceux de
The Blade (1995). Travelling rageur balayant des kilos
de sable et rendant l'action indistincte, caméra virevoltante ayant du
mal à accompagner l'action tourbillonnent ici tout en restant dans la
tradition de ballet aérien du wu xia pian classique.
L'hystérie en plus
et avec comme beau symbole le plus barbare mais au cœur pur contribuant à
vaincre le noble à l'âme damnée. Un chef d'œuvre qui égale si ce n'est
(allez osons) dépasse l'original, Tsui Hark poursuivant sur sa lancée en
tutoyant de nouveau les légendes de Hong Kong avec ses chef d'œuvres
que sont
Green Snake (1993) et
The Lovers (1994). Il a récemment réalisé un second remake du King Hu avec
Dragon Gate, la légende des Sabres volants, on doute qu'il égale cette version réalisée en plein boom créatif.
Sorti en dvd zone 2 français chez HK Vidéo dans un coffret consacré à Maggie Cheung et contenant aussi le génial "Green Snake"
Est-ce que "New Dragon Gate Inn" n'est pas autant un remake de "Dragon gate Inn" que de "L'Auberge du Printemps" ? La fin de "New..." fait quand même beaucoup penser à celle de "L'auberge..." (et "L'auberge..." est plus féministe, aussi). Enfin, je trouve. Enfin, amha.
RépondreSupprimerC'est vrai que ça reste un remake d'un King Hu par Tsui Hark, alors c'est peut-être du chipotage...
Il faudrait aussi écrire une thèse sur Tsui Hark et les influences croisées de King Hu et Chang Cheh. ça se mélange tout le temps. Et la furie de la fin de "New Dragon..." semble aussi venir des films de Chan Cheh. (Comme dit, elle rappelle vachement "The Blade".)
En fait, Tsui hark est un grand tourbillon qui mélange tout ce qu'il peut.
Mais on ne lui enlèvera jamais sa patte : cette incroyable et inextinguible inventivité. Deuxième sujet de thèse à faire : Tsui Hark et la suspension d'incrédulité. On a parfois l'impression qu'il fait n'importe quoi (ou qu'en tout cas il viole 24 lois cinématographiques à la seconde) mais il y a tellement d'idées et elles sont tellement cools qu'on s'en moque complètement et qu'on se laisse prendre dans le tourbillon.
Tu as raison il a piché dans tous ce qui lui plaisait dans la trilogie des Auberges et effectivement le final se rapproche beaucoup de "L'Auberge du Printemps". Par contre à part "The Blade" où c'est assez évident je ne trouve pas tant que ça d'influence de Chang Cheh chez Tsui Hark.
RépondreSupprimerEn réal de la Shaw Brothers je ressens bien plus son attrait pour Chu Yuan notamment pour les intrigues serial labyrinthique ("Butterfly Murders" son premier est un gros hommage à Chu Yuan, le génial "Swordsman 2" c'est carrément un remake du "Complot des Clans") le féminisme justement et puis l'imagerie fantaisiste du jiang hu, le monde des arts martiaux. Chang Cheh je le sens beaucoup plus présent chez un John Woo qui a aussi quasi remaké "Frères de sang" avec son "Une balle dans la tête".
Sinon ce que tu soulignes c'est ce que j'adore chez Tsui Hark c'est ce grain de folie où il ose tout, même quand c'est raté il y a tellement d'idées que ça laisse admiratif (j'aime bien Legend of Zu par exemple) et que ça transcende souvent le manque de moyens par la poésie comme un "Green Snake".
Ha mais oui, je ne sais pas du tout pourquoi j'attribuais "Complot des clans" à Chang Cheh. N'importe quoi. La buse. Merci des précisions.
SupprimerPour la maestria Tsui Harkienne, personnellement, je la trouve encore plus impressionnante dans les films qui se passent dans les années trente, ou à l'époque contemporaine. Dans un film de combat, que ce soit surréel, que ce soit fou-fou, c'est presque une donnée de base. Dans un film plus proche de nous, c'est plus dur à faire accepter au spectateur. (Enfin, je trouve.) Et pourtant, ça marche à chaque fois.
Oui dans le genre j'adore Shanghai Blues (la première production FilmWorkshop) une comédie romantique vraiment euphorisante et à la belle reconstitution du Shanghai des années 30.
SupprimerEn moins connu "Dans la nuit des temps" où il reconstitue le couple de "The Lovers" pour signer son "Retour vers le futur" à lui est assez génial aussi. Il arrive même à insuffler ce grain de folie dans des films aux antipodes du film d'action comme Le Festin Chinois.
Je n'attends pas grand chose de la nouvelle version de L'auberge du dragon mais quand même curieux de voir ça surtout qu'il retrouve Jet Li.
Oui, voilà ! Je pensais justement à ces trois là ! (Et à Time and Tide, mais c'est un cas particulier)
SupprimerSur la nouvelle version de "L'auberge...", c'est vraiment l'idée de la 3D qui était alléchante... Mais bon, comme il ne sort pas en salle.
Oui s'il y en a bien un qui aurait pu faire un usage (pour une fois) inventif de la 3D c'est bien Tsui Hark. Dommage vraiment qu'il ne sorte pas en salle comme Detective Dee...
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