Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 7 juillet 2013

Chacun à son poste et rien ne va - Tutto a posto e niente in ordine, Lina Wertmüller (1974)

Un groupe de jeunes Italiens du Sud, riches de leurs seuls rêves de fortune, vient s’installer à Milan. Adelina, Carletto, Gigi, Isotta, Sante et Mariuccia cherchent à s’intégrer dans la mégapole avec l’enthousiasme et la force de ceux qui n’ont rien à perdre. Mais leurs rêves ne vont pas tarder à se confronter à la cruauté de la grande ville et de la vie moderne.

Chacun à son poste et rien ne va conclu après Mimi métallo blessé dans son honneur (1972) et Film d’amour et d’anarchie (1973) une sorte de trilogie à la thématique et construction similaire qui contribua à consacrer Lina Wertmüller. Dénonçant tour à tour le machisme latent ou encore le retour de l'idéologie fasciste en Italie, ces deux films prenaient toujours comme postulat l'arrivée d'un provincial (incarné par Giancarlo Gianinni dans les deux cas) dans une grande ville (Turin dans Mimi metallo, Rome dans Film d’amour et d’anarchie) où une suite de désillusions et évènements dramatiques allaient le transformer. Alors que les autres films prenaient d'autres chemins passé cet argument de départ, Chacun à son poste et rien ne va l'approfondi au contraire avec ce récit choral narrant les hauts et surtout les bas d'un groupe de jeune gens venus chercher fortune à Milan.

Lina Wertmüller présente ces six protagonistes le temps d'une scène d'ouverture limpide avec les deux amis Carletto (Nino Bignamini) et Gigi (Luigi Diberti), la jeune et innocente sicilienne Adelina (Sara Rapisarda) ainsi que sa tante Issota (Isa Danieli) ou encore Sante (Renato Rotondo) amoureux transi de la belle vendeuse Mariuccia (Lina Polito). Le caractère de chacun et ses dérives futures sont déjà figés dans cette entrée en matière (Gigi qui par nécessité n'a aucun scrupule à garder la mobylette volée annonçant sa "carrière" à venir) mais le sentiment qui domine c'est à quel point cette ville de Milan trop grouillante, trop rapide et trop immense semble comme déjà noyer nos personnages comme le montre ces plans large lourd de sens où Carletto et Gigi évoluent tel des lilliputiens insignifiant dans le vaste paysage urbain.

Comme toujours chez Lina Wertmüller la tonalité comique va progressivement céder à la tragédie tandis que la vie citadine éreintante et ses besoins matériels croissant vont briser nos héros. Le groupe d'amis par solidarité et volonté d'économie va choisir de vivre en communauté dans un grand appartement mais de cet initiative collective va au contraire ressurgir le plus grand individualisme lorsque les codes de la vie urbaine seront plus ou moins assimilés.

Cette aliénation du monde moderne est montrée par étapes par la réalisatrice. Ce sera d'abord par le cadre du travail avec les divers jobs de fortune effectués par les personnages. La description quasiment documentaire des abattoirs ou des Halles alterne ainsi avec celle beaucoup plus stylisée d'une cuisine de restaurant dont l'activité frénétique et lobotomisante n'a rien à envier au travail à la chaîne des Temps Modernes de Chaplin.

Lina Wertmüller multiplie les travelling et mouvements de caméra pour sillonner cette cuisine s'agitant comme une fourmilière tandis qu'une photo brumeuse réduit progressivement (notamment lors de la dernière séquence du film) les travailleurs au rang de silhouette anonyme dont on ne distingue même plus le visage. La supposée solidarité entre travailleurs prend d'ailleurs du plomb dans l'aile au sein d'un tel cadre, faisant ressurgir les antagonismes régionaux nord/sud (scène hilarante où une serveuse balance un rageur piémontais de merde ! à un cuisinier avec bagarre générale qui s'ensuit) et dénonçant la vacuité des mouvements syndicaux.

Les personnages conservant la même innocence du début à la fin sont déjà condamnés. Carletto est ainsi témoin du capitalisme moderne dans ce qu'il a de plus cruel dans son travail (les femmes expulsées alors qu'elles ramassaient des fruits abandonnées aux Halles) où des refus d'Adellina de l'épouser car cela serait "anti économique" vu son maigre salaire. Les figure les plus tragiques sont celles du couple Sante/Mariuccia, le sicilien accumulant sans le vouloir une marmaille d'enfants plus adaptées à la vie en plein air de son pays que les appartements exigus milanais et tandis que son épouse s'affaiblit sous le poids des grossesses lui va littéralement se tuer à la tâche pour nourrir sa famille coute que coute.

A l'inverse pour les plus "débrouillards" les exigences de la vie urbaine sont rapidement assimilée, Adellina facturant le moindre service rendu dans la maison tandis que Gigi va bientôt découvrir les joies de l'argent facile dans le monde du crime. Ce changement d'idéologie trouve son prolongement dans la sophistication vestimentaire croissante, la sicilienne bigote coincée Adellina délaissant foulard et robe longue pour mini-jupe, teinture et coupe garçonne tandis que la tenue d'ouvrier poussiéreuse de Gigi laisse bientôt place au costumes tirés à quatre épingles.

Ceux ayant renoncés à tout ce qui nourrit la sociabilité et le contact humain (l'amitié ou la vie de couple) réussissent, ceux qui cèdent (Sante et Mariuccia) ou qui rêvent (Carletto) de ce modèle classique et dépassé verront leurs rêves brisés sur les rives du réalisme de l'impitoyable monde moderne. Le message est lourdement asséné par Wertmüller avec ce miroir déformant du couple voisin monstrueux se débattant dans l'insalubrité de leur logement.

Le titre trouve enfin son sens avec ce constat amer d'un monde moderne parfaitement ordonné mais où personne ne s'épanouit, réduit à l'état de pion sans volonté propre. Lina Wertmüller brasse sans doute trop large dans son étude (le fascisme latent avec l'attentat final, la spéculation immobilière viennent se greffer aux thèmes récurrents du machisme et de l'anarchie) et le film moins équilibré que Mimi Metallo. La force de ce casting typé et la façon insidieuse qu'a la satire de virer au mélodrame finit pourtant par nous emporter, à l'image de la dernière scène aussi poignante que cinglante où après s'être oublié le temps d'un bref instant suspendu, effectivement chacun va à son poste et ce même si rien ne va. .

Sorti en dvd zone  français chez SNC/M6 Vidéo

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