Les sorties dvd massives et riches de bonus passionnants de Wild Side pour le catalogue Shaw Brothers durant les années 2000 avaient permis de découvrir l’œuvre et les thématiques de nombreux réalisateurs phares du cinéma de Hong Kong. Autrefois ardues à trouver (et souvent sorties en salle dans des versions tronquées aux titres racoleurs improbables), les filmographies d’un Chang Cheh, Chu Yuan ou encore Liu Chia Liang bénéficiaient enfin d’un écrin idéal pour la (re)découverte. King Hu fut un des rares réalisateurs hongkongais à avoir réellement bénéficié d’une reconnaissance critique en occident à l’époque, que ce soit pour son Prix de la Commission Supérieure Technique à Cannes pour A Touch of Zen en 1975 ou divers textes fouillés dans les Cahiers du Cinéma notamment. La donne semble s’être inversée aujourd’hui puisque, hormis L’Hirondelle D’Or et L’Auberge du Printemps, ses autres films bénéficient d’éditions très moyennes en France, et on attend toujours la sortie de classiques absolus comme Dragon Gate Inn ou d’œuvres plus tardives comme Painted Skin.
L’excellent documentaire d’Hubert Niogret vient combler ce
vide relatif en nous éclairant grandement sur le réalisateur. A travers le
témoignage d’anciens collaborateurs (où le fan de la Shaw Brothers reconnaîtra
des figures bien connues comme Yueh Hua) et de spécialistes locaux, le
parcours, les thèmes et le style King Hu se dévoilent de manière passionnante.
On découvre ainsi que le réalisateur fut d’abord un acteur comique très
populaire avant d’être peu à peu introduit à divers postes techniques de plus
en plus importants grâce à son ami Lee Han Hsiang (autre esthète s’il en est)
pour lequel il finira assistant réalisateur sur des films comme The Love Eterne (1963 et première adaptation du conte qui inspirera à Tsui Hark son magnifique The Lovers)
Les intervenants
situent pourtant bien la différence fondamentale entre King Hu et son mentor :
quand Lee Han Hsiang était capable de faire preuve d’une certaine
souplesse et s’adapter aux situations,
King Hu se montrait d’une rigueur inflexible à sa vision. L’un était un grand
réalisateur populaire, l’autre un artiste. On sourira lors de cette savoureuse
anecdote de tournage sur A Touch of Zen
où un décor étant altéré par le changement de saison, et brisant la continuité
visuelle, King Hu proposera sans sourciller de revenir tourner l’année suivante!
C’est d’ailleurs cette détermination qui amène le premier clash dans la
carrière de King Hu avec le triomphe amer de L’Hirondelle d’Or où, trop lent et
perfectionniste, il fut menacé de remplacement par Run Run Shaw. Fort de ce
succès où il invente les codes du wu xia pian, il claque la porte de la Shaw
Brothers et s’envole pour Taïwan, où, à l’occasion de la production de Dragon Gate Inn, il contribuera à la
construction de l’industrie cinématographique locale (il y tournera plusieurs
de ses films suivant).
Un autre aspect qu’approfondit grandement le documentaire,
c’est l’érudition de King Hu qui transparait dans toutes ses œuvres. Il
exécutait lui-même les calligraphies illustrant les génériques de ses films, et
sorti du cinéma, il faisait figure d’autorité historique sur certaine facettes
inattendues tel que la cuisine impériale. Visuellement, on constate à quel
point sa mise en scène suivait l’esthétique des rouleaux de peintures chinois,
notamment par ses travelling lointain suivant en parallèle l’avancée des
personnages, qui créaient une sorte d’à plat reproduisant de manière
cinématographique l’horizontalité des peintures.
Cela le différenciait de Lee
Han Hsiang, qui, puisant dans la même inspiration picturale, usait plus de la
profondeur de champs et d’une volonté de capter les êtres dans leur quotidien,
quand King Hu voulait figer ses personnages dans un cadre, capturer l’image
d’un lieu et d’un moment précis. Narrativement, le réalisateur usa également de
la très troublée ère Ming pour nouer des intrigues alambiquées à suspense,
parfaitement adaptée à la mode du moment pour les films d’espionnage à la James
Bond. Cet ensemble, combiné aux multiples trouvailles (de montages notamment
lors des combats), détermine l’imagerie du wu xia pian comme le montre les
différents extraits comparant ses scènes phares à celles de films de Tsui Hark
ou Zhang Yimou.
En 45 minutes à peine, tout est exploré avec soin et
précision, Niogret allant judicieusement dans une direction plus artistique que biographique. L’errance et les
projets avortés des dernières années (le tournage houleux de Swordsman où il est évincé par Tsui Hark
; son projet sur la construction des chemins de fers américain par les
émigrants chinois qui ne verra jamais le jour) sont occultés pour une vision
positive et touchante.
Inédit en dvd pour l'instant, souvent rediffusé sur les chaînes cinéma dans le cadre de diffusion de films de King Hu, le doc fut projeté à la cinémathèque française lors de la rétro consacré au réalisateur. Pour les parisiens il est consultable sur place à la Cinémathèque.
Pour info ce documentaire est désormais disponible en bonus sur le bluray fraîchement édité de King Hu par Carlotta !
RépondreSupprimer