Clélia revient à
Turin, dont elle est originaire, afin d'y créer la succursale d'une maison de
haute-couture romaine. Là, elle se lie avec un cercle de femmes issues de la
grande bourgeoisie, et fait aussi la connaissance de Cesare, un décorateur qui
supervise les travaux de son salon. C'est surtout le drame personnel de l'une
d'entre elles, Rosetta, amoureuse désespérée du peintre Lorenzo marié à Nene,
qui sollicite toute sa sensibilité.
Femmes entre elles
est une œuvre assez méconnue de Michelangelo Antonioni mais qui à l’époque
marquera une certaine reconnaissance internationale (Lion d'argent à la Mostra
de Venise en 1955) après des premiers films simplement salués par la critique
italienne. Antonioni adapte ici la nouvelle Tra
donne sole de Cesare Pavese, écrivain dans lequel il se reconnaît par la
richesse et la mélancolie de ses personnages féminins. Cependant quand Pavese
nouait une forme de tragédie à travers le mal-être de ses héroïnes (en mettant
en avant le personnage interprété par Eleonora Rossi Drago dans le film),
Antonioni y ajoute un portrait acerbe de de la bourgeoisie turinoise à travers
un groupe de femmes.
Chaque héroïne témoigne dans son cheminement de la société
italienne patriarcale d’alors et donc de leurs rapport aux hommes. Clélia
(Eleanor Rossi Drago) dans sa volonté d’indépendance se condamne à une forme de
solitude en refusant la romance possible avec Carlo (Ettore Manni). Rosetta (Madeleine
Fischer) par dépit amoureux envers le peintre marié Lorenzo (Gabriele Ferzetti)
cède au suicide tandis que Nene (Valentina Cortese) l’épouse de ce dernier n’ose
embrasser ses ambitions artistiques par peur de le perdre. Enfin la volage
Momina (Yvonne Furneaux) multiplie les liaisons alors qu’elle vit en ville
séparée de son époux.
Toutes se définissent donc par leur rejet ou soumission
aux hommes, mais sans qu’Antonioni cède à la facilité de faire de ces derniers
leurs cruels tourmenteurs - la première tentative de suicide de Rosetta
intervenant d’ailleurs avant la liaison, par simple désespoir sentimental. Ce
sont les codes de cette bourgeoisie qui façonnent ce mal-être, notamment
sociaux entre Carlo et Clélia qui se refuse à nouer une romance la ramenant son
passé modeste et au simple statut d’épouse. Le cynisme et le détachement sert
également à remplir le vide pour Momina dont les encouragements font basculer
les plus fragiles Rosetta et Nene, au destin sacrificiel chacune à leur
manière.
Antonioni montre ainsi la communauté d’ami(e)s se constituer
et le fossé se creuser dans des rapports peu sincères. Le réalisateur notamment
de l’agencement de ses personnages pour l’exprimer, un environnement commun
extérieur (la scène de la plage) comme intérieur (la soirée dans l’appartement
de Momina) exilant toujours le personnage le plus faible (Rosetta puis Nene) et
victime des médisances des autres. Le décor sert aussi cette distance, que ce
soit dans son évolution (la maison de haute-couture en travaux autorise le
rapprochement entre Clélia et le prolétaire Carlo, mais le même lieu devenu
clinquant et luxueux signe leur séparation et différence sociale) ou ses
différences (la visite de son ancien quartier turinois qui là encore rapproche Clélia
et Carlo, mais ensuite celle d’un magasin de meuble ou le sens pratique de
Carlo s’oppose au raffinement de Clélia).
La bienveillance et la vilénie
ordinaire s’entrecroisent dans un quotidien sans but (toutes les femmes sont
nanties ou entretenues) fait de soirée mondaines et messes basses
interchangeables. Les héroïnes « actives » y sacrifient leurs vies
sentimentales ou leur destin professionnels, à cause des hommes mais surtout
par le conditionnement de leur milieu bourgeois. Antonioni parvient à se
montrer cinglant tout en préservant une émotion sincère qui ne fait jamais
prendre de haut ou juger les protagonistes. Une réussite majeure qui précède
les classiques plus célébrés à venir.
Sorti en bluray et dvd zone 2 chez Carlotta
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