Le pouvoir est tombé
aux mains des Eunuques. Le ministre Yu qui leur était opposé a été faussement
accusé de trahison et mis à mort. Ses enfants sont condamnés à l'exil à un
avant-poste frontalier. Mais le cruel Maître des eunuques envoie des assassins
pour les tuer au cours de la longue marche vers leur lieu d’exil. Quelques
épéistes sont résolus à assurer la protection des jeunes Yu. Assassins et
protecteurs se retrouvent tous à l’Auberge du dragon près de la frontière.
Dragon Gate Inn
est certainement le film le plus populaire de King Hu en Asie, alors qu’à
l’inverse son plus gros échec au box-office local sera son plus reconnu en
Occident avec A Touch of Zen (1970).
Ce succès immense marquera une éblouissante victoire pour le réalisateur après
ses déboires à a Shaw Brothers. Après avoir quitté sa Chine natale pour Hong
Kong en 1949 et occupé différents postes techniques (décorateur, dessinateur)
dans de petites productions, King Hu fait son entrée au studio grâce à son ami
réalisateur Li Han-hsiang qui lui mettra le pied à l’étrier en en faisant son
assistant sur The Love Eterne (1963).
Il signera ensuite deux œuvres plus confidentielles avec le mélodrame The Story of Sue San (1964) et le
politisé The Sons and Daughters of the
Good Earth (1965). Avec L’Hirondelle d’or (1966), King Hu invente les codes modernes du wu xia pian (film de
sabre chinois), aidé par la volonté de Run Run Shaw (patron de la Shaw
Brothers) de concurrencer le chambarra japonais dont il recrutera les
techniciens afin de former ceux de la Shaw Brothers. L’amateurisme et la
lenteur des wu xia pian d’antan s’estompaient alors pour une modernité amenée
par la stylisation des combats et le raffinement des costumes et décors d’un
King Hu qui inventait une nouvelle forme tout en prolongeant la tradition de
l’Opéra de Pékin avec son héroïne (la charismatique Cheng Pei-pei) travestie en
homme. Son féminisme s’y affirmait d’ailleurs alors que le genre s’apprêtait à
basculer dans l’ère machiste de Chang Cheh. Problème, le perfectionnisme de King
Hu (qui moins cadré compliquera la production future de A Touch of Zen) aura eu raison de la patience de Run Run Shaw agacé
par la lenteur du tournage. Ainsi en dépit du succès du film à sa sortie, King
Hu claque la porte du studio pour s’installer à Taiwan.
Là il façonnera et professionnalisera l’industrie
cinématographique locale afin d’en faire une structure dans laquelle il pourra
produire à sa guise tous ses films suivants. Le premier d’entre eux sera donc Dragon Inn qui reprend toutes les idées
de L’Hirondelle d’or et constitue le
deuxième volet de la « trilogie des auberges » complétée plus tard
par L’Auberge du printemps (1973).
Cette série de films porte ce titre en raison du cadre de l’auberge comme pic
de tension dramatique du récit. Dans L’Hirondelle
d’or ce sera le théâtre d’une scène culte où Cheng Pei-pei vient chercher
des indices sur la disparition de son frère tout en esquivant discrètement les
tentatives d’assassinats de ses adversaires. Ces lieux clos sont synonymes pour
le réalisateur de jeu de dupes et de faux-semblants où alliés et ennemis se
jaugent tout en échangeant des politesses. Dragon
Inn est ainsi un prolongement et perfectionnement de cette scène, l’aspect
stratégique prenant le pas sur la simple intimidation de L’Hirondelle d’or. Il faut dire que King Hu intègre ici le contexte
historique explosif rattaché à la Dynastie Ming (1368- 1644). A partir de 1426
le pouvoir des eunuques s’étend au sein de l’Empire, d’abord conseillers de l’empereur
Xuande puis contrôlant les administrations stratégiques du pouvoir comme la
Police Secrète et la Garde Impériale.
Sous couvert de protéger les intérêts de
l’empereur, ils se livrèrent à de nombreux abus (exécutions sommaires,
emprisonnement abusifs, exils) envers leurs plus farouches opposants dont les
fonctionnaires lettrés chinois sur lesquels ils prenaient une véritable
revanche sociale. Tout juste effleuré dans L’Hirondelle
d’or, ce cadre est au centre de l’intrigue de Dragon Inn avec le ministre Yu Qian faussement accusé de trahison
et exécuté par le tyran eunuque Cao Shaoqin. Ses enfants condamnés à l’exil
vont donc être secourus par un groupe d’épéistes rebelles et tout va se jouer à
l’Auberge du Dragon, poste-frontière situé dans le désert où rôde la Police
Secrète. La thématique de la rébellion est au centre des films de King Hu,
prenant un tour féministe dans L’Hirondelle
d’or, mystique et romanesque dans A
Touch of Zen et donc politique avec Dragon
Inn. En plaçant des figures historiques réelles dans son récit (le ministre
Yu et l’eunuque Cao Shaoqin), King Hu se fait autant conteur amenant le
romanesque dans la grande Histoire façon Alexandre Dumas qu’un citoyen
s’interrogeant sur le destin de la Chine contemporaine dont l’intrigue du film
nourrit les questionnements d’alors entre tradition et modernité.
L’approche réflexive conjuguée au grand film d’aventures
donne donc un ton très singulier à Dragon
Inn. A Touch of Zen poussera le
principe à l’extrême avec son héros stratège sans compétences martiales, mais Dragon Inn l’initie déjà avec ses héros
usant autant de leur virtuosité au sabre que de leur intellect. La première
partie voit tout ce petit monde se retrouver progressivement à l’auberge et un
savant dosage d’intimidation, d’amabilité de façade et de démonstrations de
force discrètes permettra par l’image de différencier alliés et ennemis. La
caméra de King Hu arpente insidieusement le décor, saisi les regards menaçants
à la dérobée ainsi que les attaques furtives et c’est naturellement le plus
amusé et impassible en apparence (excellent Shih Shun) qui triomphera. Chaque
assaut doit être savamment dosé et étudié, le but étant de vaincre en donnant
le change plutôt que par la force. Le grand combat final découle de cela, les
rebelles cherchant à déstabiliser mentalement l’eunuque Cao Shaoqin qui leur
est bien supérieur en termes d’arts martiaux. L’approche des combats pourra
donc éventuellement décevoir les amateurs de wu xia pian plus frénétiques. Pour
King Hu, la virtuosité martiale ne repose pas sur ce que l’on montre de ses
capacités, mais ce que l’on en dissimule pour mieux surprendre l’ennemi. Cela
fonctionne sur certaines scènes de batailles désamorcées (le subterfuge des
rebelles pour éviter l’assaut des troupes de l’eunuque sur l’auberge) mais
surtout dans les pures séquences de combats.
L’ampleur ne se prononce que pour mettre en valeur le décor
et le placement des combattants dans celui-ci, et la puissance des guerriers
est soulignée par le cadrage, la posture et le charisme des interprètes. Dès
que l’action se met réellement en route, King Hu exige l’attention du
spectateur en ne se montrant jamais gratuitement ostentatoire dans sa mise en
scène des combats. Les adversaires annexes surgissent ainsi hors-champ alors
qu’on pense se trouver dans un simple mano à mano. Personne ne semble prendre
le dessus lors d’une joute martiale échevelée mais pourtant chaque combattants
découvrira après coup les dégâts (vêtements déchirés, plaies ensanglantées)
d’une botte secrète qu’il n’a pas vu (et le spectateur avec) ni senti, si ce
n’est les conséquences. King Hu use d’un minimalisme brillant qui rend chaque
duel plus surprenant même si la méthode est la plus efficace tant que le film
reste en huis-clos. La poursuite/combat final en plein air et forcé de montrer
avec plus de détail la nature des attaques montre un peu plus les limites
martiales des acteurs. Cependant le jeu sur le mouvement et la superbe mise en
valeur du paysage montagnard rendent le tout formellement somptueux, d’autant
que la tension dramatique est à son comble face à cet eunuque indestructible où
la hargne devra se substituer à la ruse.
Le film sera un véritable triomphe commercial à travers
l’Asie, surpassant déjà celui significatif de L’Hirondelle d’or. Il s’inscrira durablement dans l’inconscient
collectif local en suscitant un remake extraordinaire, L’Auberge du dragon
signé Raymond Lee et Tsui Hark en 1992 (on évitera d’évoquer le second remake
récent) et sera l’objet d’un discret hommage dans le plus auteurisant Goodbye, Dragon Inn (2003) de Tsai Ming-liang où les personnages regardent
le film. Une belle revanche pour King Hu.
Ressort en salle le 12 aout
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