Pendant la Seconde
Guerre mondiale, Aliocha, un jeune soldat russe s’étant distingué sur le front,
se voit offrir une décoration. Il refuse toutefois ce grand mérite et, au lieu
de cela, demande à obtenir une permission pour rendre visite à sa mère. Son
voyage est long et difficile : il doit sauter de train en train, et de nombreux
obstacles lui font prendre du retard. Et puis il fera la rencontre de Choura,
jeune fille voyageant dans la même direction que lui. Pendant le trajet, tous deux
font connaissance, et tombent amoureux.
Après le succès du Quarante et unième (1956), Grigori Tchoukhraï
aborde de nous la guerre avec ce second film. Si le mélodrame et le romanesque
imprègnent également La Ballade du soldat,
il ne s’agira pas de les ériger en rempart de l’idéologie mais plutôt pour
émouvoir sur les conséquences de la Deuxième Guerre Mondiale sur le peuple
russe. Tchoukhraï et son scénariste Valentin Ezhov ont connus le front (Tchoukhraï
ayant même été décoré) et souhaite traduire leur expérience non pas du combat,
mais des amitiés nouées et de la douleur de perdre des camarades aimés au
combat. Le choix radical de filmer un film de guerre sans guerre ne passe pas
auprès du comité de censure et le réalisateur ajoutera ainsi la spectaculaire
scène d’ouverture où le jeune Aliocha (Vladimir Ivachov) se distingue
détruisant deux tanks. Le héros refuse la décoration militaire promise pour
obtenir la permission d’aller rendre visite à sa mère. Dans un pays à feu et à
sang, ce bref retour constituera une véritable odyssée.
La voix-off tout en lyrisme nous annonce d’entrée qu’Aliocha
a péri durant le conflit et n’a jamais pu revoir sa mère. Dès lors le récit ne
reposera pas sur un quelconque suspense quant au sort de son héros condamné,
mais formera une véritable boucle poétique (le film s’ouvre et se conclut sur l’image
de la route menant au village d’Aliocha) où il s’agira de saluer l’éphémère
beauté des rapports humain à travers les différentes rencontres d’Aliocha. Les
conséquences du conflit sur les soldats, leur famille et la population russe se
dévoilent par diverses situations. Le retour impossible et douloureux d’un
soldat amputé (Evgueni Ourbanski) donne à réfléchir quant à l’avenir des
vétérans, leur estime de soi en berne et leur place dans la société. Les meurtrissures
intimes trouvent toujours écho dans le collectif, le blessé ayant renoncé à
rentrer dans cet état se voyant conspué par la jeune femme du guichet (auquel
il envoyait le télégramme de son non-retour à sa femme) dont la détresse laisse
deviner qu’elle espère aussi le retour de son homme. On retrouve cette facette
collective quand Aliocha ira donner du savon et des nouvelles à l’épouse d’un
camarade. La traversée d’une ville en ruine exprime par l’image les privations
et les conditions de vie précaire, avant que la tendresse puis l’ingratitude se
révèlent en croisant l’épouse infidèle puis le père du camarade.
Tchoukhraï malgré ce contexte et l’issue tragique annoncée
offre pourtant un film lumineux, plein d’espoir et véritable ode à la jeunesse.
Chaque protagoniste torturé ou situation difficile rencontré seront toujours
surmonté par la fougue d’Aliocha. Cette fougue juvénile et cet élan
irrépressible à retrouver sa mère confère au personnage une bienveillance
contagieuse qui redonne courage au diverses personnalités qu’il croise et
suscite un même sentiment en retour quand il sera également en difficulté.
Cette idée s’accomplit pleinement dans la belle histoire d’amour qu’il noue
avec Choura (Janna Prokhorenko), une jeune femme voyageant clandestinement dans
le même train. La naïveté, la candeur et la maladresse de cette romance
naissante passe par l’humour et une complicité que le réalisateur fait avant
tout passer par l’image. Le dévouement et la gentillesse d’Aliocha émeuvent
Choura, la promiscuité, la complicité et le regard changeant se faisant au fil
du voyage.
Le dialogue accompagne plus qu’il n’explicite les sentiments (le bel
échange final où Choura avoue aller voir sa tante et pas un fiancé, soit une
déclaration d’amour indirecte) et Tchoukhraï se plaît à confronter ces visages
et corps innocents qui se frôlent et s’observent, de moins en moins réticent à
s’unir. Cette approche simple se ressent dans le ton évitant toujours la
mièvrerie, mais aussi dans l’épure de la mise en scène où qui s’éloigne de la
stylisation extrême du Quarante et unième.
La tragédie et le picaresque s’entremêlent constamment au fil des péripéties,
une rencontre loufoque (cette vieille femme conduisant un camion hors d’âge sur
les routes boueuses) alternant avec un bombardement qui décimera une famille. C’est
à l’image du film qui montre un héros positif mais que l’on sait condamné, la
guerre ayant arraché cette jeunesse à son futur – symboliquement représenté par
ce voyage qui donne voir l’homme qu’il
aurait pu être. Cela ne rendra que plus poignantes encore le final où
Tchoukhraï fige son héros dans cette image juvénile tout en laissant planer une
mélancolie marquée par la répétition de la dernière image.
Le film connaîtra un destin mouvementé, tout d’abord durant
son tournage. Tchoukhraï se blesse gravement le genou dès le premier jour de
production en tournant la scène de guerre d’ouverture. Durant sa convalescence,
il remanie son casting peu conforme à l’ode juvénile voulu (le studio Mosfilm
lui ayant imposé son héros du Quarante et
unième Oleg Strijenov mais dont le port trop aristocratique jurait avec le
personnage, en plus d’être trop âgé) mais l’équipe pensant travaille sur un
projet avec des stars quitte en partie le navire. Après d’âpres négociation avec
la Mosfilm le tournage reprendra pour aussi s’interrompre encore quand
Tchoukhraï contracte la fièvre typhoïde. Le film enfin tourné déplaira par son
aspect apolitique (la mort d’Aliocha pas montrée mais simplement évoquée en
voix-off, la scène où les soldats offrent leur part savon pour l’épouse d’un
camarade laissant à penser que l’Armée Rouge est sale) et le studio restreint
la sortie à un circuit parallèle qui exclut les grandes villes (Moscou, Saint-Pétersbourg)
et se tourne vers les villages, provinces, et autres ciné-club locaux. Lorsqu’un
sondage aura lieu en fin d’année sur le film préféré des russes, coup de
théâtre avec le choix massif de La
Ballade du soldat, film passé sous les radars critiques du fait de cette
diffusion. Le film se voit ainsi miraculeusement réhabilité et est envoyé à
Cannes où il recevra le Prix de la Meilleure participation pour la sélection
soviétique. Ce sera également un grand succès dans les salles françaises où il
totalise 2 millions d’entrées.
Sorti en dvd zone 2 français chez Potemkine
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