Tchécoslovaquie 1952.
Le cirque Cernik n'est plus libre de ses déplacements depuis que les
communistes ont pris le pouvoir. Le directeur Karel Cernik doit s'expliquer
auprès du bureau politique. Il n'est pas arrêté, mais il doit modifier certains
aspects du programme qui ne plaisent pas au parti. En fait, le but de la troupe
est de se diriger vers la frontière allemande et de passer en zone libre. Il
apparaît alors qu'un espion, qui renseigne les autorités, se trouve dans le
cirque.
Cirque en révolte
s’inscrit au centre d’une trilogie politique pour Elia Kazan, débutée avec Viva Zapata ! (1952) et
conclue avec le célèbre Sur les quais
(1954). Chacun de ces films reflète le rapport ambigu et conflictuel qu’entretient
Kazan l’homme de gauche avec le parti communiste et explique certaines de ses
actions les plus discutables. Les convictions de gauche du réalisateur s’opposent
ainsi à la nature totalitaire que ne manque pas de toujours représenter le
parti communiste à ses yeux. Dans Viva
Zapata !, le révolutionnaire en accédant au pouvoir comprend qu’il
cède au même autoritarisme que ceux qu’il a renversé et Sur les quais justifie presque la dénonciation controversée de
Kazan avec son héros s’aliénant ses amis en dénonçant la corruption des
syndicats de dockers.
Cirque en révolte,
adapté du roman éponyme de Neil Paterson (qui s’inspirait lui-même de la vraie
évasion du cirque Brumbach en 1950), part d’une même réflexion et trouve sa
source dans une expérience personnelle marquante d’Elia Kazan. Membre du parti
communiste depuis 18 mois au milieu des années 30, il est convoqué par le
bureau politique afin d’espionner ses partenaires du Group Theatre (troupe où il fit ses premiers pas d’acteur puis de metteur
en scène) et les inciter à produire des œuvres de propagande. Kazan refuse et
quitte le parti dans la foulée, et ce refus de l’intrusion brutale de la
politique dans l’art imprègne complètement Cirque
en révolte.
Karel Cernik (Fredrich March) est donc
un patron de cirque entravé depuis que les communistes ont pris le pouvoir en
Tchécoslovaquie. Une scène dénonce ainsi l’absurdité du dogme où tout doit être
politique quand Cernik est convoqué pour modifier la teneur d’un numéro de
clown. Il aura beau expliquer aux agents du bureau politique que les
changements exigés enlèvent la nature première du spectacle, faire rire le
public, au service de l’idéologie, ces derniers n’en ont cure. Cet instant
comique révèle pourtant l’atmosphère de suspicion et paranoïa que suscite le
régime, tant chez les oppresseurs que les oppressés d’ailleurs puisque la fuite
finale sera facilitée par l’arrestation inopinée du plus farouche agent incarné
par Adolphe Manjou - avec une tirade d’une belle ironie de ce dernier. Elia
Kazan capture à merveille l’atmosphère en vase-clos de ce monde du cirque, à l’opposé
de luxuriance de Sous le plus grand
chapiteau du monde de Cecil B. DeMille sorti l’année précédente.
Ici c’est
plutôt le quotidien monotone, les voyages laborieux, le matériel défectueux et
les conflits sous-jacents qui rythment la troupe hors de l’exaltation pure de
la performance scénique. Le scénario évite le côté trop soap opera (les
rapports conjugaux tumultueux entre Cernik et son épouse adultère jouée par
Gloria Grahame) en liant toujours la quête des personnages à ce contexte
politique. L’audacieuse évasion envisagée par Cernik est ainsi l’occasion pour
lui de redorer son blason auprès de son épouse et sa troupe pour lesquels il
apparaît ramolli depuis que le régime a repris son spectacle en main. C’est
aussi une manière habile de croiser ces enjeux intimes avec un passé
douloureux, Tereza (Terry Moore) la fille de Cernik tombant amoureuse de Vosdek
dont la famille a connu les horreurs du nazisme.
Formellement on sent les bienfaits de l’expérience du grand
spectacle de Viva Zapata ! dans
la mise en scène de Kazan. Même si sa réalisation était loin d’être figée
dans Un tramway nommé Désir (1951) et qu’il arpentait déjà l’urbanité dans Panique dans la rue (1950), on
ressentait encore l’influence théâtrale dans les décors studios et
environnement clos de films comme Le Lys de Brooklyn (1945) et L'Héritage de la chair (1949). Ici il dompte enfin les grands espaces dans une volonté de
suspense, de compréhension topographique pour le spectateur - essentielle dans
un film d’évasion réussi – mais aussi d’action avec un morceau de bravoure
final haletant.
Le climax célèbre d’ailleurs ce pouvoir du divertissement, la
troupe de cirque dupant longuement les gardes de frontières et fuyant
ouvertement sous leurs yeux grâce à la magie de leurs numéros qui ramènent les
geôliers en enfance. Le film restera longtemps inédit en France à cause de son
message ouvertement anti-communiste (et impossible à bidouiller par la vf comme
Le Port de la drogue (1953) de Samuel
Fuller) alors que le parti a encore à l’époque une assise électorale forte. C’est
donc l’occasion de découvrir une des belles réussites méconnues de Kazan.
Sorti en dvd zone 2 français chez ESC
Merci par votre chronique de m'avoir fait découvrir cette rareté qui évoque la vie de cirque de naguère.
RépondreSupprimerJ'ai par ailleurs eu le plaisir de voir hier un excellent thriller (dans la veine de Usual Suspects,des 9 reines ou de House of games).
Contratiempo (contretemps) est le titre original, le titre us the invisible guest et le titre français l'accusé... Ce film est scandaleusement sorti directement en DVD.
Ce film est éblouissant de maîtrise et d'inventivité.jusqu'à la fin où, en fait, on apprend qu'en fait la vérité c'est que... Sérieusement, le final est très réussi.
Un grand moment de cinéma que j'espère vous aurez l'occasion de chroniquer un jour.
Amicalement.
Merci du conseil je note, en plus je vois que c'est un thriller espagnol qui nous proposent d'excellents polars ces dernières années !
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