En 1943, la comtesse
Luisa, son fils Andrea, Carlo, son cousin et fils d'un fasciste, ainsi que
Ferruccio, un ami de la famille, se sont retirés dans une villa non loin de
Milan pour échapper aux bombardements. Des jeunes gens, seul Carlo semble
prendre vraiment conscience de la terrible situation. Mais tout bascule quand
des partisans, qui ont pu échapper aux Allemands, viennent trouver refuge dans
la villa...
Premier film de Francesco Maselli, Les Égarés est une œuvre courageuse osant aborder le passé fasciste
encore récent et la collaboration avec les allemands durant la Deuxième Guerre
Mondiale. Durant le années 50 la Démocratie Chrétienne fait régner une censure
rigide en vue de restaurer l’image du pays et le passé douloureux du film de
Francesco Maselli comme le présent misérable du néoréalisme sont
particulièrement mal vus. Les scénarios demandent de multiples réécritures et
une forme d’autocensure pour les auteurs, des coupes peuvent intervenir, des
films finissent aux oubliettes et parfois le gouvernement intervient même
auprès d’instances étrangères pour Umberto D (1952) qui voit la Palme d’or lui
échapper au Festival de Cannes 1952. Ces contraintes stimulèrent pourtant l’imagination
et l’engagement des grands cinéastes italien de l’époque, tous pour la plupart
à gauche voire communiste comme Rossellini, Antonioni, Lattuada ou Visconti.
C’est dans ce contexte que le tout jeune (vingt-quatre à
peine) Francesco Maselli se lance dans ce périlleux premier film. Il s’était
fait remarquer avec les deux court-métrage documentaires Bambini (1951)
et Ombrelli (1952) qui attire l’attention
de Michelangelo Antonioni qui l’engagera comme assistant et coscénariste sur L'Amorosa menzogna (1949), Chronique d'un amour (1950) et La Dame sans camélia (1953). Il nouera
également une solide amitié avec Luchino Visconti et c’est fort de tous ces
soutiens (Luchino Visconti permet de tourner à la villa Toscanini tandis que
son neveu Eriprando Visconti coécrit le scénario) qu’il débutera
clandestinement le tournage Les Égarés
pour éviter toute entrave de la censure (devant le fait accomplie puisque
prévenue quand le film en sera à sa quatrième semaine de tournage.
L’histoire
nous dépeint un microcosme rural témoin des soubresauts socio-politiques de
cette Italie bien mal engagé dans le conflit en 1943. Le jeune Andrea
(Jean-Pierre Mocky) d’ascendance noble a quitté le tumulte milanais pour s’installer
en campagne avec sa mère. La voix-off lors de la scène d’ouverture avec ces
préoccupations superficielles (les disques de jazz, peintures et livres favoris
amenés à la campagne, lui-même considéré comme un objet précieux à emporter par
sa mère) témoigne du détachement de cette jeunesse aisée du conflit, d’autant
que l’on voit Andrea se réveiller paisiblement loin de toutes vicissitudes. La
réalité se rappelle pourtant à lui lorsqu’il est sollicité par le maire pour
héberger des réfugiés victimes de bombardements.
Il acceptera plus pour le charme de la jeune Lucia (Lucia
Bosé) que par réelle compassion pour les malheureux. On découvre ainsi une
noblesse hautaine et méprisante représentée par la comtesse et mère d’Andrea (Isa
Miranda) et une jeunesse soumise, immature comme notre héros ou adhérant à l’idéologie
fasciste comme le cousin Ferruccio (Leonardo Botta). Pour eux la guerre n’existe
pas, démobilisés de par leur statut ils vivent une existence oisive et loin des
dures réalités. Maselli fait passer cela par le dialogue notamment le ton constamment
sarcastique de Ferruccio mais également sa flamboyante utilisation de ce décor
naturel. L’hédonisme immature passe par les journées oisives passées à se
baigner et flirter, mais le réel se rappelle à Andrea quand le fossé entre leur
monde lui saute aux yeux alors qu’il se moquera de la modeste profession de
cartonnière de Luisa - et qu’elle lui répondra de façon cinglante que tous n’ont
pas le choix quant à sa « carrière ».
L’imagerie ensoleillée illustre
l’alanguissement des nantis quand l’échange Andrea/Luisa se fait dans une
colline brumeuse (somptueuse photo de Gianni Di Venanzo) où le rapprochement
possible et le fossé qui les sépare s’incarnent dans une même image. Chaque
rapprochement possible entre eux est éteint par ce clivage de classe et surtout
la lâcheté d’Andréa totalement soumis à sa mère. Maselli par ce microcosme révèle
un pays déchiré entre les fascistes repentis par la défaite imminente, les nantis
qui sauront toujours s’attacher au dominant et une jeunesse schizophrène sur
laquelle tout repose : Carlo (Antonio de Teffè) humaniste et engagé,
Ferrucio fils de fasciste méprisant et bien sûr Andrea l’inconséquent. Francesco Maselli parvient à mêler ce contexte à l’intime, l’atmosphère
oppressante contrebalançant toujours avec l’émotion de cette romance avortée
(les jeux de regards entre Mocky et Lucia Bosé, les compositions de plan les
liant et les éloignant comme cette scène où il l’observe par la fenêtre). Les
réfugiés représente une réalité dérangeantes qui s’impose (les cris de cette
femme un soir de bombardement) au détachement de cette élite mais qui peut
également éveiller une prise de conscience pour Andrea.
L’ambiguïté entre ce
sursaut politique et la simple preuve d’amour demeure jusqu’au bout pour
Andrea, notamment par un rebondissement final avec des soldats italiens
démobilisés fuyant les troupes allemandes. Le courage, la lâcheté et l’opportunisme
sous-jacent de la première partie se révèlent au grand jour dans une conclusion
poignante. Par son lyrisme, sa dimension romantique et sa flamboyance formelle,
Les Égarés offre donc un grand
mélodrame dans le cadre de son propos risqué et engagé. Le gouvernement exigera
de nombreux changements dans les dialogues (qui interviendront dans la postsynchronisation),
entravera le bon déroulement du tournage (en refusant de fournir des armes à
feu ce qui obligera l’équipe à en fabriquer de factice en bois) et certaines
transitions abruptes peuvent laisser penser qu’il y peut-être eu des scènes
coupées. Le propos et l’émotion gardent néanmoins toutes leurs forces, le film
étant très bien accueilli au Festival de Venise et lançant idéalement la carrière
de Francesco Maselli (toujours actif aujourd’hui à 86 ans !).
Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa
Mille excuses mais Rossellini n'était nullement communiste .
RépondreSupprimerFasciste au départ il devint ensuite sympathisant de la Democratie Chretienne