Shinichi a quitté la
fac plein d’idéaux pour servir, en tant que metteur en scène, une petite troupe
de théâtre ambulant qui a bien du mal remplir les chapiteaux. Son directeur
peine à payer ses acteurs et rechigne à écouter les propositions du jeune homme
lorsque celui-ci essaie d’innover. Malgré les difficultés et la proposition
d’un ami de venir travailler à la télévision, il choisit de suivre la troupe de
ville en ville. Le cœur du jeune homme vacille entre son désir pour Chidori,
une des filles du directeur, dont les sentiments restent troubles et qui se
trouve déjà mariée à Eizaburo, la vedette du spectacle, et Chigusa, la sœur de
celle-ci qui, elle, éprouve de réels sentiments pour lui.
Après des débuts en tant qu’assistant d’Ozu à la Shōchiku,
Shohei Imamura quitte le studio pour intégrer la Nikkatsu moins prestigieuse
mais plus rémunératrice. Il y fera dans un premier temps des travaux de
scénariste remarqués notamment sur la
comédie satirique Chronique du soleil à
la fin de l'ère Edo d’Yūzō Kawashima (1957) avant d’avoir l’opportunité de
passer à la mise en scène pour Désirs
volés. On qualifie parfois ce premier film de mineur et impersonnel mais on
y trouve pourtant déjà tous les motifs qui irrigueront le cinéma d’Imamura par
la suite.
La dimension anthropologique et documentaire se ressent
notamment dans la scène d’ouverture filmant la ville d’Osaka depuis le ciel
tandis qu’une voix-off nous en dépeint les monuments passés et moderne, puis
les coutumes et habitants. Au fur et à mesure de cette description le cadre se
rapproche des toits de la ville pour ensuite en filmer les rues, comme un
microscope scrutant au plus près des insectes en mouvement. Le film n’adopte
pas encore la froideur clinique d’œuvres comme La Femme Insecte (1963) ou Le Pornographe (1966) mais scrute déjà avec crudité les comportements
excessifs et compulsifs inhérents à la nature humaine. Le terrain d’observation
sera ici une petite troupe de théâtre qui a bien du mal à subsister. La troupe
est ainsi obligée d’ouvrir son spectacle sur un numéro de strip-tease pour
attirer le spectateur, masculin pour l’essentiel, et qui décampe aussitôt l’effeuillage
terminé et ne s’attarde pas pour la pièce. Une situation qui crée donc des
dissensions entre le directeur de la troupe et ses acteurs trop rarement payés
à leur goût, ce qui offre une dispute épique durant l’entrée en matière.
Contrainte de quitter cette grande ville inhospitalière, la troupe va alors
investir un village où ils semblent bien plus attendus.
Imamura observe les passions qui s’agitent dans cette vie en
communauté. Le réel attachement mêlé de je-m'en-foutisme concernera les acteurs
qui tout en se plaignant ne peuvent se détacher de cette vie. Le jeune auteur Shinichi
(Hiroyuki Nagato) est lui animé par la vraie flamme du théâtre pour laquelle il
a renoncé à une carrière plus balisée et s’accroche à la troupe également pour
la passion secrète qu’il nourrit pour Chidori (Yōko Minamida), la fille du
directeur. Celle-ci est pourtant déjà mariée tandis que sa jeune sœur Chigusa (Michie
Kita) est également folle amoureuse de Shinichi. Imamura signe un film
véritablement en réaction du cinéma d’Ozu, une influence indirecte puisque tout
concourt chez lui à aller à contre-courant du classicisme et de la retenue de
son aîné. C’est particulièrement flagrant si on compare Désirs volés à Herbes
flottantes (1959) où Ozu dépeint également une troupe de théâtre. Ici le
réalisateur dans l’excès des sentiments et comportements compulsifs encore
baignés d’humour et de romanesque mais qui annoncent les moments les plus dérangeants
de sa filmographie. La dépit amoureux, le désir ou le rapprochement charnel
sont au centre des enjeux et ne s’expriment que de façon crues.
Le réalisateur
alterne espaces confinés et extérieurs pour l’exprimer, sincérité comme simple
pulsions sexuelles pouvant surgir à tout moment. Les sentiments s’enchevêtrent
dans la confusion pour le spectateur et les protagonistes (Shinishi en colère
de ne pas voir la compagnie évaluer seul en forêt assouvissant sa frustration
avec une Chigusa insistante, l’hésitation et le revirement final), le ton
bascule du grivois rigolard au franchement glauque (les jeunes bons à rien
voyeurs du village qui enlèvent une actrice). En gardant un ton d’une outrance
égale en toutes situations, Imamura évite de juger ses personnages et se pose
en observateur (sans doute plus ouvertement chaleureux ici) des comportements
humains. Le sexe est le moteur principal des actions des personnages et Imamura
ose filmer crûment (mais encore atténuer par l’humour ou un certain romantisme)
certains éléments assez singulier de la libido japonaise et masculine plus
particulièrement : le voyeurisme donc, la frontière ténue entre l’insistance
et le viol (l’acteur convoquant une aspirante pour une « audition »),
l’attitude féminine aussi fuyante que ardente…
Tout cela reste assez sobre et
dans une tonalité de comédie enlevée vraiment drôle mais l’acuité froide et l’humour
noir des films suivant se devinent déjà ici – même sur des éléments triviaux
comme cette amusante grand-mère avide au gain. Le triangle amoureux familial
est aussi déjà là (mais sans le registre incestueux de La Femme Insecte et Le
Pornographe) avec ces deux sœurs se disputant un homme, là aussi dans cette
dualité secrètement aimante mais fuyante (Chidori) puis ardente et offerte
(Chigusa) le désir allant vers la plus difficile à avoir dans une logique aussi
perverse que romanesque.
Toute cette confusion rend les personnages vivant et vibrant
et déjà chez Imamura les soubresauts intérieurs prennent une veine expressive
où l’on se bat, s’enivre et pique des colères dantesque quand les choses
tournent mal pour nous. La sobriété est pour les gens éteints, aux passions
plus abstraite tel Eizaburo (Shinichi Yanagisawa) si habité dans son numéro de
danse kabuki solitaire et si éteint quand il apprendra l’adultère de sa femme.
Une première œuvre passionnante donc et où la Nikkatsu percevra les velléités provocatrice
d’Imamura et lui demandera de calmer le jeu sur les films suivant plus
conventionnels (Devant la gare de Ginza
(1958), Mon deuxième frère (1959)
avant le coup de tonnerre que constituera Cochons et Cuirassés (1961).
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Elephant Films
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