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mercredi 23 août 2017

Un jour dans la vie de Billy Lynn - Billy Lynn's Long Halftime Walk, Ang Lee (2017)


En 2005, un jeune Texan de 19 ans, Billy Lynn, est pris dans une violente attaque avec son régiment d'infanterie en Irak. Lui et les autres survivants sont présentés comme des héros. Ils sont ensuite rapatriés aux États-Unis par l'administration Bush pour parader dans tout le pays, parade qui culmine lors du show de la mi-temps du match de NFL (football américain) des Dallas Cowboys pour Thanksgiving, match à domicile à Dallas. Mais ils doivent ensuite retourner au front...

Un jour dans la vie de Billy Lynn vient encore prouver, après les brillants Démineurs (2011) de Kathryn Bigelow et American Sniper de Clint Eastwood (2015), que les films les plus intéressants sur la guerre d’Irak furent réalisés après la fin du conflit, loin des passions et de l’idéologie anti-Bush. Le film d’Ang Lee partage avec ses prédécesseurs une absence de jugement moral et/ou politique sur le conflit et un choix de capturer les états d’âmes des soldats et le rapport à leur environnement. Le meilleur moyen pour ces œuvres de ne pas paraître datée et de délivrer un message plus universel, loin des ruades stériles et sans finesses des années 2000 comme Redacted de Brian de Palma (2007) ou Fahrenheit 9/11 de Michael Moore (2004). Ang Lee adapte là le roman Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn de Ben Foutain paru en 2012. L’idée du livre lui serait venue un soir de Thanksgiving où il regardait un match de football américain à la télévision. 

Le grand show et la parade rythmant la mi-temps voyait des vétérans de la guerre d’Irak exposés au public entre les danseurs et autres poms poms girls, au garde à vous dans une vision totalement surréaliste. Le roman essayait donc d’imaginer le ressenti de ces militaires plongés dans ce tumulte. Après L'Odyssée de Pi (2012) c’est un nouveau défi à la fois technique et narratif qui se pose alors à Ang Lee qui souhaite traduire de la manière la plus sensitive possible l’état d’esprit de son héros. Il fera ainsi le choix de tourner le film au format 4K, en 3D et à 120 images par seconde au lieu de 24. La conjonction de ces techniques multiplie par 40 la quantité d’informations reçues par le spectateur par rapport à une image traditionnelle et permet une plongée plus immersive dans la psyché de Billy Lynn (Joe Alwyn). Le peu d’écrans susceptibles de projeter le film dans les conditions idéales (aux Etats-Unis mais aussi en France où il fut diffusé de manière classique au cinéma) sera une des causes de l’échec du film, mais on peut néanmoins entrevoir les possibilités de ces choix formels.

Des caméras de télévision ont capturés l’exploit de du soldat Billy Lynn, parti sauver seul son sergent au milieu d’une embuscade de son régiment. Cette image forte dans une Guerre d’Irak si verrouillée médiatiquement va faire le tour du pays et l’ériger avec sa section « Bravo » au rang de héros nationaux. Ils sont donc invités à parader  travers le pays jusqu’à ce jour où ils devront défiler à la mi-temps d’un match des Dallas Cowboys durant un concert des Destiny’s Child. La narration adopte le point de vue confus de Billy, perdus entre cette journée hors-normes, ses souvenirs du front et ceux plus récents des retrouvailles avec sa famille. Cela nous offre un portrait intime où quel que soit le cadre, notre héros cherche sa place et doute de sa vocation de soldat. Son engagement est une échappatoire à un acte de délinquance pour défendre l’honneur de sa sœur (Kristen Stewart), les foules béates ne lui font pas oublier qu’il a perdu un ami cher au front, ce lieu où il n’avait de cesse de s’interroger sur le sens de sa présence. Le film constitue ainsi à travers les doutes de Billy, une véritable photographie de l’Amérique déchirée de Bush. La séquence en famille montre le déchirement entre la classe moyenne naïvement confiante en son gouvernement (qui va forcément guerroyer en Irak pour nous protéger) et la sœur plus éduquée et inquiète pour Billy qui y voit des raisons plus discutables. 

Parfois ce point de vue entre le cynisme et la crédulité passe par une ironie mordante, que ce soit cet homme d’affaire pétrolier parfaitement conscient de l’enjeu économique véritable du conflit (et qui s’en réjouit) ou cette pom pom girl (Makenzie Leigh) énamourée pour l’uniforme. Dans chacun de ces contextes, Billy n’a qu’une seule bouée de sauvetage : ses camarades et le corps de l’armée. Loin d’une logique va-t’en guerre, c’est plutôt une manière de découvrir ses aptitudes, que ce soit avec la rudesse affectueuse du sergent Dime (excellent et charismatique Garrett Hedlund) ou la sagesse teintée de mysticisme du sergent Breem (étonnant Vin Diesel). La camaraderie virile et potache affirme les liens profond de l’unité Bravo, quelques beaux moments intimistes exprimant le sens qu’offre l’armée à leur vie jusque-là sans but, d’un point de vue humain mais aussi social (le personnage latino échappant à des jobs alimentaire sans éclat). 

Ce n’est pas l’armée dans sa facette patriotique qui est célébrée, mais la simple dimension de frères d’armes soudés et finalement apolitique – un dialogue soulignant le simple devoir d’aller là où on les envoie sans se poser de question. Démineurs voyait son héros revenir au front par pure addiction à l’adrénaline, American Sniper déshumanisait le sien en en faisant un professionnel de plus en plus glacial alors que Billy Lynn montre des jeunes gens apeurés qui combattent par solidarité les uns envers les autres. L’Irak n’est pas un lieu où exprimer leurs pulsions, mais celui où l’on partage tout et protège son camarade.

Ang Lee évite totalement l’écueil patriotique en se montrant incroyablement critique envers la bannière étoilée. Même si l’on ne peut en apprécier les nuances fautes de conditions idéales, la mise en scène d’Ang Lee par son placement parfois quasi subjectif et son image hyperréaliste renforce la notion intime des sensations de Billy. Cela donne facette chaleureuse plus intense dans les moments intimes (la discussion sous un arbre entre Billy et Breem) et plus étrange et flottante dans les moments où Billy perd pied avec le réel. Cela reste diffus dans les habiles transitions d’un contexte à l’autre et dans la pure rêverie (Billy s’imaginant coucher avec sa pom pom girl). Mais c’est quand l’absurde s’invite dans la réalité que l’effet est le plus saisissant avec la guerre devenue entertainment  pyrotechnique, un spectacle son et lumière destiné à divertir les foules. Les feux d’artifices sont des réminiscences des explosions et coup de feu du front qui tétanise Billy soudain extérieur à lui-même avec ce travelling circulaire qui capture son visage hébété au milieu du tumulte. 

En flashback nous découvrons enfin pleinement la nature douloureuse, sanglante et pathétique de l’acte d’héroïsme célébré avec tant de ferveur et la survie ainsi que le sauvetage d’un camarade semble avoir plus de sens que ce show pathétique. Quand Billy et ses amis soufrent et combattent ensemble, la société américaine fait de leur action un spectacle pour justifier leur mobilisation auprès du peuple. En renonçant à être les objets du grand barnum médiatique - le fil rouge de l’adaptation cinématographique de leurs exploits -, l’unité Bravo retrouve sa raison d’être de survie et protection mutuelle. Billy ne retourne pas au front pour le drapeau ou ses concitoyens pour lesquels il n’est qu’une image (le saisissant moment où la pom pom girl semble se détacher de lui quand il renonce presque à être ce héros en uniforme) mais car il est le seul à pouvoir protéger sa seul vraie famille, ses compagnons d’armes. Ang Lee signe une œuvre brillante et un des grands films de l’année en conjuguant la fraternité et le récit d’apprentissage cher à Samuel Fuller et la notion plus critique du Clint Eastwood de Mémoires de nos pères (2006).

 Sorti en dvd zone 2 et bluray (dont un bluray 3D pour le voir dans les conditions voulues pas le réalisateur) chez Sony

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