Dans l'Espagne des
années 50, un couple vit dans un village du Nord avec leur petite fille.
Celle-ci développe une fascination pour son père et découvre qu'il a laissé une
autre femme aimée dans le Sud du pays, dont il est originaire.
Victor Erice retrouve les rives de l’enfance dix ans après L’Esprit de la ruche (1973) avec Le Sud, second film tardif où il adapte
le roman éponyme de sa compagne d’alors, Adelaida García Morales. Dans L’Esprit de la ruche une fillette posait
un regard chargé d’innocence et d’imagination sur la mort, et que ne pouvait
altérer la réalité désenchantée des adulte. Le
Sud tisse un mystère tout aussi poétique mais plus intime pour la jeune
Estrella (Sonsoles Aranguren et Icíar Bollaín), idolâtrant son père avant de progressivement déceler ses failles. Ce
processus de démythification des parents propre à tout enfant prend un tour
bien plus profond pour Victor Erice qui l’associe à sa propre enfance (marquée
par les silences et secrets de la dictature) et du contexte espagnol, à la fois
politique mais également régional.
Le Sud évoqué par le titre sera un lieu mythique puis de désenchantement
pour Estrella. Il s’oppose au Nord (la Castille et son climat froid et austère
privilégiant l’introspection) où vit la fillette tandis que le père (Omero
Antonutti) adoré est originaire de ce Sud (l'Andalousie, terre de chaleur
humaine et climatique, de communion et d’attitudes extraverties) fantasmé mais
que l’on ne verra jamais. Estrella encore âgée de huit ans associe ainsi l’aura
fantasmagorique du Sud aux pouvoirs qu’est supposé détenir ce père dont l’évocation
(un dialogue entre Estrella et sa mère), les objets curieux (le pendule), les
habitudes excentriques (les longues heures d’isolation au grenier) et les
exploits extravagants (la détection d’eau sur un terrain) associent irrémédiablement
à un magicien.
Victor Erice capture le regard émerveillé de la petite fille
pour exprimer cette aura surnaturelle (la manière dont il surgit des ténèbres
sous une lumière bleutée dans l’église lors de la scène de première communion),
tout en l’associant toujours à une facette chaleureuse. La danse endiablée
père/fille durant la fête de première communion traduit cette complicité tandis
que la nourrice Milagro (Rafaela Aparicio) et la grand-mère (Germaine Montero)
par leur truculence dégagent ce pittoresque positif évoqué par le Sud.
Pourtant progressivement le Sud va évoquer le souvenir et le
secret pour Estrella. Les fantômes de la Guerre Civile planaient sur L’Esprit de la ruche et ce sont ceux d’une
dictature longuement installées qui irriguent Le Sud. La mère (Lola Cardona) a été déchue de son poste d’institutrice
avec la dictature et le père en conflit avec sa famille par son opposition au
Franquisme a dû fuir le sud. Ce passé dont on ne peut totalement échapper hante
ainsi le père, notamment par cette maison isolée de la ville en forme de purgatoire
et dont les artefacts le ramènent irrémédiablement au passé (la maison nommée « La
Gaviota » (La mouette) et dont le sigle orne l’entrée, un oiseau associé à
la mer, au voyage et à l’évasion qu’on imagine mieux dans le sud). Mais
surtout, le sud et le passé qu’il dissimule va révéler le vrai amour du père,
celui qu’il n’a jamais complètement oublié et qui le plonge dans des abîmes de
mélancolie. Comme dans L’Esprit de la
ruche, c’est une image qui servira de révélateur, d’abord un dessin de la
femme aimée dissimulée dans le bureau du père, puis son nom et visage sur une
affiche et enfin un extrait de film où elle joue.
Dès lors les images iconiques
et la rêverie dégagée par le sud s’estompent au fur et à mesure que le père
tombe de son piédestal, ressemblant de plus en plus au chef de famille fantôme
et absent de L’Esprit de la ruche. Le
souvenir devient synonyme de bonheur disparu et de peines secrètes, ce qu’Erice
traduit implicitement par l’image. Les lents passages de l’obscurité à la
lumière (la scène d’ouverture, celle où le père explique les vertus du pendule
à Estrella) entremêlent la nature enfouie et douloureuse de ces souvenirs, l’éclairage
et la composition de plan (inspirée de Vermeer et Caravage) soulignant aussi la
beauté « embellie » de ces visions du passé.
On suit Estrella de huit à quinze ans et l’imaginaire vicié
par la déchéance du père pour la fillette laisse place au détachement et à l’acceptation
pour l’adolescente. La poursuite perpétuelle de l’attention de ce père
démissionnaire par l’enfant a laissée place à l’indifférence de la jeune femme
qui commence à avoir les préoccupations de son âge (l’amusante évocation du
prétendant « El Carioco » déclarant sa flamme sur les murs). Dès lors
l’imagerie du film se déleste de toute majesté et onirisme (pour lequel Erice n’a
plus eu besoin de recourir au fantastique dans ce film), l’image de la relation rompue entre père et
fille. On le verra dans le mimétisme cruel des deux séquences où Estrella est
témoin de la détresse de son père en pleine ville. La première fois elle surgit
comme dans un rêve dans la buée d’une vitre du café où il écrivait une lettre car
soucieuse d’apaiser cet être tant aimé qu’elle voit pour la première fois en
position de vulnérabilité.
La seconde fois désormais adolescente et habituée à
ses défaillances, elle l’observe de loin en restant cachée sans intervenir. L’autre
parallèle sera quand ils seront chacun incapables de répondre au désespoir de l’autre.
Estrella enfant se réfugie longuement sous un lit sans répondre aux appels de
sa mère et attendant ceux de son père mais ce dernier reste figé dans sa
torpeur au grenier. Lors d’une des dernières scènes tous deux déjeunent dans le
restaurant d’un hôtel, l’atmosphère sinistre et le luxe blanc et neutre des
lieux jurant avec les environnements stylisés du temps de leur alchimie
commune. Estrella observe lasse et impuissante son père à la dérive et l’abandonne
à son sort pour ce qui sera leur ultime rencontre.
La voix-off du film est une simple évocation du passé par
une Estrella adulte quand la narration à la première personne du livre s’adressait
directement au père. Seul domine le regret dans le film tout en laissant la
porte ouverte à une possible réconciliation par la découverte de ce Sud où
Estrella s’apprête enfin à se rendre. Si dans son enfance Victor Erice fit ce
rituel en déménageant du nord vers le sud, le film reste dans un mystère pas
forcément volontaire par rapport au roman. Le scénario de 400 pages prévoyait
un troisième acte où en se confrontant au Sud et passé de son père, Estrella
lui pardonnait ses errances. Un changement de direction au sein de la chaîne de
télévision finançant le film en raccourcit le tournage (les 81 jours initiaux
étant réduits à 48) et oblige Victor Erice à monter ce qui a été tourné en vue
du Festival de Cannes 1983.
L’accueil sera dithyrambique pour le film pourtant
incomplet et la possibilité envisagée de tourner la dernière partie sera abandonnée.
Il y a effectivement un sentiment d’inachevé à la conclusion d’El Sur, mais c’est finalement ce qui en
fait la grandeur. La beauté du cinéma de Victor Erice repose justement sur la
confiance qu’il a envers spectateur pour combler par lui-même les zones de flous, l’incertitude
permanente de la perception de ces récits. Dès lors à nous d’imaginer les
paysages du Sud et les énigmes qu’ils renferment.
Sorti en BR et dvd zone 2 anglais et doté de sous-titres anglais
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire