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vendredi 18 août 2017

Le Sud - El sur, Victor Erice (1983)

Dans l'Espagne des années 50, un couple vit dans un village du Nord avec leur petite fille. Celle-ci développe une fascination pour son père et découvre qu'il a laissé une autre femme aimée dans le Sud du pays, dont il est originaire.

Victor Erice retrouve les rives de l’enfance dix ans après L’Esprit de la ruche (1973) avec Le Sud, second film tardif où il adapte le roman éponyme de sa compagne d’alors, Adelaida García Morales. Dans L’Esprit de la ruche une fillette posait un regard chargé d’innocence et d’imagination sur la mort, et que ne pouvait altérer la réalité désenchantée des adulte. Le Sud tisse un mystère tout aussi poétique mais plus intime pour la jeune Estrella (Sonsoles Aranguren et Icíar Bollaín), idolâtrant son père avant de progressivement déceler ses failles. Ce processus de démythification des parents propre à tout enfant prend un tour bien plus profond pour Victor Erice qui l’associe à sa propre enfance (marquée par les silences et secrets de la dictature) et du contexte espagnol, à la fois politique mais également régional.

Le Sud évoqué par le titre sera un lieu mythique puis de désenchantement pour Estrella. Il s’oppose au Nord (la Castille et son climat froid et austère privilégiant l’introspection) où vit la fillette tandis que le père (Omero Antonutti) adoré est originaire de ce Sud (l'Andalousie, terre de chaleur humaine et climatique, de communion et d’attitudes extraverties) fantasmé mais que l’on ne verra jamais. Estrella encore âgée de huit ans associe ainsi l’aura fantasmagorique du Sud aux pouvoirs qu’est supposé détenir ce père dont l’évocation (un dialogue entre Estrella et sa mère), les objets curieux (le pendule), les habitudes excentriques (les longues heures d’isolation au grenier) et les exploits extravagants (la détection d’eau sur un terrain) associent irrémédiablement à un magicien. 

Victor Erice capture le regard émerveillé de la petite fille pour exprimer cette aura surnaturelle (la manière dont il surgit des ténèbres sous une lumière bleutée dans l’église lors de la scène de première communion), tout en l’associant toujours à une facette chaleureuse. La danse endiablée père/fille durant la fête de première communion traduit cette complicité tandis que la nourrice Milagro (Rafaela Aparicio) et la grand-mère (Germaine Montero) par leur truculence dégagent ce pittoresque positif évoqué par le Sud.

Pourtant progressivement le Sud va évoquer le souvenir et le secret pour Estrella. Les fantômes de la Guerre Civile planaient sur L’Esprit de la ruche et ce sont ceux d’une dictature longuement installées qui irriguent Le Sud. La mère (Lola Cardona) a été déchue de son poste d’institutrice avec la dictature et le père en conflit avec sa famille par son opposition au Franquisme a dû fuir le sud. Ce passé dont on ne peut totalement échapper hante ainsi le père, notamment par cette maison isolée de la ville en forme de purgatoire et dont les artefacts le ramènent irrémédiablement au passé (la maison nommée « La Gaviota » (La mouette) et dont le sigle orne l’entrée, un oiseau associé à la mer, au voyage et à l’évasion qu’on imagine mieux dans le sud). Mais surtout, le sud et le passé qu’il dissimule va révéler le vrai amour du père, celui qu’il n’a jamais complètement oublié et qui le plonge dans des abîmes de mélancolie. Comme dans L’Esprit de la ruche, c’est une image qui servira de révélateur, d’abord un dessin de la femme aimée dissimulée dans le bureau du père, puis son nom et visage sur une affiche et enfin un extrait de film où elle joue. 

Dès lors les images iconiques et la rêverie dégagée par le sud s’estompent au fur et à mesure que le père tombe de son piédestal, ressemblant de plus en plus au chef de famille fantôme et absent de L’Esprit de la ruche. Le souvenir devient synonyme de bonheur disparu et de peines secrètes, ce qu’Erice traduit implicitement par l’image. Les lents passages de l’obscurité à la lumière (la scène d’ouverture, celle où le père explique les vertus du pendule à Estrella) entremêlent la nature enfouie et douloureuse de ces souvenirs, l’éclairage et la composition de plan (inspirée de Vermeer et Caravage) soulignant aussi la beauté « embellie » de ces visions du passé. 

On suit Estrella de huit à quinze ans et l’imaginaire vicié par la déchéance du père pour la fillette laisse place au détachement et à l’acceptation pour l’adolescente. La poursuite perpétuelle de l’attention de ce père démissionnaire par l’enfant a laissée place à l’indifférence de la jeune femme qui commence à avoir les préoccupations de son âge (l’amusante évocation du prétendant « El Carioco » déclarant sa flamme sur les murs). Dès lors l’imagerie du film se déleste de toute majesté et onirisme (pour lequel Erice n’a plus eu besoin de recourir au fantastique dans ce film),  l’image de la relation rompue entre père et fille. On le verra dans le mimétisme cruel des deux séquences où Estrella est témoin de la détresse de son père en pleine ville. La première fois elle surgit comme dans un rêve dans la buée d’une vitre du café où il écrivait une lettre car soucieuse d’apaiser cet être tant aimé qu’elle voit pour la première fois en position de vulnérabilité. 

La seconde fois désormais adolescente et habituée à ses défaillances, elle l’observe de loin en restant cachée sans intervenir. L’autre parallèle sera quand ils seront chacun incapables de répondre au désespoir de l’autre. Estrella enfant se réfugie longuement sous un lit sans répondre aux appels de sa mère et attendant ceux de son père mais ce dernier reste figé dans sa torpeur au grenier. Lors d’une des dernières scènes tous deux déjeunent dans le restaurant d’un hôtel, l’atmosphère sinistre et le luxe blanc et neutre des lieux jurant avec les environnements stylisés du temps de leur alchimie commune. Estrella observe lasse et impuissante son père à la dérive et l’abandonne à son sort pour ce qui sera leur ultime rencontre.

La voix-off du film est une simple évocation du passé par une Estrella adulte quand la narration à la première personne du livre s’adressait directement au père. Seul domine le regret dans le film tout en laissant la porte ouverte à une possible réconciliation par la découverte de ce Sud où Estrella s’apprête enfin à se rendre. Si dans son enfance Victor Erice fit ce rituel en déménageant du nord vers le sud, le film reste dans un mystère pas forcément volontaire par rapport au roman. Le scénario de 400 pages prévoyait un troisième acte où en se confrontant au Sud et passé de son père, Estrella lui pardonnait ses errances. Un changement de direction au sein de la chaîne de télévision finançant le film en raccourcit le tournage (les 81 jours initiaux étant réduits à 48) et oblige Victor Erice à monter ce qui a été tourné en vue du Festival de Cannes 1983. 

L’accueil sera dithyrambique pour le film pourtant incomplet et la possibilité envisagée de tourner la dernière partie sera abandonnée. Il y a effectivement un sentiment d’inachevé à la conclusion d’El Sur, mais c’est finalement ce qui en fait la grandeur. La beauté du cinéma de Victor Erice repose justement sur la confiance qu’il a envers spectateur pour combler par lui-même les zones de flous, l’incertitude permanente de la perception de ces récits. Dès lors à nous d’imaginer les paysages du Sud et les énigmes qu’ils renferment.

Sorti en BR et dvd zone 2 anglais et doté de sous-titres anglais


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