La famille Nolan vit pauvrement à
Brooklyn. Katie fait de nombreux travaux ménagers. Ses deux enfants,
Neeley et Francie, vendent de vieux chiffons à la sortie de l'école pour
aider un peu la famille. Johnny, le mari, travaille dans un restaurant
lorsqu'il n'est pas ivre et sa sœur Sissy mène une vie trop agitée au
goût de Katie.
Elia Kazan signe son premier film avec Le Lys de Brooklyn, fort de sa notoriété acquise dans le monde du théâtre et attisant les sirènes d'Hollywood. Intégrant comme acteur le Group Theatre
au début des années 30, Kazan s'y révèle cependant en tant que metteur
en scène qui lui vaudront dès la fin des années 30 les sollicitations
d'Hollywood auxquels il tourne le dos si ce n'est comme acteur dans deux
films d’Anatol Litvak Ville conquise (1940) et Blues in the Night
(1941). C'est fort de cette renommée que Kazan choisit la Fox de Darryl
Zanuck pour ses débuts, le réalisateur s'inscrivant dans veine sociale
initiée par le studio avec notamment les deux classiques de John Ford Les raisins de la colère (1940) et Qu'elle était verte ma vallée (1941).
Le
film adapte le best-seller de Betty Smith paru en 1943 et s'inscrit à
la fois dans les préoccupations sociales d'alors et celles propres
Kazan avec sa vision de la famille et des milieux modestes. Le film sort
au moment de l'après-guerre où la structure familiale a appris se
construire en l'absence de la figure du père mobilisé, où les femmes ont
investies le champ des responsabilités pour subvenir au besoin du
foyer. Bien que le film ne se déroule pas à cette période, il témoigne
symboliquement de cette situation avec la figure de père incarné par
James Dunn, ce Johnny Nolan doux rêveur alcoolique ayant du mal trouver
un job fixe. La survie du foyer est ainsi assurée par Katie (Dorothy
McGuire) au caractère rude et terre à terre qui se tue à la tâche au
quotidien. Le turbulent fils cadet Neeley (Ted Donaldson) est le plus
proche d'elle tandis que l'aînée Francie (Peggy Ann Garner) au caractère
plus lunaire et assoiffé de savoir n'a d'yeux que pour son père.
Sans
vraie trame narratrice, Kazan dépeint ainsi ces caractères en place au
quotidien, le conflit naissant de l'enlisement de la situation
matérielle du foyer. Katie est partagée entre un amour intact et un
désabusement quant à la nature de son mari, cette dureté se prolongeant
face à la nature frivole de sa sœur Sissy (Joan Blondell).
L'émerveillement de l'enfance se conjugue donc toujours au dépit des
adultes dans plusieurs séquences, notamment lorsque Johnny fait preuve
d'une joie communicative de retour d'un mariage, faisant la joie de
Francie avant d'être rabroué par son épouse qui en a vu d'autres pour
cette enthousiasme forcé. Entre les deux caractères des parents, le
récit ne choisit jamais complètement. Le sens des responsabilités de
Katie étant nécessaire mais la nature rêveuse de Johnny autorise Francie
à regarder au-delà de sa condition, à espérer s'élever par le savoir si
elle croit en ses rêves. Cette différence s'exprime lors de la scène où ils apprennent le décès de leur jeune voisine malade : la mère pragmatique regrette que l'enfant ait été enterré en fosse commune quand le père se félicite que l'argent lui ait permis de porter de belles robes tant qu'elle vivait encore. Le sens pratique contre la joie éphémère et illusoire.
Kazan débutant instaure déjà certains
de ses préceptes même si l'inexpérience ne lui permet pas de les pousser
aussi loin que dans certains de ses classiques venir. Il est notamment
contraint à un tournage en studio où est reconstitué ce quartier de
Brooklyn, mais la mise en scène alerte et la caméra très mobile parvient
à conférer une vraie vie aux extérieurs tandis que toutes les scènes
d'intérieur évitent le piège du théâtre filmé bien aidé également par la
photo de Leon Shamroy. Usant de la "Méthode", Kazan tire également
d'extraordinaires de son casting, James Dunn tirant une saisissante
vulnérabilité de son réel alcoolisme, Dorothy McGuire incarnant un
véritable roc dissimulant ses sentiments avec ce qui inaugure les
grandes figures de mère de la suite de sa carrière.
La plus touchante
est cependant la jeune Peggy Ann Garner, bouleversante en jeune fille
candide, curieuse et à l'amour si intense pour son père. Là encore Kazan
aura su toucher juste, devinant au fil des conversations le dépit de la
fillette souvent séparée de son père qui était pilote de ligne et
retranscrivant cette fébrilité dans sa prestation, une des plus
touchantes vue pour un enfant-acteur. Kazan distille une émotion intense
sans tomber dans le mélo trop appuyé, certains drames étant illustré
avec une grande sobriété, à la fois pour saluer le courage de cette
famille qui ne peut s'autoriser de s'effondrer mais aussi pour signifier
les non-dits et la rancœur qui n'autorise pas un épanchement et un
abandon total.
Cela n'arrive que progressivement avec le regard
changeant entre Francie et sa mère, la première comprenant la dureté de
la seconde qui daigne enfin s'adoucir, confidente fragile lors d'une
magnifique scène d'accouchement. Kazan aura retrouvé à travers le roman
de Betty Smith des échos à sa propre expérience, lui aussi ayant connu
les quartiers populaires, les petits boulot et la pauvreté à New York et
s'étant également confronté à un père terre à terre le poussant à
travailler tandis que sa mère l'encouragea son ambitions artistiques
(soi le rapport inversé du film).
Pas aussi radical et personnel
que les chefs d'œuvres à venir durant les années 50, le film n'était pas
le plus apprécié du réalisateur au sein de sa filmographie mais s'avère
une des belles réussites de ce Kazan première manière.
Sorti en dvd zone 2 français chez Opening
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