Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 31 décembre 2015

Le Locataire - Roman Polanski (1976)

Trelkovsky, un homme timide et réservé, visite un appartement vacant pour le louer. Lors de la visite, la concierge lui apprend que Simone Choule, l'ancienne locataire, a voulu se suicider sans raison apparente, en se jetant de la fenêtre de l'appartement. Après le décès de l'ancienne locataire, il emménage. Les divers habitants tiennent particulièrement au calme et à la respectabilité de l'immeuble. Il devient peu à peu paranoïaque, et se met à imaginer que tous ses voisins le poussent au suicide.

La paranoïa, l’isolation et le complot sont des thèmes qui courent tout au long de la filmographie de Roman Polanski mais qui se concentrent plus précisément dans la trilogie que constitue Répulsion (1965), Rosemary’s Baby (1968) et donc Le Locataire. Chacun de ces films montrera un personnage perdre pied avec le réel, sombrant dans la folie au sein du cadre confiné d’un appartement. Les trois films ne sont cependant pas une simple variation sur le même thème mais possèdent chacun leur identité propre. C’est le motif de l’inhibition sexuelle qui guide la schizophrénie avérée et meurtrière de Catherine Deneuve dans Répulsion, son oppressant huis-clos se déroulant dans un Londres de cauchemar. Ce sont à nouveaux les angoisses féminines cette fois liées à la grossesse qui tourmenteront Mia Farrow dans Rosemary’s Baby, avec cette fois une possible ambiguïté entre le fantastique (l’héroïne portant peut-être l’enfant du Diable) et la vraie folie dans le New York bariolé des 60’s. 

Polanski adapte là le roman Le Locataire chimérique de Roland Topor, projet longtemps caressé et que le succès de Chinatown (1974) permettra avec un budget confortable alloué par la Paramount. La différence fondamentale avec le roman sera l’ambiguïté qu’instaure à nouveau Polanski au récit quand Topor choisit ouvertement la thèse du complot quant aux tourments de son héros Trelkovsky. Emménageant dans un appartement dont l’ancienne locataire, Simone Choule, s’est défenestrée, Trelkovsky voit lentement sa santé mentale vaciller. La possible machination dont est peut être victime le héros ne repose sur aucun motif (fut-il surnaturel comme Rosemary’s Baby) tandis que sa réalité se fait de plus en plus hostile. Polanski exprime à travers Trelkovsky des peurs très personnelles. 

Les réminiscences de son enfance atroce dans un ghetto de Varsovie où guette la peur de la déportation exprime le rapport craintif de ses personnages à leur environnement. Ce sentiment d’être l’étranger, de ne pas être à sa place et de se le faire rappeler à la moindre incartade, Polanski (né à Paris de parent polonais mais naturalisé français) le ressentit également lorsqu’il habitait Paris avant la notoriété. Le réalisateur conjugue ses deux angoisses tout au long du film, d’abord exprimées par la nature intimidante et les menaces de ses interlocuteurs (le propriétaire incarné par Melvyn Douglas, les voisins récalcitrants au moindre bruit) ne manquant jamais, après avoir entendu son nom, de lui rappeler qu’il n’est pas français. Renvoyé à une certaine insécurité par ce déni de son statut d’individu, Trelkovsky est incapable de se défendre et voit ses peurs se concrétiser en mettant à mal sa santé mentale.

Polanski tout en développant cette thématique développe un malaise progressif qui suggère autant la malveillance extérieure que la folie avérée de Trelkovsky. L’atmosphère de dénonciation et d’harcèlement se dessine ainsi par le rationnel (les pétitions contre une voisine supposée bruyante) et l’imaginaire de plus en plus perturbé de Trelkovsky, apercevant ses voisins le guetter depuis l’immeuble d’en face, osant à peine respirer chez lui face aux accusations de bruit nocturnes et des coups aux plafonds.  

Polanski exprime l’isolement du personnage en retrouvant la veine claustrophobe de Répulsion, l’étrangeté de Rosemary’s Baby à travers les visions oniriques des intérieurs (la spirale mentale que déploient les escaliers) et de la façade de l’immeuble (première utilisation de la grue Louma qui arpente d'un regard incertain cette façade) mais aussi la description d’un Paris sinistre perdant la silhouette de Trelkovsky dans sa désolation grisâtre - sans parler du score glaçant de Philippe Sarde. La fuite en avant du personnage se manifestera par la perte de son identité, le faisant confondre ses peurs avec celles de la disparue Simone Choule. Le scénario sème habilement les indices qui aboutiront au travestissement (une robe retrouvée dans une armoire, Melvyn Douglas suggérant de mettre des chaussons après 22h pour faire moins de bruit et des chaussons féminins que l’on repère plus tard dans l’appartement, les voisins et les commerçant qui lui attribuent les même habitude) progressif de Trelkovsky. 

La perte d’identité est donc aussi sexuelle, le manque de confiance en lui plus qu’une homosexualité latente guidant sa transformation. Le personnage de Stella (Isabelle Adjani) réellement attirée par lui pourrait lui rendre ces atours fragiles mais elle est rattachée au cercle de celle dont il cherche à se dérober, la morte mais omniprésente Simone Choule. Roman Polanski, le phrasé hésitant, l’allure voutée et le regard perdu excelle à exprimer la déliquescence de Trelkovsky. 

Le seul moyen de regagner ce qu’on cherche à lui arracher sera l’autodestruction (Je ne suis pas Simone Choule !) avec une conclusion brutale et cauchemardesque. Pourtant la redite suicidaire de l’échappatoire de Trelkovsky nous prépare à un final implacable en forme de boucle infernale qui hante longtemps après la vision. Un des sommets de Polanski (qui n’ira plus jamais aussi loin dans le malaise filmique) pourtant accueilli fraîchement à sa sortie mais qui gagnera ses galons de classiques de l’angoisse au fil des ans. 

Sortie en dvd zone 2 français chez Paramount 

 

2 commentaires:

  1. Oui, un grand film malade mais un des meilleurs de Polanski. J'ai revu ce week end le couteau dans l'eau, ca tient drôlement bien la route. Bonne Année 2016 !

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  2. Oh oui sacré morceau Le couteau dans l'eau ça fait des lustres que je n'ai pas vu. Et merci bonne année à vous aussi ;-)

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