George Cukor signe un des plus bouleversants témoignages sur
Hollywood avec ce superbe Une étoile est
née. Même si le film est crédité en tant que remake du titre éponyme
réalisé par William Wellman en 1937, cette première version était pourtant une
variation d’un film antérieur déjà signé George Cukor (les deux produits par David O. Selznick) sur le même sujet, What Price Hollywood ? (1932). Le
projet fut longtemps caressé par Judy Garland et sa concrétisation confirme le
retour au premier de la star. Renvoyée par la MGM en 1950 à cause de ses
troubles mentaux et différentes addictions et divorçant de Vincente Minnelli en
1951, Judy Garland se refait une spectaculaire santé sur scène en triomphant au
Palladium puis au Palace Theatre de New York où elle joue dix-neuf semaines.
De
nouveau courtisée par les studios, Judy Garland impose donc cette nouvelle
version d’Une étoile est née où elle s’entourera de son ami George Cukor
(rencontrée lors de la préparation du Magicien
d’Oz (1939) où il fut d’un grand conseil pour la jeune actrice quand il
devait encore réaliser le film) mais aussi de ses compositeurs emblématiques du
Magicien d’Oz Harold Arlen et Yip
Harburg (qui victime de la liste noire sera remplacé par Ira Gershwin). Tout
est donc en place pour un puissant mélodrame musical.
Une étoile est née
trouve sa voie au sein de ces années 50 où Hollywood se plaît à observer sa
face obscure dans des œuvres comme Sunset
Boulevard (1950) de Billy Wilder ou Les Ensorcelés (1952) de Vincente Minnelli. Le récit alterne ainsi constamment
ombre et lumière dans sa description de l’usine à rêve. L’ombre ce sera pour le
caractère torturé et autodestructeur de Norman Maine (James Mason) dont nous
assistons au méfait en ouverture où il sème le chaos dans une cérémonie de
remise de prix. Sauvé de l’humiliation par celle dont il a failli ruiner la
prestation, Norman Maine poursuit de ses assiduités alcoolisées Esther Blodgett
(Judy Garland) avant d’être subjugué par sa voix et décider de lui mettre le
pied à l’étrier. C’est de sa découverte émerveillée que se dessine la lumière
et à travers son héroïne, Cukor nous introduit dans le tourbillon du
fonctionnement des Majors de l’époque.
La novice Esther y est scrutée sous
toutes les coutures pour gommer ses éventuelles imperfections, ballotée d’un département à l’autre pour être
totalement ignorée et au final dépossédée de son identité pour être rebaptisée
Vicki Lester. Ces aspects peu reluisants sur le papier (chirurgie esthétique,
biographie factice et mépris des novices) s’oublient pourtant par l’éclat
suscité par le bouillonnement d’activité du studio, ses figurants, costumes et
décors à perte de vue. Car si Hollywood est oppressant et impitoyable, il
suffit qu’un mentor bienveillant croit en vous pour que tous soit possible. C’est
cette foi que transmet Norman à Esther lors de la magnifique scène de l’entrevue
nocturne où il lui fait croire en son réel talent et la pousse à prendre des
risques. Guidée par cet ange gardien, Esther va gravir les échelons et
bénéficier du coup de pouce qui change tout.
Les scènes musicales sont celles
qui font régulièrement basculer les évènements, qu’elles s’inscrivent dans le
monde réel (Norman sous le charme d’Esther dans un pur moment intimiste où elle
interprète un puissant The man that got
away) où celui de la fiction tel ce film dans le film où l’ascension vers
la gloire d’Esther se dévoile dans le numéro exécuté mais aussi par les
réactions des spectateurs dans la salle. Cukor effectue un tour de force
virtuose s’exprime émotion, proximité (le parcours du personnage du film dans
le film ayant de grandes similitudes avec celui de Judy Garland notamment les
débuts scéniques précoces en famille) et stylisation splendide comme l’effet d’à-plat
des décors et bureaux des managers qui refoulent Esther. Plus notre héroïne s’impose,
plus les afféteries s’estompent pour la laisser occuper le centre de la scène
dans une robe sobre où elle interprète avec une vulnérabilité troublante Lose that long face. Judy Garland est
époustouflante dans ce numéro dansé et chanté où elle alterne humour et émotion
et lorsque la séquence s’achève, toutes les réalités du récit convergent sur un
même point : elle est une star.
L’amour sera aussi définit à travers un moment musical
(craquante scène de demande en mariage), Esther et Norman brillants pour un
bref instant d’un même éclat de passion et de talent. Cependant si Hollywood
est capable de vous élever au firmament lorsqu’il vous a élu, il peut vous
faire descendre plus bas que terre quand il a décidé de vous rejeter. Le cocon
du studio (superbe interprétation de Charles Bickford en nabab paternel et
bienveillant) aura transformé Norman en homme-enfant ingérable qui laissera
place à un être démuni et brisé lorsqu’il en sera exclu. James Mason offre une
de ses prestations les plus poignantes, exprimant avec force le désespoir de
cet homme dont l’assurance se désagrège au gré d’humiliations de plus en plus
pathétiques. L’euphorie initiale n’a plus lieu d’être puisque le couple ne fait
plus partie du même monde et la lumière (Etourdissante Judy Garland entonnant
pleine d’énergie Someone at last au
foyer pour son homme) ne fait que raviver l’ombre (ce joyeux moment rappelant
sa désormais inutilité à Norman) et les démons de Norman.
Le film tire sans
doute un peu en longueur pour dépeindre cette longue et douloureuse déchéance
cela n’en rendra que plus puissante encore la dramatique issue. Dans toutes les
grandes œuvres évoquant l’industrie hollywoodienne à l’époque, « the show
must go on » quel que soit l’amour propre bafoué (les héros des Ensorcelés prêt à remettre le couvert
durant la conclusion) ou la folie générée par la notoriété (le légendaire All right, Mr. DeMille, I'm ready for my
close-up de Norma Desmond à la fin de Sunset
Boulevard).
Norman ne le sait que trop bien et c’est au prix d’un
bouleversant sacrifice qu’il libère Esther du fardeau qu’il est devenu. Le
motif musical dégagera à nouveau une émotion intense, Judy Garland chantant It’s a new world alors que James Mason
avance vers sa fin dans un pur moment crépusculaire (Norman faisant déjà figure
d spectre lorsqu’on voit son reflet à travers la vitre avant le moment fatidique).
Son amour désormais réduit à un beau et douloureux souvenir, Esther appartient totalement à son public au terme d’un somptueux final.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Warner
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire