1876. Une diligence
transportant un militaire haut gradé et sa fille traverse les paysages
majestueux de Monument Valley. Le lieutenant-Colonel Owen Thursday (Henry
Fonda) se rend dans le désert de l’Arizona prendre le commandement de Fort
Apache. Il juge indigne cette nouvelle et humiliante affectation, lui qui
détenait le grade de Général durant la Guerre de Sécession. Il espère pourtant
acquérir gloire et renommée en matant les révoltes apaches.
Le Massacre de Fort
Apache est le premier volet de la trilogie que consacrera John Ford à la
cavalerie américaine, suivi plus tard par La
Charge héroïque (1948) et Rio Grande
(1950). John Wayne jouera dans les trois films, incarnant le même personnage de
Kirby York qui gravira les échelons de l’armée et gagnera en âge au fil de la
trilogie. Le film inaugure la collaboration de Ford avec le scénariste et
ancien journaliste Frank S. Nugent (l’échec de son film précédant Dieu est mort (1947) ayant stoppé la
collaboration avec Dudley Nichols qui l’accompagnait depuis les années 30) qui
sera à l’écriture de tous ces grands films à venir. John Ford l’incite à lire
le roman Massacre de James Warner
Bellah qui sera une source pour ce film qui s'inspire librement de la
bataille de Little Big Horn perdue par le général Custer contre les Sioux en
1876. Ce fait historique aura déjà donné un grand film (largement romancé)
signé Raoul Walsh avec La Charge
fantastique (1941) mais John Ford ne transposera pas directement les
évènements, changeant les noms, les lieux et romançant les protagonistes tout
en respectant le déroulement et la topographie de la vraie bataille. Cet espace
fictionnel lui permettra ainsi d’exprimer au mieux sa vision.
La description de l’armée dans le film constitue une
opposition entre la collectivité et l’individu. Ces deux notions s’expriment à
travers le personnage du Lieutenant-Colonel Owen Thursday (Henry Fonda) - et
dans une moindre mesure l’agent du gouvernement corrompu joué par Grant Withers
– et son opposition à pratiquement tous les autres protagonistes. L’affectation
au poste de Fort Apache est pour les autres personnages un devoir dont ils s’acquittent
et ne discutent pas, voir même un motif de retrouvailles familiales pour le
jeune lieutenant Michael O'Rourke (John Agar). Pour l’ambitieux Thursday, c’est
une régression après les hautes responsabilités qu’il tint durant la Guerre de
Sécession. Cela entraînera une froide distance entre lui ses hommes, sa
frustration et son sentiment de supériorité l’amenant à une rigidité sans
nuances. Ford lui donne les contours de l’autorité opaque et désincarnée qu’il
mettra constamment en opposition aux chaleureux rapports humains qui régissent
le Fort.
Le réalisateur l’exprime à travers les amusantes scènes de comédie de
régiment où l’apprentissage, la compétence et le respect naissent de la
camaraderie. On rit ainsi de voir les nouvelles recrues moquées et bousculées
dans leurs découvertes des bases, les officiers les leur inculquant dans un
mélange de complicité (les officiers demandant les régions d’origines des
soldats avant de les grader durant chaque nouvel exercice) et de franc et
rigolard coup de pied aux fesses. La notion de collectif et de ses règles s’inscrit
ainsi dans cette alliance d’effort et de camaraderie, l’armée ne formant plus
qu’une entité unie en tenant compte de ces deux aspects. On pense aussi aux
femmes du fort fonctionnant dans une vraie entraide domestique et bien sûr la
charmante romance juvénile naissante entre Philadelphia (Shirley Temple dans un
de ses derniers rôles au cinéma), fille de Thursday, et le lieutenant O’Rourke.
Sur chacun de ces aspects, Thursday n’aura que des réponses servant son égoïsme.
La rigueur militaire s’exprime par une préoccupation tatillonne sur les tenues
un mépris social inconcevable dans un collectif formant un monde en soi s’exprimera
dans son opposition aux amours de sa fille.
John Ford aura introduit ces aspects durant une première
heure plaisante nous immergeant dans ces lieux et nous attachant aux
personnages (la truculente galerie de seconds rôles de Ford fait toujours son effet), un moment où ce clivage reste sans conséquences. Ce sera le cas
lorsqu’il sera question de stratégie, diplomatie et tout simplement empathie
pour autrui dans la difficile gestion du problème indien. L’affrontement se
restreindra alors au psychorigide Thursday face à Kirby Roy (John Wayne), l’autorité
aveugle face au pragmatisme et l’humanité. Henry Fonda fascine dans ce pur masque
de dureté impitoyable alors que le charisme du Duke ne cesse de s’amplifier au
fil de l’expression des valeurs de son personnage. Le regard bleu et opaque de
Fonda s’accompagne d’une posture raide où il semble constamment tourné sur
lui-même, imperméable au monde qui l’entoure dont l’agitation ne stimule que
des réactions démontrant un esprit obtus (voir la négociation avec Cochise qui
tourne court).
Cela se ressent dans la manière dont Ford le positionne dans les
incroyables décors de la Monument Valley, Fonda ne se fondant jamais dans l’espace
et subissant toujours un cadrage restreint (gros plan ou plan d’ensemble où il
occupe seul l’image). A l’inverse le regard de John Wayne semble toujours se
porter au loin, preuve à la fois de sa curiosité de l’autre et de la réelle
connaissance qu’il en a, Ford osant ainsi fondre sa silhouette dans ce vaste
espace désertique et montagneux où il peut déambuler. La menace latente que son
ignorance et son mépris de l’autre laisse déteindre s’exprime ainsi par cette
vue et espace restreint quand Wayne se déploie avec majesté à l’image. Ce motif sera poussé jusqu’à une mort
pathétique et anonyme dans un nuage de poussière pour une défense pathétique
quand Ford cadre majestueusement John Wayne baissant les armes au côté de ses
hommes, y gagnant le respect et la vie sauve. L’intime et le grandiose se
côtoient donc dans un morceau de bravoure sacrément impressionnant.
John Ford avec La
Chevauchée fantastique (1939) avait figé l’image de l’indien sauvage,
belliqueux et anonyme qui deviendrait la norme dans le western américain (et ce
quand bien même les premiers westerns muets se montraient très respectueux dans
leur représentation des indiens d’Amérique). Il n’aura de cesse de s’excuser d’avoir
façonné ce cliché et cherchera toujours à le corriger dans ses westerns suivant
(jusqu’à peut-être tomber dans l’excès inverse avec les indiens compatissants
et pacifistes de Les Cheyennes
(1964), ultime western) et on peut penser que ce changement s’opère vraiment
avec Le Massacre de Fort Apache. Sans
s’inscrire dans la vague du western pro-indien qui naîtra avec La Flèche brisée (1950), le film
représente un peuple indien noble, vertueux, pétri de valeurs et respectueux d’un
adversaire qui en vaut la peine comme le montrera l’ultime face à face avec
John Wayne.
Une grande réussite dont la conclusion annonce déjà la
fameuse tirade de L’Homme qui tua liberty
Valance (1962), « Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie
la légende ». L’entité collective de l’armée se voit ainsi renforcée par
la disparition « héroïque » du plus individualiste de ses
représentants, qui finalement se vérifia dans la réalité avec un Général Custer
longtemps dépeint comme un vrai héros national (le classique de Walsh était là
pour le prouver). Une des plus éclatantes réussites western de John Ford.
Sorti en dvd zone 2 français aux Editions Montparnasse
Une vidéo sur la bataille de Little Big Horn : https://www.youtube.com/watch?v=GZYfyEHv2iQ
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