Un homme frappe
spontanément à la porte du diable. L’élégant patron des enfers… Juste après sa
mort, Henry Van Cleve, persuadé de mériter le feu éternel, se présente auprès
du Diable et sollicite son entrée en enfer. Celui-ci, charmant mais débordé,
semble incertain du sort à réserver à son visiteur et prend le temps d’écouter
son histoire. Ou plutôt celle des femmes de sa vie. L'homme évoque en effet sa
vie bourgeoise, personnage exalté et cabotin, d'une mauvaise foi confondante,
s'arrêtant sur les divers écarts à la morale qui ont jalonné son parcours.
Heaven Can Wait
est l’avant dernier film d’Ernst Lubitsch (si l’on excepte La Dame au manteau d'hermine (1948) achevé par Otto Preminger, le
délicieux La Folle Ingénue (1946)
offrant la vraie conclusion de sa filmographie) et constitue une belle synthèse
de sa carrière. Provocante, ironique et moqueuse, la Lubitsch touch aura brillé d’un éclat féroce durant les années 30.
Le réalisateur y célébrait les amours libres avec Sérénade à trois (1933), l’infidélité comme moteur du mariage dans Ange (1937), le rapprochement entre la
canaille et l’aristocratie sur Haute Pègre (1932) et l’amour faisant exploser les blocs idéologiques dans Ninotchka (1939). Cet iconoclasme atteindra
son sommet en y mêlant l’engagement politique avec le brillant To Be or Not To Be (1942), que Lubitsch
réalise avant l’engagement des Etats-Unis (même s’il sortira après) dans la
Deuxième Guerre Mondiale et où il démonte avec drôlerie l’idéologie nazie. Le
regard de Lubitsch se fera plus tendre dans ses derniers films, dessinant une
veine plus intime et nostalgique en forme de retour à sa culture européenne avec
The Shop around the corner (1940) et La Folle Ingénue (1946) où plane
cependant les soubresauts qui agitent le Vieux Continent. Le Ciel peut attendre est à la croisée de toutes ces périodes,
toutes représentées à travers l’inconstance, la bonhomie et la frivolité de son
héros Henry Van Cleve (Don Ameche).
Fraîchement décédé, Henry Van Cleve conscient de son
existence dissolue se présente spontanément aux enfers où il pense avoir
malheureusement sa place – l’au-delà administratif évoquant autant Le défunt récalcitrant (1941) d’Alexander Hall qu’Une question de vie et de mort (1947)
de Powell/Pressburger. Faisant le récit de sa vie au Diable (Laird Cregar),
Henry nous dépeint ses bonheurs et failles en flashback où chaque épisode se
déroule le jour de son anniversaire de la prime enfance à la vieillesse. L’environnement
bourgeois, les femmes se disputant ses faveurs au berceau (sa mère et sa grand-mère)
et un laxisme bienveillant feront d’Henry un adulte inconséquent et coureur.
Lubitsch brouille les pistes potentiellement moralisatrices en ne faisant pas
des retours en arrière progressif et de l’âge mûr avançant des preuves de
sagesse pour Henry. C’est au contraire son irrépressible immaturité qui donne tout son attrait au
personnage, amusante sous les traits adolescents et le rendant terriblement
attachant en adulte puis en vieillard.
Les « leçons » de vie se
suivent et se contredisent dans le parcours de cet éternel homme-enfant, les
baisers sans conséquences selon la nurse française (Signe Hasso) lui coutant
plus tard cher face à son épouse quittant le foyer. D’un flashback à un autre,
Henry y est égal à lui-même, représentant tout à la fois les fripouilles et
aventuriers des années 30 de Lubitsch que les amoureux maladroits des années
40. La personnalité d’Henry confère une douceur certaine à ses défauts, et l’éclat
de la présence radieuse et bienveillante de son épouse Martha (Gene Tierney) un
vrai éclat à ses qualités. Quand cette insolence est au service d’une passion
sincère, cela donnera donc d’irrésistibles moments romantiques avec cette
entrevue dans la bibliothèque où Henry gagne la main de Martha au prix d’une
mémorable provocation. La maladresse amusante qu’il met à ses mensonges s’oppose
ainsi à la conviction romanesque imprégnant l’aveu amoureux, cet élan lui faisant
tout ce faire pardonner par son entourage et surtout cette épouse si
compréhensive.
Lubitsch tisse à travers les réactions bienveillantes ou
moralisatrices des écarts d’Henry un regard amusé sur le puritanisme américain.
Henry suscitera ainsi la compréhension et l’envie de son grand-père (mémorable
Charles Coburn en patriarche rieur) qui n’a pas connu cette liberté et l’incompréhension
de ses parents et de son cousin Albert (Allyn Joslyn) purs produit de cette
aristocratie new yorkaise telle que décrite par une Edith Wharton dans Le Temps de L’Innocence. L’Amérique
profonde représentée par les parents de Martha et l’ordre moral des années 30
(qui correspond à la mort du héros tout comme à l’écriture de la pièce Birthday (1934) de Leslie Bush-Fekete qu’adapte
Lubitsch) symbolisé par les remontrances du fils définiront ainsi l’anomalie
que signifie l’esprit libre d’Henry. Le trait aurait sans doute été bien plus
méchant dans les années 30 mais là Lubitsch entoure cette causticité d’une
rondeur et légèreté qui dilue la portée de la charge notamment par la
caractérisation des représentant de l’ordre moral où la caricature laisse
toujours place à la tendresse (le cousin Albert reste ridicule mais les parents
de Martha retrouve une vraie humanité lors de la scène sobre où ils accueillent
leur fille).
L’important est de savourer chaque instants le mieux entouré
possible, les affres du temps se chargeant de corriger nos menus défauts (la
bedaine naissante d’Henry mettant fin à sa carrière de séducteur), ou pas.
Lubitsch ne juge jamais et accompagne complice le long et sinueux chemin qu’est
la vie. Pour un de ses rares films en couleur, Lubitsch dessine une gamme
chaleureuse et irréelle comme pour donner un contour vivifiant et rêvé au
souvenir. Les mouvements de caméras donnent également ce sentiment de partager
par instants le regard extérieur et nostalgique des évènements, accentué par
les ponctuations de la voix-off. On
pense à cette dernière danse entre Henry et Martha, dont l’émotion se devine
avec une caméra s’élevant de la piste tandis que la voix-off narre l’issue
tragique de ce moment.
Les époux s’effaçant dans ce mouvement et le ton triste
d’Henry est presque une manière de nous signifier que c’est lui qui ému
détourne le regard pour ne pas s’attarder plus longtemps sur cet ultime instant
de bonheur. A l’inverse c’est la malice de notre héros qui se devine dans ces
derniers instants. Le contact à la belle et jeune infirmière venant le garder
sera un plaisir hors-champ mais qu’il partagera en voix-off tandis que la
caméra s’avance lentement vers la porte close de sa chambre en guise de mort
paisible. Ce regard lucide et rieur sur la vie s’affirme dans la belle
conclusion autorisant notre héros à prendre l’ascenseur pour aller quelques
étages plus haut, où il est très certainement attendu.
Sorti en dvd zone 2 Français chez Fox
J'adore ce film de Lubitsch. Dommage que je n'ai toujours pas trouvé une version restaurée. Gene Tierney est plus que magnifique...
RépondreSupprimerLe film doit ressortir en salle prochainement, peut-être dans le cadre d'une restauration. Espérons !
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