Jeanne D’Arc est l’avant-dernier
film hollywoodien (le dernier étant Les
Amants du Capricorne d’Alfred Hitchcock) d’Ingrid Bergman avant ses
aventures cinématographiques et sentimentales en Italie aux côtés de Roberto
Rossellini. Même si c’est bien le scandale de cette liaison avec Rossellini qui
provoquera son bannissement d’Hollywood, ce départ arrivait à point nommé tant
Ingrid Bergman accomplissait là un rêve longtemps poursuivit en interprétant à
l’écran la Pucelle d’Orléans. A son arrivée aux Etats-Unis, David O. Selznick lui
fit miroiter en vain cette possibilité lorsqu’il l’engagea pour un contrat de
sept ans mais soi en proie à des difficultés financières, soit par mauvaise
volonté, le projet ne vit jamais le jour. La dimension d’icône religieuse et
historique n’était pas le principal attrait d’Ingrid Bergman pour Jeanne D’Arc
mais plutôt celle féministe voyant à force de volonté une jeune paysanne
illettrée se faire une place emblématique dans un monde d’hommes.
La star en
imaginait un parallèle à son propre parcours où d’une enfance chaotique dans sa
Suède natale elle se hisserait au rang des plus grande stars hollywoodiennes
par son abnégation. Ingrid Bergman avait rongé son frein en interprétant Jeanne
d’Arc sur scène d'après la pièce Joan of
Lorraine de Maxwell Anderson et une fois libérée de son contrat avec David
O. Selznick elle tentera d’en monter une adaptation cinématographique sur son
nom. La société de production Sierra Pictures sera spécialement créée pour l’occasion
et Ingrid Bergman sollicite Victor Fleming à la réalisation, lui qui fut le
premier à la sortir de ses emplois habituels de personnages victime dans Docteur
Jekyll et M. Hyde (1941).
Le scénario (coécrit par Maxwell Anderson lui-même) joue
essentiellement sur la facette de sainte immaculée de Jeanne d’Arc, son
ouverture sur une nuée de cloche puis les vues de fresque religieuse sur fond
de voix-off pieuse annonçant le ton du récit. L’ensemble du film aurait plutôt
tendance à évoquer les atmosphères exaltée que l’on trouve dans le péplum
biblique, pas encore complètement revenu en grâce à Hollywood (ce sera pour la
décennie suivante et les besoin en spectaculaire du cinémascope) mais dont on
retrouve une certaine grandiloquence ici à travers la musique de Hugo Friedhofer gorgée de chœurs célestes ainsi que par le jeu hébété d’une
partie du casting. Il suffirait d’un rien pour que le film cède au kitsch mais
le but de Victor Fleming est justement d’équilibrer le film entre emphase
extatique et facteur humain. C’est paradoxalement par l’illustration de Jeanne
d’Arc que naît cette facette plus fragile qui crée la proximité plutôt que la
distance avec l’icône. Les voix appelant Jeanne vers sa glorieuse destinée n’existent
que par l’émotion qu’elles éveillent chez la jeune fille et c’est sa
détermination à suivre leurs échos qui les rendent réelles.
Tout en affirmant
la piété de son héroïne, Fleming dévoile son courage et son audace dans une
veine intime. Ainsi le contexte géopolitique d’une France à l’agonie ne se
découvre qu’à travers le regard de Jeanne, connaissant son avenir depuis
longtemps sans oser y souscrire (par peur comme par respect de sa famille) et
qui décidée à obéir à l’appel quand elle entendra la situation catastrophique d’Orléans,
dernier bastion français face à l’envahisseur anglais. La parole et la croyance
de celui qui en use fait foi, nul besoin de visions de désolations pour
comprendre que le pays souffre, le tourment et la souffrance de Jeanne est celle de la France.
C’est cette foi ardente permet à Jeanne de faire vaciller la décision d’un
pouvoir corrompu (José Ferrer en Charles VII tour à tour cynique et convaincu),
de susciter le respect d’une armée démobilisée et enfin d’éveiller l’amour de
tout un peuple pour lequel elle ravive l’espoir de jours meilleurs.
Victor Fleming trouve constamment le ton juste entre l’ampleur
croissante de l’aura de Jeanne et le caractère humble de celle-ci. Durant la scène
où elle va à la rencontre de Charles VII, le travelling n’accompagne que son
mouvement parmi les silhouettes anonymes des courtisans jusqu’à la découverte
du souverain. Ce dernier, caché dans l’assemblée comme face à ses responsabilités
envers la France est ainsi mis à nu et ne pourra qu’acquiescer aux désirs de
Jeanne. Un même travelling arrière la figera dans un tableau en mouvement
lorsqu’elle exhortera les soldats à une plus vertu qui fera d’eux une armée
sainte. Cette nature d’emblème divin d’une cause juste s’affirmera avec plus de
force encore durant les scènes de guerre. Jeanne se distingue sur le champ de
bataille par son armure à l’éclat immaculé et portant haut l’étendard, n’ayant
de guerrière que l’allure mais incarnant surtout un symbole galvanisant les
troupes et effrayant l’ennemi.
Le scénario s’écarte des interprétations faisant
de Jeanne une combattante (d'où par exemple l'absence d'un évènement historique capital comme la Bataille de Patay) et privilégie une fois de plus son aura et sa parole,
la simple présence dans ce carnage suffisant à exprimer le courage de cette
frêle jeune femme. Victor Fleming privilégie une esthétique évocatrice plutôt
qu’une vraie grande bataille spectaculaire. Les ciels rougeoyant, les
compositions de plan et cadrages évoquent parfois son Autant en emporte le vent mais accentuent surtout la théâtralité
des évènements en cours dans une approche qui annonce le Excalibur (1981) de John Boorman. Seule le dernier « tableau »
du désintérêt pieux de Jeanne sera perverti lors du couronnement de Charles
VII. Fleming compose une fresque somptueuse avec ce décor d’église
extraordinaire mais cette fois la pureté de Jeanne la perd : tandis qu’elle
se jette aux pieds de son roi, celui-ci envieux n’a d’yeux que pour la foule qui scande
le nom de Jeanne. Les renoncements et trahisons à venir s’annoncent dans ce qui
est pourtant l’apogée de l’épopée de Jeanne.
Après avoir réussi à imposer sa foi à un monde perverti
durant la première partie, Jeanne devra la maintenir vivace lorsqu’elle se
trouvera à la merci de l’ennemi anglais, vendue par les bourguignons. La
dernière partie dépeint ainsi le long et arbitraire procès qui aboutira à la
mise au bûcher de Jeanne. Ce passage est certes intéressant – et suit vraiment fidèlement
la chronologie et le détail des évènements - quant à sa description de la
perversion religieuse sur l’autel de la politique le sujet mais sera traité
avec bien plus d’acuité plus tard avec Les Diables (1971) de Ken Russell. Ce qui intéresse ici c’est toujours Jeanne
qui ne pouvant pas convaincre, doit résister, sûre des convictions et du Dieu
qui l’ont conduite à toute ses épreuves. Fleming avait réussi sous les exploits
à maintenir cette fragilité signe d’espoir et de réserve, et l’émotion n’en
sera que plus forte face à l’oppression physique et psychologique des anglais.
C’est cette fois en la figeant au centre du cadre, en la scrutant en légère
plongée que Fleming lui donne une grandeur à la fois divine et humaine alors qu’elle
est la plus vulnérable. Sa volonté vacille, la faisant redevenir une jeune
fille ayant peur de mourir et perdue dans le silence où l’on abandonnée les
voix. C’est une passionnante et subtile confrontation au doute (que Luc Besson
tentera avec moins de finesse d’exprimer aussi dans sa version où il place
Jeanne face à sa conscience), une mise à l’épreuve qui fera comprendre son rôle
à Jeanne. C’est par son sacrifice qu’elle deviendra une adversaire indestructible,
scrutant l’ennemi du haut des cieux qu’elle s’apprête à rejoindre. Fleming une
fois de plus oscille entre grandiloquence (où les chœurs s’emballent, le peuple
se lamente et les cieux s’entrouvrent) et le visage calme de Jeanne face aux
flammes montantes du bûcher. Cette volonté de grandeur se devine d'ailleurs par la trame fidèle à la grande Histoire mais qui en omet les échecs (la série de défaite de Paris à Compiègne qui conduit à l'arrestation quasiment éludé).
Ni vraiment spectaculaire, ni réellement intimiste, le film
divisera grandement à sa sortie. Ingrid Bergman habitée comme jamais se
montrera déçue par ce film trop longtemps fantasmé mais cela viendra sans doute
plus du souvenir de la romance tumultueuse - et expliquant l’intensité à fleur
de peau de son interprétation - entretenue durant le tournage avec un Victor
Fleming dont ce sera le dernier film - il décède d’une crise cardiaque deux mois
après la sortie. Après une première mitigée, un remontage amputera le film de
40 minutes (il ne sera restauré qu’en 1998) mais rien n’y fera même si
le film ne sera pas un total échec financier. Ingrid Bergman s’affirmera comme
femme libre de ses choix par son aventure avec Roberto Rossellini mais l’association
du public avec son personnage n’en rendra que plus forte la vindicte morale. C’est
pourtant bien par cette dualité entre sainte icône et adolescente chétive qu’elle
offre une des plus fascinantes Jeanne d’Arc de l’histoire du cinéma.
Sorti en dvd zone 2 français à l'Atelier du film
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