1875, quelque part
dans les Rocheuses de l’Ouest américain. Matt Calder est un ancien détenu
récemment libéré de prison qui aspire à la paix de la vie de fermier en
compagnie de son fils Mark, neuf ans, qui ne le connaît pas. L’enfant a
récemment perdu sa mère et vivote dans la jungle humaine d’un camp de
chercheurs d’or transformé en cité champignon constituée de baraquements de
fortune et de toiles de tentes. La chanteuse du ‘‘saloon’’ local, Kay, l’a plus
ou moins recueilli. Kay et son amant Harry Weston, un joueur, rêvent tous deux
d’une autre vie.
Rivière sans retour
est une œuvre singulière qui marque la rencontre d’un couple de cinéma mythique
avec Marilyn Monroe et Robert Mitchum. Unique western d’Otto Preminger, le film
constitue pour le réalisateur une commande après laquelle il gagnera son
indépendance en créant sa propre société de production. Darryl Zanuck impose le
projet à celui qui est le réalisateur le plus prestigieux de la Fox à l’époque
car l’enjeu est de taille. Il s’agit d’asseoir le statut de star fraîchement
acquis de Marilyn Monroe (Niagara d’Henry
Hathaway, Les hommes préfèrent les
blondes d’Howard Hawks et Comment
épouser un millionnaire ont remporté un fulgurant succès l’année
précédente) dans une production à grand spectacle. Le prestige est d’autant
plus renforcé avec l’engagement de Robert Mitchum qui retrouve Preminger après
l’excellent film noir Un si doux visage
(1952).
Le spectaculaire et l’ampleur du film repose plus sur son splendide
environnement naturel que par ses péripéties. Le scénario de Frank Fenton
reprend la construction et le ton d’autres de ses westerns comme Le Jardin du diable (1954) de Henry
Hathaway ou Vaquero (1953) de John
Farrow où l’aventure est un prétexte au cheminement plus intimiste des
personnages et à leurs amours complexes. Ici il s’agira de la construction d’une
famille improvisée à travers un Matt Calder (Robert Mitchum), son jeune fils Mark
(Tommy Rettig) qu’il connaît à peine et Kay (Marilyn Monroe), fille de saloon
amante de l’escroc Weston (Rory Calhoun). Le trio est au trousses de Weston qui
les as laissé sans défense en volant le fusil et le cheval de Calder dans un
territoire sauvage arpenté par les indiens, afin de valider au plus vite une
concession d’or.
Seul moyen d’échapper à ce danger, en affronter un autre tout
aussi grand en traversant une rivière sauvage en radeau pour rattraper le
voleur. L’ensemble des protagonistes poursuit un rêve (symbolisé par ce camp de
chercheurs d’or foisonnant) plus ou moins superficiel et qui va être mis à mal
durant l’odyssée. Calder aspire à être un modèle pour ce fils dont il a été
longtemps éloigné, mais la découverte du motif de cette longue séparation va
jeter le trouble sur l’image émerveillée que se fait Mark de ce père. Kay quant
à elle aspire à quitter les saloons miteux de l’Ouest où elle chante pour mener
la grande vie, raison pour laquelle elle défend et se raccroche au pourtant peu
recommandable Weston. Les rapports initiaux des protagonistes sont ainsi guidés
par leurs aspirations. Matt souillé par un passé criminel et en quête de vertu
méprise la « traînée » qu’il voit en Kay, cette dernière semblant
prête à toute les séductions pour protéger son amant de la fureur de Matt.
L’enfant sera l’élément qui va les lier et les faire changer
d’opinion l’un sur l’autre à travers les attentions maternelles de Kay et la
bienveillance virile de Matt. Robert Mitchum est remarquable pour exprimer la
dualité entre l’animalité et la brutalité passée du personnage et cet amour
paternel qui doit les réfréner. Sa réaction lorsque son fils apprendra par
accident son passé est remarquablement subtil et poignante, voyant son regard
passer de l’admiration enfantine à l’incompréhension.
Marilyn Monroe trouve là
un de ses plus beaux rôles bien que les relations avec Otto Preminger (agacé
par les nombreuses prises nécessaires à sa star) aient été orageuses. C’est le
rôle (avec Les Désaxés (1961) de John
Huston) où elle apparait comme la plus naturelle, le cadre sauvage autant à sa
beauté toute sophistication pour une présence charnelle plus libre. Si elle
retrouve en partie par instants son emploi de femme enfant inconséquente, Marilyn
arbore également un registre plus mature à travers le sentiment protecteur et
maternel qu’elle noue avec le petit garçon.
La séduction n’est plus feinte (la
femme fatale qu’elle joue dans Niagara), décalée (ses rôles d’attachante
délurée dans Sept ans de réflexion
(1955) et Certains l’aiment chaud
(1959) de Billy Wilder) ou subie (les assauts où regards masculins concupiscents
présents dans tous ses rôles) mais semble plus authentique et sincère. Les registres
précités sont tous abordés à un moment ou un autre dans le film avant de s’estomper
à travers la romance naissante des personnages et la merveilleuse alchimie
dégagée par le couple qu’elle forme avec Mitchum.
Preminger peut alors laisser
s’exprimer un érotisme trouble à travers les sentiments changeants, exprimés
avec une douceur anodine (Marilyn engourdie frictionnée par Robert Mitchum fixé
par un regard énamouré) ou un désir plus violent où Calder doit maîtriser ses
bas-instincts. La magnifique prestation de Marilyn est rehaussée par ses
prestations vocales, chaque chanson étant un prolongement des facettes de Kay :
ambitieuse sur One silver dollar,
séductrice sur I’m gonna file my claim,
maternelle avec Down in the meadow ou
et mélancolique sur la sublime interprétation finale de River of no return.
Les péripéties sont anodines et semblent presque là pour
agrémenter le récit d’action tant bien que mal (les indiens, la rencontre avec
les deux prospecteurs) si ce n’est les tumultueuses scènes en radeau. Preminger
déploie un scope majestueux qui met superbement en valeur le décor naturel
(tournage dans parcs nationaux de Banff et de Jasper au Canada) dans un
somptueux panorama où cette rivière agitée offre une vue aussi imprenable que
dangereuse sur la nature environnante.
Hormis les plans rapprochés des scènes
de radeau filmées en studio (et plutôt bien intégrés aux extérieur par un montage
habile), Preminger accompagne la descente de cette rivière de façon
spectaculaire, à coup de travelling latéral lointain mettant en valeur toute la
dangerosité du parcours. Le morceau de bravoure réside bien là, confondant le
défi physique et mental des protagonistes remontant le courant de leurs
aspirations factices pour découvrir leurs vraies attentes au bout du chemin. C’est
le sentiment qui nous anime au terme d’une ultime séquence génialement machiste
en façade mais l’expression d’une tendresse rompue aux rudesses de l’Ouest.
Superbe !
Sorti en dvd zone 2 français chez Fox
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