Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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samedi 16 janvier 2016

Le ciel peut attendre - Heaven Can Wait, Ernst Lubitsch (1943)

Un homme frappe spontanément à la porte du diable. L’élégant patron des enfers… Juste après sa mort, Henry Van Cleve, persuadé de mériter le feu éternel, se présente auprès du Diable et sollicite son entrée en enfer. Celui-ci, charmant mais débordé, semble incertain du sort à réserver à son visiteur et prend le temps d’écouter son histoire. Ou plutôt celle des femmes de sa vie. L'homme évoque en effet sa vie bourgeoise, personnage exalté et cabotin, d'une mauvaise foi confondante, s'arrêtant sur les divers écarts à la morale qui ont jalonné son parcours.

Heaven Can Wait est l’avant dernier film d’Ernst Lubitsch (si l’on excepte La Dame au manteau d'hermine (1948) achevé par Otto Preminger, le délicieux La Folle Ingénue (1946) offrant la vraie conclusion de sa filmographie) et constitue une belle synthèse de sa carrière. Provocante, ironique et moqueuse, la Lubitsch touch aura brillé d’un éclat féroce durant les années 30. Le réalisateur y célébrait les amours libres avec Sérénade à trois (1933), l’infidélité comme moteur du mariage dans Ange (1937), le rapprochement entre la canaille et l’aristocratie sur Haute Pègre (1932) et l’amour faisant exploser les blocs idéologiques dans Ninotchka (1939). Cet iconoclasme atteindra son sommet en y mêlant l’engagement politique avec le brillant To Be or Not To Be (1942), que Lubitsch réalise avant l’engagement des Etats-Unis (même s’il sortira après) dans la Deuxième Guerre Mondiale et où il démonte avec drôlerie l’idéologie nazie. Le regard de Lubitsch se fera plus tendre dans ses derniers films, dessinant une veine plus intime et nostalgique en forme de retour à sa culture européenne avec The Shop around the corner (1940) et La Folle Ingénue (1946) où plane cependant les soubresauts qui agitent le Vieux Continent. Le Ciel peut attendre est à la croisée de toutes ces périodes, toutes représentées à travers l’inconstance, la bonhomie et la frivolité de son héros Henry Van Cleve (Don Ameche).

Fraîchement décédé, Henry Van Cleve conscient de son existence dissolue se présente spontanément aux enfers où il pense avoir malheureusement sa place – l’au-delà administratif évoquant autant Le défunt récalcitrant (1941) d’Alexander Hall qu’Une question de vie et de mort (1947) de Powell/Pressburger. Faisant le récit de sa vie au Diable (Laird Cregar), Henry nous dépeint ses bonheurs et failles en flashback où chaque épisode se déroule le jour de son anniversaire de la prime enfance à la vieillesse. L’environnement bourgeois, les femmes se disputant ses faveurs au berceau (sa mère et sa grand-mère) et un laxisme bienveillant feront d’Henry un adulte inconséquent et coureur. Lubitsch brouille les pistes potentiellement moralisatrices en ne faisant pas des retours en arrière progressif et de l’âge mûr avançant des preuves de sagesse pour Henry. C’est au contraire son irrépressible  immaturité qui donne tout son attrait au personnage, amusante sous les traits adolescents et le rendant terriblement attachant en adulte puis en vieillard. 

Les « leçons » de vie se suivent et se contredisent dans le parcours de cet éternel homme-enfant, les baisers sans conséquences selon la nurse française (Signe Hasso) lui coutant plus tard cher face à son épouse quittant le foyer. D’un flashback à un autre, Henry y est égal à lui-même, représentant tout à la fois les fripouilles et aventuriers des années 30 de Lubitsch que les amoureux maladroits des années 40. La personnalité d’Henry confère une douceur certaine à ses défauts, et l’éclat de la présence radieuse et bienveillante de son épouse Martha (Gene Tierney) un vrai éclat à ses qualités. Quand cette insolence est au service d’une passion sincère, cela donnera donc d’irrésistibles moments romantiques avec cette entrevue dans la bibliothèque où Henry gagne la main de Martha au prix d’une mémorable provocation. La maladresse amusante qu’il met à ses mensonges s’oppose ainsi à la conviction romanesque imprégnant l’aveu amoureux, cet élan lui faisant tout ce faire pardonner par son entourage et surtout cette épouse si compréhensive.

Lubitsch tisse à travers les réactions bienveillantes ou moralisatrices des écarts d’Henry un regard amusé sur le puritanisme américain. Henry suscitera ainsi la compréhension et l’envie de son grand-père (mémorable Charles Coburn en patriarche rieur) qui n’a pas connu cette liberté et l’incompréhension de ses parents et de son cousin Albert (Allyn Joslyn) purs produit de cette aristocratie new yorkaise telle que décrite par une Edith Wharton dans Le Temps de L’Innocence. L’Amérique profonde représentée par les parents de Martha et l’ordre moral des années 30 (qui correspond à la mort du héros tout comme à l’écriture de la pièce Birthday (1934) de Leslie Bush-Fekete qu’adapte Lubitsch) symbolisé par les remontrances du fils définiront ainsi l’anomalie que signifie l’esprit libre d’Henry. Le trait aurait sans doute été bien plus méchant dans les années 30 mais là Lubitsch entoure cette causticité d’une rondeur et légèreté qui dilue la portée de la charge notamment par la caractérisation des représentant de l’ordre moral où la caricature laisse toujours place à la tendresse (le cousin Albert reste ridicule mais les parents de Martha retrouve une vraie humanité lors de la scène sobre où ils accueillent leur fille).

L’important est de savourer chaque instants le mieux entouré possible, les affres du temps se chargeant de corriger nos menus défauts (la bedaine naissante d’Henry mettant fin à sa carrière de séducteur), ou pas. Lubitsch ne juge jamais et accompagne complice le long et sinueux chemin qu’est la vie. Pour un de ses rares films en couleur, Lubitsch dessine une gamme chaleureuse et irréelle comme pour donner un contour vivifiant et rêvé au souvenir. Les mouvements de caméras donnent également ce sentiment de partager par instants le regard extérieur et nostalgique des évènements, accentué par les  ponctuations de la voix-off. On pense à cette dernière danse entre Henry et Martha, dont l’émotion se devine avec une caméra s’élevant de la piste tandis que la voix-off narre l’issue tragique de ce moment. 

Les époux s’effaçant dans ce mouvement et le ton triste d’Henry est presque une manière de nous signifier que c’est lui qui ému détourne le regard pour ne pas s’attarder plus longtemps sur cet ultime instant de bonheur. A l’inverse c’est la malice de notre héros qui se devine dans ces derniers instants. Le contact à la belle et jeune infirmière venant le garder sera un plaisir hors-champ mais qu’il partagera en voix-off tandis que la caméra s’avance lentement vers la porte close de sa chambre en guise de mort paisible. Ce regard lucide et rieur sur la vie s’affirme dans la belle conclusion autorisant notre héros à prendre l’ascenseur pour aller quelques étages plus haut, où il est très certainement attendu.

Sorti en dvd zone 2 Français chez Fox

2 commentaires:

  1. J'adore ce film de Lubitsch. Dommage que je n'ai toujours pas trouvé une version restaurée. Gene Tierney est plus que magnifique...

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  2. Le film doit ressortir en salle prochainement, peut-être dans le cadre d'une restauration. Espérons !

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