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lundi 28 juillet 2025

Ailleurs l'herbe est plus verte - The Grass Is Greener, Stanley Donen (1960)

Lord et Lady Rhyall vivent dans un immense manoir anglais, qu'ils ouvrent aux touristes pour arrondir leurs fins de mois. L'un des visiteurs, le millionnaire américain Charles Delacro, tombe sous le charme de la maîtresse des lieux. Ayant compris la situation, et désireux de reconquérir son épouse, Lord Rhyall met sur pied un hilarant stratagème.

A partir du milieu des années 50, Stanley Donen, libéré de son contrat à la MGM souhaite explorer de nouveaux horizons hors des contraintes du système studio. A l’instar de plusieurs de ses prestigieux collègues contemporains comme Joseph L. Mankiewicz, il va passer en indépendant et naviguer entre les studios (Drôle de frimousse (1957) pour Paramount, Pique-nique en pyjama (1957) chez Warner) puis monter sa société de production Grandon Productions en association avec Cary Grant, les deux s’étant particulièrement bien entendu sur le tournage d’Embrasse-la pour moi (1957). L’opus le plus fameux de cette collaboration entre Donen et Cary Grant sera bien sûr Charade (1963), habile mélange de comédie romantique et de suspense hitchcockien, précédé d’Indiscret (1958) et d’Ailleurs l’herbe est plus verte.

Un des éléments fondamentaux de cette mue de Stanley Donen repose sur son exil en Angleterre au début des années 60. L’émergence du Free Cinema fait du pays et plus particulièrement Londres un centre des avant-gardes qui va particulièrement influencer Stanley Donen. Cela se vérifiera en particulier sur l’esthétique pop et le ton désabusé du chef d’œuvre Voyage à deux (1967), ainsi que sur le ton grinçant et l’humour désopilant de Fantasmes (1967). S’il y a une indéniable tonalité anglaise dans Charade et sa variation Arabesque (1966), ce sont des films qui gardent une continuité tant formellement qu’à travers leurs casting, avec le passif hollywoodien d’un Donen pas encore totalement émancipé. Ailleurs l’herbe est plus verte entre dans ce cas de figure. 

Il s’agit d’une adaptation de la pièce de Hugh Williams et Margaret Vyner (jouée à Londres en 1956 et rendue populaire par représentation télévisée à la BBC), qui s’attèlent également au scénario. La préproduction sera fort mouvementée puisqu’une partie du casting initial, Rex Harrison et son épouse Kay Kendall (avec laquelle Donen avait déjà travaillé sur Chérie recommençons (1960), devront se retirer lorsque la seconde succombera à une leucémie. Cary Grant, initialement prévu pour jouer le séducteur américain Delacro (finalement interprété par Robert Mitchum) reprendra celui dévolu à Rex Harrison en chatelain casanier Victor, tandis que Deborah Kerr interprétera son épouse Hilary que devait tenir Kay Kendall.

Le trio de stars (auquel s’ajoute une Jean Simmons ravie de pouvoir donner dans un registre plus léger) et le réalisateur ont instauré une vraie complicité du fait de nombreuses collaborations précédentes (Grant et Deborah Kerr sur Elle et lui (1957), Mitchum et Kerr dans Dieu seul le sait (1957), ce qui laisse transparaître une indéniable alchimie à l’écran. De plus Donen parvient indéniablement à installer une thématique britannique sur plusieurs points. Le côté décalé de la famille Rhyall, leur nature de vestige d’un autre temps se ressent dans la facette muséale de leur château, lieu de visite dont les recettes leur sert à subvenir à leurs besoins. Victor fait paresseusement subsister certaines traditions comme lui fait remarquer son majordome Sellers (Moray Watson seul rescapé du casting de la pièce), et se complaît dans les habitudes et le confort. 

L’arrivée électrisante du milliardaire américain Delacro (Robert Mitchum) rebat les cartes lorsqu’il va séduire Hilary (Deborah Kerr). La rencontre entre les deux est le sommet trop précoce du film, la mise en scène élégante de Donen, les dialogues piquants et plein d’esprit qu’ils se lancent, ainsi que l’arrière-plan somptueux du château offrant un délicieux aparté romantique. Hilary déstabilisée par le bagout et la virilité nonchalante de Delacro tombe presque trop rapidement sous le charme, mais Donen construit avec patience un coup de foudre mutuel limpide. La désinvolture de Delacro est ébranlée par le charme domestique de cette femme, tandis qu’elle comprend par la séduction directe de ce dernier tout ce qui lui manque dans son ménage trop sage. Le thème du film fait se rejoindre la rivalité amoureuse et celle nationale entre la vieille Angleterre engoncée dans ses traditions et son passé poussiéreux face à la modernité, l’assurance insolente américaine.

Il y a un mélange de frontalité et de retenue très bien dosée, avec un Victor comprenant immédiatement de quoi il retourne mais laissant son épouse vivre son aventure. L’adultère est explicite et consommé dans une scène brillante durant laquelle Donen souligne l’absence des différents lieux d’entrevue de Delacro et Hilary (pique-nique, restaurant, salle de balle) tout en laissant hors-champs leur rapprochement physique, pour conclure face à la chambre entrouverte de Delacro afin de ne laisser aucun doute. Donen dépeint avec le chatoiement l’émoi de la romance, tout comme le dépit résigné d’un Cary Grant très touchant en époux délaissé. Malheureusement, la réunion finale de ce triangle amoureux ne confirme pas les promesses initiales. 

Après avoir joliment amené le mouvement sa mise en scène, notamment dans l’alternance entre décors studio et vrais extérieurs du domaine de Osterley Park, Donen semble avoir du mal à se dépêtrer des origines théâtrales de son matériau original. Malgré la volonté décalée affichée, on navigue dans le vaudeville assez poussif dans certains rebondissements, et la résolution est assez paresseuse dans l’exécution malgré l’audace des dialogues (Grant et Kerr parlant de leurs vie sexuelle) et de l’interprétation impeccable. Il manque clairement le souffle de modernité et la tonalité désenchantée qui feront tout le prix de Voyage à deux dans cette comédie encore trop sage et contrainte par les conventions hollywoodiennes.

Sorti en bluray français chez Rimini

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