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mercredi 23 juillet 2025

Kes - Ken Loach (1969)

 Billy, douze ans, vit dans une petite ville minière du nord-est de l'Angleterre. Il ne supporte plus son univers : sa mère l'ignore, son frère le traite en souffre-douleur et à l'école, distrait et indiscipliné, ses camarades et professeurs lui sont hostiles. Un jour, il trouve un jeune rapace et décide de dresser l'oiseau. Son professeur lui demande d'exposer à la classe l'art de dresser un faucon. Billy réussit enfin à intéresser ses camarades...

Deuxième long-métrage de Ken Loach pour le cinéma, Kes est aussi une des œuvres les plus célébrées du réalisateur. Le film s’inscrit dans la veine encore très aride et austère de ses débuts, dans la continuité de ses travaux pour la télévision. Le film est une adaptation du roman Un faucon pour un vaurien (A Kestrel for a Knave) écrit par Barry Hines et publié en 1968. Le livre est en grande partie autobiographique pour Barry Hines, parvenu à force de volonté à échapper à sa condition dans le terrible déterminisme social anglais. Il grandit dans le Yorkshire au sein duquel se situeront nombre des intrigues de ses œuvres, et surmonte le système scolaire anglais façonné pour construire un éternel recommencement empêchant les enfants de ne serait-ce qu’envisager d’autres perspectives que les travaux laborieux, le pire d’entre eux étant la mine. 

Le roman se nourrit ainsi de l’expérience de Barry Hines, tant durant son enfance que lors des années durant lesquelles il fut professeur d’éducation physique et eut le loisir d’observer ses élèves de basse extraction. Hines ajoute à ce contexte social et scolaire sinistre la trame de cet enfant s’offrant un espace de liberté en dressant un faucon, ce qui fut le cas de son petit frère Richard qui servira d’ailleurs de conseiller sur le film de Ken Loach. Ce dernier lit le manuscrit du roman avant sa publication et en achète les droits avec son partenaire Tony Garnett dans le cadre de leur société de production fraîchement créée, Kestrel Films Ltd.

Le film s’ouvre sur une scène résumant avec force et simplicité l’impasse des personnages. Un long plan fixe s’attarde sur le lit que partage Billy (David Bradley) et son frère aîné Jud (Freddie Fletcher), la sonnerie du réveil amorçant le laborieux lever de Jud, qui en profite pour malmener son cadet. Le déterminisme, la lassitude et l’aigreur qu’il entraîne (Jud travaillant à la mine) se ressentent dans cette introduction marquant tout à la fois la promiscuité et l’absence d’affection de la fratrie. 

Nous allons suivre Billy dont les responsabilités précoces (il a un petit boulot de livreur de journaux) tout comme les obligations de son âge (aller à l’école) ne semblent qu’être un sursis avant d’embrasser prématurément le monde du travail pour un métier au pire harassant, au mieux ennuyeux. L’échappée se fait en quittant les rues mornes de cette cité industrielle pour gagner la verdure de la campagne avoisinante, dans laquelle il trouver un faucon et tenter de le dresser. 

L’adolescent éteint, distrait et n’attendant rien de la vie se mue alors en individu concerné, curieux et passionné lors qu’il se documente afin de dresser le faucon. Les lieux changent (une bibliothèque, une librairie), les occupations aussi (la lecture de l’ouvrage de fauconnerie), ainsi que les lieux lorsque Ken Loach capture Billy dans une plaine verdoyante durant ses exercices avec « Kes ». La composition de plan place l’évasion en avant-plan avec un Billy arpentant le cadre naturel au fil de ses courses avec l’oiseaux, tandis qu’en arrière-plan l’urbanité et la grisaille de la ville se dessinent comme une triste réalité que l’on peut oublier, pour un temps.

Ken Loach oppose l’implication et la passion de Billy pour ce nouveau centre d’intérêt au carcan que constitue le reste de son quotidien. Le foyer est synonyme d’indifférence de la part de sa mère et d’harcèlement par son frère, schéma reproduit différemment à l’école par une logique uniquement punitive de la part du corps enseignant, et moqueuse avec les autres camarades. L’absence d’affection du foyer repose sur l’abandon et la confusion d’une cellule familiale (un père absent, une fratrie de deux pères différents dans laquelle aimer ou du moins le manifester est incompatible, tandis que l’école s’appuie sur un schéma bien plus pensé mais injuste où aider, accompagner les jeunes élèves n’est pas le but. 

Hines et par extension Loach dénonce là le système anglais du tripartisme scolaire qui après un examen arbitraire, le Eleven-plus passé à la fin de l’école primaire, répartissait au plus tôt les élèves entre la possibilité de l’enseignement classique des grammars school préparant aux études supérieures, puis des écoles secondaires techniques et les écoles secondaires modernes vous plaçant sur la voie de la vie professionnelle précoce. Il y a ainsi un contraste criant entre l’allure chétive juvénile de Billy et certains de ses camarades bien plus matures, et le fait de voir un garçonnet devant déjà choisir une voie professionnelle.

La construction intime que lui refuse l’institution, Billy se la façonne donc lui-même par ses pérégrinations avec le faucon Kes. Il suffirait pourtant d’un rien pour que les deux mondes se trouvent comme le montre la magnifique scène où Billy est forcé de raconter le dressage de son faucon en classe à ses camarades, suscitant l’attention et l’intérêt de ceux-ci, mais également de son professeur le regardant d’un œil plus attentif. Billy passe soudain d’un sujet, d’un pion à placer, à l’individu pétri d’affects et de centre d’intérêt. L’entrevue avec le conseiller/recruteur fait malheureusement retomber cette ouverture, le fonctionnaire ne s’intéressant guère à ses aspirations. 

La conclusion fort sombre semble malheureusement condamner le jeune héros, même si l’espoir demeure notamment par le destin de Barry Hines (qui coécrit le scénario avec Ken Loach et Tony Garnett) fut fort heureusement tout autre malgré ce départ pipé dans la vie. Le film rencontra un grand succès critique à sa sortie, et a depuis gagné sa place parmi les grands classiques du cinéma britannique. Ken Loach aura par ailleurs l’occasion de retrouver Barry Hines pour l’adaptation de trois autres de ses romans, Looks and Smiles (1981) et The Gamekeeper (1980) au cinéma, et Price of Coal (1977) à la télévision.

Sorti en bluray français chez Potemkine 

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