Tokyo, fin des années
1950, après la défaite du Japon face à l'Allemagne nazie durant la Seconde
Guerre mondiale. La ville est secouée par des troubles sociaux fomentés par un
groupe d'opposition appelé La Secte. Les autorités, confrontées à des émeutiers
de plus en plus violents créent la Posem (police de sécurité métropolitaine)
une brigade d'élite de répression lourdement armée. Lors d'une émeute, le
lieutenant Kazuki Fuse, une jeune recrue de cette brigade, se retrouve
cependant incapable de faire feu sur une fille porteuse d'une bombe « un petit
chaperon rouge ». L'enfant déclenche l'engin explosif et meurt devant ses yeux.
Traumatisé par cet événement, Fuse se recueille sur la tombe de la victime et
rencontre la sœur aînée de celle-ci.
Jin-Roh marque
pour Mamoru Oshii un retour au fil rouge qui irrigue sa carrière, la saga Kerberos. Il s’y intéresse aux Kerberos
Panzer Corps, une unité de soldat en armure dans un Japon futuriste totalitaire.
Oshii développa cet univers dès ses débuts et sur différents supports :
deux films live expérimentaux avec The
Red Spectacles (1987) et Stray Dog
Kerberos Panzer Cops (1991) et le manga Kerberos Panzer Cop publié entre
1988 et 2000. Jin-Roh était justement
supposé adapter le premier volume du manga en film d’animation mais Oshii
est débordé par le tournage de l’œuvre qui le consacrera à l’international, le
classique cyberpunk Ghost in the shell
(1995). Il décide donc de confier le projet au jeune Hiroyuki Okiura, son très
doué directeur d’animation sur Ghost in
the shell. Okiura flatté n’accepte la proposition qu’à condition de pouvoir
réécrire le scénario et l’imprégner de sa sensibilité. L’un des changements
majeurs sera donc l’histoire d’amour qui amène une tonalité différente à l’univers
tortueux de Mamoru Oshii.
Jin-Roh revisite
le conte du Petit Chaperon Rouge dans
un Japon uchronique au lendemain d’une défaite face à l’Allemagne Nazie. Le
film effectue ainsi un retour vers le passé par rapport à l’univers futuriste de Kerberos tout en l’inscrivant
dans l’imaginaire avec ce contexte politique. L’interprétation du conte par
Oshii illustre bien l’hésitation entre anarchie et totalitarisme qui court tout
au long de sa filmographie. Patlabor (1989)
dépeignait une société japonaise dont les traditions étaient balayées sur l’autel
de la modernité mais la seule réponse était un dangereux virus informatique
semant le chaos. Patlabor 2 (1992)
montrait la facilité du pays à retrouver ces réflexes totalitaire et
militariste dès lors qu’il était menacé avec un terroriste provoquant la loi
martiale.
De manière générale la méfiance et la fascination d’Oshii pour l’imagerie
militaire provoque souvent un sentiment ambigu. Dans Jin-Roh, cela se révèlera à travers une histoire d’amour tragique.
L’anarchie est représentée par les « chaperons rouges », jeunes
femmes transportant des bombes pour La Secte, groupuscule révolutionnaire en
lutte contre le gouvernement. Le totalitarisme de cet Etat est symbolisé par la
brigade POSEM et plus précisément par son unité la plus redoutable, les Panzer Corps.
L’un d’entre eux, Fusé, vacille en pleine opération et hésite à abattre un « chaperon
rouge » kamikaze. Ayant échappé de peu à la mort, Fusé est hanté à la fois
par cette marque de faiblesse inattendue mais surtout par les traits juvéniles
et déterminés de la disparue. En rencontrant et tombant amoureux de sa sœur Nanami,
il pense peut être pouvoir apaiser son âme.
Tout au long du récit se fait entendre en voix-off une
récitation de l’interprétation la plus tragique du conte où Oshii se trompe d’ailleurs
en usant de la couverture du Rotkäppchen des frères Grimm qui lui donnait une
fin heureuse au contraire de Charles Perrault . Le scénario brouille en effet
les piste en montrant le « loup » Fusé incapable d’abattre/dévorer le
Petit Chaperon Rouge et céder à la naïveté de ce dernier quand il tombe
amoureux de Nanami dont la douceur de caractère ne fait pas oublier une
première apparition où elle arbore le fameux imperméable rouge. Le conte va
donc se rejouer cruellement pour servir des intérêts plus haut placés, une
lutte de pouvoir quant au démantèlement des Panzer Corps.
Fusé et Nanami, réellement
amoureux semblent vouloir dépasser les archétypes modernes du conte dans
lesquels ils s’inscrivent. Okiura instaure une atmosphère à la fois oppressante
et romantique, l’imagerie hivernale servant une belle mélancolie portée par le
score de Hajime Mizoguchi. La veine plus désabusée d’Oshii pèse également, les
nombreuses allusions à la nature fourbe du Loup déguisé en homme laissant
présager une interprétation plus sombre. La tenue des Panzer Corps rappelle cette
parenté animalière, le masque et les yeux rouges évoquant le regard, la gueule
et le museau du loup tandis que le casque rappelle la parenté militaire
germanique de ce passé alternatif. La force interprétative tout comme le
contexte politique imaginé par Oshii s’illustrent avec une force évocatrice
puissante par ce seul uniforme.
Jin-Roh constitue
également un remarquable thriller d’espionnage questionnant donc le Japon. Nos
deux héros sont manipulés par deux factions se déchirant entre le maintien d’un
joug militaire « nécessaire » ou un régime politique calculateur et
guère plus rassurant. Oshii a une vision cynique du pays balloté entre
oppression et corruption, le regard romantique d’Okiura semblant apporter une
voie médiane par les sentiments. Le scénario ne choisit pas entre leurs deux interprétations
et si le retour à l’ordre se fait dans une brutalité implacable en soumettant
le collectif, le loup semble être redevenu un homme amoureux et brisé lors de l’épilogue
sacrificiel.
Sorti en dvd zone 2 français chez CTV
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